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Auteur Sujet: Les leçons d'une guerre (Antoine Vitkine)  (Lu 1849 fois)

JacquesL

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Les leçons d'une guerre (Antoine Vitkine)
« le: 04 mai 2012, 11:27:38 pm »
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/04/30/les-lecons-d-une-guerre_1691785_3232.html?xtmc=libye&xtcr=9

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Les leçons d'une guerre (Antoine Vitkine)



Il y a une année, une coalition internationale, constituée puis menée principalement par la France, intervenait en Libye. Débutait une guerre qui allait durer six mois, jusqu'à la chute du colonel Kadhafi. Que cette intervention permit d'éviter le bain de sang que le dictateur libyen annonçait, convenons-en. Mais, au moment même où la politique étrangère est étrangement absente de la campagne présidentielle, la guerre de Libye mériterait que l'on en tire quelques leçons, pour l'avenir.

Cette opération frappe par son extrême personnalisation. La décision d'intervenir fut prise par un homme seul, Nicolas Sarkozy, alors que ses principaux ministres et conseillers s'y montraient moyennement favorables, ainsi que ses pairs, David Cameron excepté. Cette lourde décision, porteuse de tous les risques inhérents à la guerre - dont on sait comment elle commence, jamais comment elle finit - ne fut pas que morale : il s'agissait d'éviter des massacres, certes, mais aussi de racheter les erreurs commises lors de la révolution tunisienne et l'impression d'un soutien jusqu'au bout à Ben Ali. Il s'agissait aussi, pour le président, de tirer les conséquences de la désastreuse visite d'Etat du colonel Kadhafi à Paris en 2007 : il ne pouvait se permettre de se voir reprocher, tout au long de la campagne à venir, d'avoir accueilli fastueusement celui qui serait devenu le bourreau du printemps arabe. Et avec lequel, il avait de surcroit noué une dense - et troublante - relation. Convictions, calcul, coup politique, fait du Prince, en 2011, comme en 2007.

Le cours de la guerre fut ensuite marqué par le poids du président, tour à tour chef d'Etat major se plongeant dans les cartes, recevant nombre de chefs militaires de l'opposition libyenne, négociateur cherchant une issue politique en tête à tête avec le bras droit de Kadhafi.

La conduite solitaire de ces affaires par Nicolas Sarkozy, ainsi que les pouvoirs considérables dont jouit en la matière le chef de l'Etat sous la Vème République, pose des problèmes de principe et de pratique. Ces pouvoirs permettent certes d'agir vite ; ils ont toutefois des limites démocratiques. Le prix de la guerre, surtout quand les choses ne se passent pas comme prévu, est payé par une nation tout entière, à commencer par son armée, et engage le futur. Les réformes timides, comme celle de l'article 35 de la Constitution, soumettant la poursuite d'un conflit, après trois mois, à la validation du Parlement, n'a été dans le cas libyen que de peu d'effets et le débat attendu n'a jamais eu lieu.

Voilà pour les principes. En pratique, si, en Libye, l'issue a été favorable, il faut, à l'heure du bilan, considérer les risques qui furent pris : un enlisement militaire, des opérations aériennes occidentales fastidieuses et des rebelles marquant le pas au sol auraient pu conduire Kadhafi à se maintenir au pouvoir au delà de l'été 2011 et la coalition à jeter l'éponge. Victoire il y eut, mais d'une courte tête, et au risque de compliquer l'après Kadhafi lorsqu'il fallut pour hâter l'issue du conflit, armer des factions dangereuses, livrer des armes tous azimuts, laisser le Qatar soutenir certaines factions sur le terrain.

En outre, toute guerre suscite le brouillard, mais celui entourant celle-ci fut particulièrement épais. Le manque d'informations sur les évènements eux-mêmes et, surtout, sur cette opposition à Kadhafi qu'il s'agissait désormais de soutenir, conduisit à s'appuyer, du jour au lendemain, sur un Conseil National de Transition aux intentions alors imprécises et à la composition mal connue puis à appréhender tardivement le poids réel des islamistes. La situation actuelle, un pays au pouvoir fragile et menacé d'implosion, en résulte pour partie.

