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Auteur Sujet: Entre science et sensorialité, un lien conflictuel...  (Lu 2938 fois)

JacquesL

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Entre science et sensorialité, un lien conflictuel...
« le: 02 septembre 2010, 08:01:54 pm »
Entre science et sensorialité, le lien est conflictuel.

Une grille classique de concassage, exercice fondamental en créativité, se compose en six grands titres :
Augmenter,
Diminuer,
Combiner,
Inverser,
Modifier,
Sensualiser.


Pour le détail et la mise en oeuvre, je renvoie le lecteur aux originaux, tels que Michel Fustier, Pratique de la créativité, éditeurs conjoints : E.S.F., E.M.E., E.T.
Ou à L'Inventique, de Michel Fustier, Arnold Kaufmann et Annick Drevet, chez E.M.E.

Personnellement, c'est le dernier grand titre que j'ai mis longtemps à saisir, malgré plusieurs exemples pratiques. Détails originaux, tous centrés sur l'innovation marketing :
Rendre plus excitant pour la vue,
Rendre plus excitant pour l'ouïe,
Rendre plus excitant pour l'odorat,
Rendre plus excitant pour la main,
ou l'inverse : rendre moins excitant...

Je pense qu'il vaut mieux le reformuler en "sensorialiser", pour les besoins de l'enseignement des sciences et des techniques.

C'est la méconnaissance par les savants et par les professeurs de sciences, de l'ancrage sensoriel pour nos élèves et pour le grand public, surtout le public féminin, qui me semblent à l'origine de tant d'incompréhensions et de mépris bilatéraux. Du coup, les processus d'abstraction (négliger volontairement de nombreuses particularités, pour ne retenir que quelques traits, jugés essentiels) semblent bien arbitraires et mystérieux à la majeure partie du public et des élèves. Il arrive de surcroit que le dit processus d'abstraction soit erroné, et se maintienne dans l'erreur grave durant des générations : les auteurs de manuels se recopient entre eux, et négligent de remettre à plat les fables héritées de l'enseignement scientifique précédent.

Pendant une dizaine d'années de ma vie professionnelle, nous avons beaucoup appris de céramistes d'une part, d'ingénieurs et de techniciens des ponts et chaussées d'autre part (géologues, géotechniciens, etc.). Un matheux ne soupçonne pas combien ils utilisent leur toucher, la langue, l'odorat, avant de confier quelque chose à un appareillage plus sophistiqué. C'est d'abord à l'aspect et au toucher que le technicien sondeur qualifie une couche de "limon argilo-sableux", ce qui sera confirmé, infirmé ou précisé plus tard par analyse granulométrique, sédimentométrie, mesure d'aire spécifique, examen à la loupe binoculaire, etc.

Un Laurent Nottale qui vend son histoire de "relativité d'échelle", n'a visiblement jamais pratiqué d'analyse granulométrique avec un jeu de tamis, et des sédimentométries. Quiconque a eu cette expérience concrète éclate de rire à lire les idéations de Nottale.

JacquesL

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Re : Entre science et sensorialité, un lien conflictuel...
« Réponse #1 le: 02 septembre 2010, 08:03:50 pm »
Je vais mettre une autre illustration, hélas celle dont je suis très familier : le bafouement systématique du sens kinesthésique de nos élèves, par l'idéation d'allure mathématique que nous leur enseignons par erreur depuis 1888 environ :
http://lavaujac.club.fr/Mystification_.htm
http://lavaujac.club.fr/Syntaxe0.pdf
http://lavaujac.club.fr/DEMELAGE.pdf
http://lavaujac.club.fr/SYNTAXV1_2000.pdf
http://lavaujac.club.fr/SYNTAXE2_.pdf
http://lavaujac.club.fr/syntaxe3.pdf
http://lavaujac.club.fr/Syntax4.pdf
et la suite.
Au lieu de les laisser dire "ça tourne" et mimer la rotation avec leurs mains, depuis Hamilton et ses quaternions de 1843 on leur enseigne "ça monte ou ça descend le long de l'axe". Quel axe ? Aucun, le plus souvent.

Or c'est bien le sens kinesthésique des élèves qui est dans le vrai, et l'idéation pseudo-mathématique que nous leur enseignons, qui est délirante, qui bafoue et les mathématiques, et la réalité physique.

Cet exemple de monstruosité perpétrée par l'enseignement, est au nombre des griefs que le populaire a accumulé contre "les savants" indistincts.

Et il y en a d'autres, hélas.

Ma proposition est bien connue : c'est à celui qui propose une abstraction qu'incombe le fardeau de la preuve. Il doit prouver que sa sélection est bien celle qui est judicieuse. Depuis toujours, le système d'enseignement s'est dispensé de prouver le bien fondé des abstractions qu'il impose. L'enseignement est par nature une relation inégale ; les possibilités d'abus de pouvoir et d'abus de confiance que cette inégalité favorise, méritent un encadrement et une supervision, lesquels demeurent nettement en dessous des besoins.

De plus, il doit respecter un droit contractuel, quant aux abstractions qu'il enseigne. J'ai depuis longtemps souligné que ce principe contractuel est bafoué tout au long du collège, par exemple sur les avanies successives de la notion d'angle en mathématiques : ça change à chaque classe, et chaque année l'acception précédente est méprisée et oubliée, sans davantage d'explication. Alors que chacune est utilisée avec succès par un ou plusieurs métiers, tous fort respectables.
Plus de détails à http://lavaujac.club.fr/je_fais2.htm#_Toc49830254,
La persistance de schèmes infantiles dans l’enseignement des mathématiques et de la physique. Suite.

Un autre abus pratiqué en classes de mathématiques, niveau 4e ou 3e, est l'introduction du calcul littéral sans jamais introduire la notion d'identificateur. Les identificateurs pratiqués en maths héritent des pratiques des astronomes du 18e et du 19e siècle, or nos élèves viennent de bien autres horizons. En classes de mathématiques, les identificateurs sont tous réduits à une seule lettre, laquelle ne se rapporte jamais en clair à sa signification du moment, et ces symboles sont tous fugaces, détruits à la fin de l'exercice, réutilisables dans une toute autre utilisation. Aucun de ces implicites cachés n'est évident pour tous nos élèves. Beaucoup trop décrochent là.

Je ne prétends pas avoir listé toutes les sources des ressentiments populaires envers la scolarité et "les savants et les technocrates". J'invite à recenser d'autres sources, car le résultat est bien là, lui : nous sommes globalement perçus comme arrogants et bouchés. Voilà qui contribue à ouvrir un marché en or aux charlatans.
« Modifié: 23 avril 2011, 12:50:13 pm par Jacques »

JacquesL

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Bourres de peuplier sur l'eau, et trompe-vue.
« Réponse #2 le: 02 septembre 2010, 08:05:08 pm »
Circonstances à connaître pour saisir l'exemple qui suit : durant cette portion de descente de la Loire en kayak, entre La Charité et Nevers, la direction est Nord à Nord-Ouest, tandis que le vent, assez fort, soufflait du Nord-Ouest, plus ou moins ouesté. Nous l'avions donc généralement dans le nez, venant de gauche.

Deux choses m'ont surpris, au cours de cette descente de Loire en kayak :

1° - Au lieu de rester vers le milieu de rivière, pour profiter au maximum du courant, le groupe préférait longer les bords.  En remontée de courant, oh que je comprendrais, mais en descente ? C'est vrai qu'on détaille mieux, mais on dérange aussi davantage la faune éventuelle.

2° - Et une apparence visuelle semblait leur donner raison : à lire le courant par les bourres de peuplier flottant sur l'eau, l'eau près des berges semblait descendre nettement plus vite que celle en plein courant. Mystère, cela violerait toutes les lois de l'hydrodynamique, et toutes les mesures apprises autrefois en Méca Flu.

Information complémentaire : on avait le vent de face par la gauche, donc les deux rives jouaient un rôle d'abri relatif, surtout la rive au vent à nous, bien sûr.
Or les bourres de peuplier flottantes remontaient le courant (enfin, relativement à l'eau, et pas relativement au fond), poussées par le vent. Et près des berges, remontaient moins : moins de vent. Leur vitesse par rapport aux berges, était plus proche de la vitesse réelle de l'eau.

Voilà, fin du mystère.
C'est un nouvel exemple à ajouter au thème "Le contrat de désensorialisation en enseignement des sciences, abus et remèdes". Nos sens immédiats guidaient vers un meilleur courant de descente près des berges, et il fallait trouver le biais qui trompait notre vue. Le progrès scientifique passe très souvent par un détour désensorialisé, pour appréhender les trompe-sensorialité.
« Modifié: 06 septembre 2010, 10:18:27 am par Jacques »

JacquesL

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Re : Entre science et sensorialité, un lien conflictuel...
« Réponse #3 le: 04 septembre 2010, 01:28:47 am »
La mécanique est un riche réservoir à sciences folkloriques et à bévues monumentales, et ça devient terrible dès qu'il s'agit de fluides, de navigation dans les courants, et pire encore de navigation à voile dans les courants : deux fluides mobiles.