Alors qu'elle dispose du deuxième réseau diplomatique mondial, la France, pour ne pas déplaire à Kadhafi - comme par ailleurs à Ben Ali, à Moubarak, à Assad ou à Poutine - n'avait, avant le déclenchement de la crise, quasiment aucun lien avec l'opposition, intérieure ou extérieure. Cela ne date pas de l'ère Sarkozy, mais l'attitude qui a consisté, après avoir promis "la politique des droits de l'homme" lors de la campagne de 2007, à soutenir Kadhafi par tous les moyens, au nom d'une realpolitik à courte vue et sans réels bénéfices, n'a pas amélioré la situation. Si nous avions mieux connu cette opposition, et dialogué avec elle, peut-être eut-il été plus aisé d'anticiper puis de gérer la crise, et, à défaut, de pousser Kadhafi à plus tenir compte des voix discordantes, à réformer son régime, plutôt que de lui signer un blanc seing, lui vendre des armes et des moyens de répression et de contrôle. La politique suivie, celle du "tout ou rien" a conduit à se rapprocher plus que de raisons d'un dictateur, puis à engager une guerre aux conséquences inconnues. La France, certes, ne fut pas la seule à s'allier avec Kadhafi ni à mener cette guerre : mais elle s'en rapprocha plus spectaculairement, et avec des résultats moindres - ce furent les Américains et les Anglais seuls qui obtinrent la renoncement du Guide libyen à son programme nucléaire -, et pris, dans la guerre, plus de risques.

Pour éviter cette politique par à-coups, il est urgent de réfléchir à une règle de conduite plus nette et des procédures plus efficaces. C'est une leçon de l'affaire libyenne comme des printemps arabes : les relations avec les oppositions et les mécanismes institutionnels doivent être repensés. Car l'un et l'autre sont liés. Opérer de profonds changements dans la conduite de la politique extérieure, permettrait de sortir de ce traditionnel dilemme : entretenir des liens avec les opposants au risque de compliquer les relations, nécessaires, avec les régimes en place. Ou ne pas en avoir, et risquer alors de se trouver en porte à faux, avec ses propres valeurs ou lors d'éventuelles révolutions.

Lorsque la politique vis à vis de pays non démocratiques est le fait du prince, lorsqu'elle est opaque et décidée loin du regard de l'opinion publique, lorsque les intérêts nationaux qui y président et les règles du jeu restent mal définies, alors cette politique est soumise à toutes les contestations, à toutes les pressions de la part des dirigeants étrangers. A contrario, des décisions plus démocratiques et plus consensuelles permettrait de poser fortement la règle du jeu - relations diplomatiques, économiques, stratégiques avec les régimes et soutien politique effectif à leurs opposants démocrates - et pousser ces régimes à la respecter.

Des pistes existent. Renforcer, par exemple, les pouvoirs des Commissions des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat, leur permettre d'intervenir sur le fond des dossiers, en leur donnant des moyens de contrôle et de codécision accrus, en renforçant le poids normatif de leurs rapports. Créer de véritables sous commissions des Affaires étrangères, par dossiers ou par zones géographiques. Faire voter par le Parlement les nominations importantes, comme celles des ambassadeurs dans les grands pays, après des auditions. Rendre les décisions de politique étrangère plus collégiales, au niveau de l'exécutif, à l'image du Cabinet anglais. Car si, nul n'est pas parfait dans ces domaines, les Britanniques, les Allemands, ou les Américains sont allés plus loin dans ces voies.

Faute de changements, la politique étrangère française continuera à pâtir du dilemme entre le réalisme et le respect des valeurs démocratiques. On en est encore loin. Quelles sont les relations de notre diplomatie avec les opposants kazakhs, russes, chinois ou gabonais ? Pourquoi la France refuse-t-elle, contrairement aux Etats-Unis et à la Grande Bretagne, de prendre des sanctions contre les mis en causes dans la terrible affaire Magnitsky, ce juriste russe torturé à mort en prison  parce qu'il dénonçait la corruption ?

Il n'est pas impossible que ces questions, et ce dilemme, se posent bientôt si succède au printemps démocratique un hiver islamiste, en Libye notamment ... Il faudra alors pouvoir à la fois entretenir des relations nécessaires avec des régimes peu regardant sur certaines valeurs qui nous sont chères, pluralisme, droit des femmes, laïcité, droits de la presse, et, dans le même temps, établir des liens avec des oppositions qui ne manqueront pas d'émerger et les soutenir, au moins symboliquement. En ne répétant pas, espérons-le, les erreurs du passé.

Antoine Vitkine vient de réaliser le documentaire "Kadhafi, mort ou vif" diffusé le 8 mai 2012 sur la chaine France 5, sur les dessous de la guerre en Libye.

Antoine Vitkine, écrivain et réalisateur.

Cet avis avait trop de valeur pour le passer sous silence.