La première malédiction, est que la mécanique exacte n'a pu voir le jour que grâce à l'astronomie : l'observation des astres, notamment des quatre satellites Médicéens de Jupiter par Galilée, permettait d'observer les seuls mouvements sans frottement disponibles. Les lois de Kepler sur les mouvements des planètes, et la notion d'inertie dégagée par Galilée (indépendamment de ses premières observations célestes) permirent à Isaac Newton d'établir les lois de la mécanique, dite rationnelle.

Mais là, le petit peuple est perdu. Lui, il pratique tous les jours des mouvements avec frottements, et seulement ceux-là. Et justement, ils sont bien plus difficiles à modéliser.

Un petit sottisier ?

1. "Vent contre courant rendent ce Finn très ardent. Regardez l'angle de barre !" (La photo est prise au téléobjectif, loin dans l'axe du voilier ; elle écrase donc la perspective). Pour les non-marins, "ardent" se dit d'un bateau qui cherche à changer de cap pour aller plus contre le vent (à lofer). Pour le maintenir sur sa route, il faut en permanence tirer la barre au vent. Le bord "au vent" est celui qui reçoit le vent. Le bord "sous le vent", c'est l'autre.

2. "Quand le vent et le courant sont de même sens, il faut relever un peu votre dérive pour mieux remonter au vent, pour donner moins de prise au courant...". William Crosby. Pour les non-marins, la "dérive" désigne un plan hydrodynamique anti-dérive, qui est relevable. On en a d'autant plus besoin qu'on remonte le vent, pour ne pas dériver.

3. Un topo sur la navigation au plus près (et en formation de moniteurs !) : "Le bateau ne peut pas aller en arrière car les formes ne s'y prêtent pas, alors il est obligé d'aller en avant".

4. Un cours de maths pour B.E.P. : "Le courant pousse avec une force comme ceci, le moteur pousse avec une force comme cela, en déduire le point d'arrivée sur l'autre berge". Notre cher matheux, sous parrainage d'inspecteur de l'Education Nationale, avait juste confondu la cinématique avec la dynamique, et avait omis de se représenter les protocoles d'expérience : à quoi aurait-il accroché son dynamomètre pour mesurer les "forces" qu'il prétend ? Si le courant est fort, comment aurait-il pu empêcher son bateau de chavirer sous la pression du courant, dans son protocole à lui qu'il a ?

5. Là il s'agissait de remonter le courant du Rhône, en kayak. Le moniteur sportif préconisait de ne pas trop raser la berge, car "quand c'est trop peu profond, ça vous freine." Il est tout à fait vrai qu'un pétrolier calant dix mètres, qui n'a plus que trois mètres d'eau sous la quille, sera freiné, et que son système de vague sera plus escarpé qu'en eau libre. Notre moniteur sportif oubliait juste de s'apercevoir que sur les hauts fonds de la berge, le courant contraire descendait à moins d'un noeud, contre plus de trois noeuds là où lui passait en pleine veine de courant, en forçant comme un damné.

6. La, la sottise eût pu être mortelle. Ces touristes se baignaient en aval d'une petite pointe rocheuse, au flot, dans une lagune, celle du Letty en Bénodet. Dans leur petite anse, longue de moins de quinze mètres, le courant était ralenti, puis il contournait la petite pointe rocheuse en piquant vers le Sud-Sud-Est sur une vingtaine de mètres, avant de se noyer dans la circulation générale du flot vers le ENE. L'adolescent se mit soudain à pousser des cris de frayeur : "Le courant m'entraîne ! Le courant m'entraîne !", mais cet imbécile au lieu de nager en travers de la veine de courant pour en sortir, nager vers l'éperon rocheux, s'obstinait à nager contre le courant, et il n'avait évidemment pas une vitesse suffisante pour le remonter. Or cette veine de courant dévié n'avait pas cinq mètres de large.

Voilà des gens qui n'avaient jamais appris à lire le courant sur l'eau.

Pour la sottise n° 3, bien sûr que si, un voilier peut reculer. Ce sont les gréements modernes qui rendent difficiles les orientations de voile à culer. A la demande de mes GM au Club Med, nous avons traversé toute la baie de Santa Giulia à reculons au vent de travers, à trois noeuds en Caravelle. Et j'ai pu recommencer l'expérience en Bretagne aussi. Le second inconvénient est que le voilier est alors très instable de route à reculons, et qu'il faut bien plus d'énergie au barreur pour tenir sa route.

Sans parler des praos à un seul balancier, dont plusieurs sont amphidromes. Chez nous, le plus fameux est le tout léger Cheers, que Tom Follett emmena à la 3e place de la Transatlantique en solitaire de 1968. Il y a eu aussi des caïques turcs, qui étaient amphidromes.

Pour les sottises n° 1, 2 et 4, c'était déjà évoqué, dans "Cinq semaines en ballon", de Jules Verne : le public avait un grand mal à se représenter qu'un ballon libre a une vitesse quasi nulle par rapport à l'air qui l'entoure, à la turbulence près. Le grand public - y compris des profs de maths et des inspecteurs de maths - confond la cinématique, qui ne s'occupe que de vitesses et de positions successives, avec la dynamique avec des efforts, des contraintes et des forces.

Le dériveur photographié à l'appui de la sottise n° 1, était ardent pour d'autres raisons que la vitesse du courant par rapport au fond, à moins tout simplement que le photographe n'ait saisi un instant où le barreur corrigeait davantage le lof qu'à d'autres. La mécanique du voilier n'a à voir qu'avec la vitesse relative de deux fluides, l'air et l'eau, et leurs déviations relatives imposées par ce double profil aéro et hydrodynamique. Si la vitesse de cette eau favorise ou contrarie notre volonté d'arriver à destination (repérée par rapport à la terre), c'est une question distincte et découplée. Je n'aborde pas la question du gradient de vitesse du courant selon la profondeur, s'il y a des hauts fonds, question qu'aucun des auteurs folkloriques cités ci-dessus n'aborde non plus, et qui ne donne pas non plus les résultats qu'ils professent.

Le populaire favorise ces confusions, car il ne sait pas sélectionner les expériences sensorielles. De la berge, il met sa main ou un bâton, et constate un effet dynamique : le courant exerce une force. L'expérience correcte consiste à lâcher un flotteur, peu sensible au vent, et mesurer son déplacement en fonction du temps.

Enseigner à nos élèves quelles sont les expériences compétentes à leur portée, et comment les réaliser, voilà une des lacunes de notre système d'enseignement. Du coup, ces élèves ont consacré une large partie de leur scolarité à ne rien comprendre.

C'est une des sources des ressentiments hénaurmes de bien des gens contre l'enseignement, l'indistinct des "Ils" ;  "Ils", les profs, les savants, les technocrates, les instruits, enfin "ils" quoi...

A suivre.
« Modifié: 23 avril 2011, 10:47:56 am par Jacques »

JacquesL

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Re : Entre science et sensorialité, un lien conflictuel...
« Réponse #4 le: 04 septembre 2010, 01:01:41 pm »
On doit à Henri Bouasse une observation-clé :
Ce n'est qu'au 19e siècle, avec la généralisation de la machine à vapeur sur les navires, qu'on a commencé à concevoir que la vitesse du vent était commensurable avec la vitesse des navires et des chevaux. Puis à la mesurer.
Jusqu'au 18e siècle inclusivement, le vent était réputé être plus rapide que tout, et non mesurable, non évaluable. Et pourtant un cavalier emporté au galop, sent bien la vitesse du vent relatif, mais cette observation n'a jamais pu percoler jusqu'aux marins, car ils vivaient sur le slogan qu'à la mer tout est différent, et inconnaissable aux terriens.

De plus l'outil vectoriel (les bâtons flêchus) pour dessiner la composition des vitesses, n'a été élaboré qu'au 19e siècle, et immédiatement emberlificoté de façon inextricable avec la description des rotations. Emberlificoté dès 1806 en bidimensionnel par Argand (et même avant par Caspar Wessel vers 1778, mais il était passé inaperçu), dès 1843 en tridimensionnel par W. R. Hamilton avec ses quaternions. 166 ans après, l'emberlificotage demeure au pouvoir. Ça n'aide pas, ça.
« Modifié: 04 septembre 2010, 01:03:19 pm par Jacques »