Si j'osais ajouter, car je n'ai rien d'un économiste, ce serait sur les circonstances historiques uniques qui rendirent possible l'émergence du génie conjoint de Marx et Engels.
Pour la première fois, une classe relativement nouvelle et en pleine ascension, la bourgeoisie industrielle, créait une classe exploitée antagoniste nombreuse : la classe ouvrière, concentrée et aux intérêts faciles à unifier, et elle aussi sans grand passé. C'est elle et elle seule que Marx et Engels ont appelée "
prolétariat".
Or des classes exploitées il y en avait depuis longtemps, et il y en a toujours après que le mouvement ouvrier historique se soit enlisé.
En Picardie par exemple, regardez les maisons d'ouvriers agricoles, à proximité de l'habitation de maître : vous n'êtes logés (et misérablement) qu'aussi longtemps qu'il plaît au maître. Quant à obtenir justice, n'y comptez pas : la même classe de maîtres détient la justice, le pouvoir médical, le pouvoir administratif, le pouvoir politique, et tout le pouvoir économique. Seul lui échappe en partie le pouvoir d'enseigner, mais pas le pouvoir de noter et déplacer les enseignants selon leur docilité.
Jamais en des millénaires la paysannerie n'a pu organiser sa résistance durablement. Dans certaines vallées norvégiennes, suédoises et suisses si, au Moyen-âge des républiques paysannes ont pu exister - à condition d'être loin des côtes et des seigneurs de la guerre viking. Il n'en reste rien, à l'exception des petits partis agrariens qui subsistent de la Finlande aux Pays-Bas, et peuvent parfois arbitrer une coalition.
Depuis le 19e siècle, la bourgeoisie industrielle a appris l'art de briser toutes solidarités ouvrières, par l'atomisation des conditions juridiques, l'éparpillement entre sous-traitants et intérimaires, l'isolement des postes de travail, la délocalisation et la mise en concurrence mondiale des ouvriers de tous les pays (esclaves des camps de prisonniers politiques inclusivement), et bien sûr la désindustrialisation rapide de la France.
Au long du 19e siècle, au début du 20e siècle (jusqu'à la première guerre mondiale et aux prises de pouvoir par les moscoutaires ?) la classe ouvrière a été capable de créer et développer ses propres intellectuels
(1). C'est un fait révolutionnaire rare. L'imprimerie existait, la télévision n'existait pas. L'imprimerie pouvait se décentraliser, et fut un facteur important de résistance ; cela se poursuivit jusque durant l'Occupation, puis sous une forme différente dans l'URSS et ses colonies sous la forme du
samizdat.
Emmannuel Todd souligne à juste titre qu'aucune révolte d'une classe dominée ni aucune révolution ne peut aboutir sans de nombreux transfuges, techniciens et intellectuels, venus des classes moyennes. Avec le risque majeur qu'ils la dévoient à leur profit, comme le fit la bureaucratie russe.
Sans des alliances au moins circonstancielles avec des intellectuels issus de classes dominées, ces intellectuels issus des classes moyennes n'ont guère de prise sur les événements populaires. Sans ces alliances avec les plus instruits, les nouveaux "intellectuels" issus du peuple peuvent facilement s'enliser dans des illusions mortelles. Voir les illusions des dirigeants de l'indépendance algérienne, sur la mythique "
industrie industrialisante". Voir leur saccage de l'agriculture de leur pays, par ignorance et outrecuidance, et on pourrait ajouter l'échec dans la création de pêcheries, par refus d'apprendre d'autrui, s'imaginer qu'on a tout compris du premier coup, s'imaginer que la paranoïa a réponse à tout.
Tant que les dominés et révoltés demeurent incapables de s'entendre et de créer des alliances solides et fiables, les exploiteurs sont tranquilles. Voir par exemple l'optimisation complète du système judiciaire en faveur des intérêts économiques des avocats, et l'efficacité de leur lobbying politique. Elle est où, l'organisation de la résistance populaire ? Deux tiers des français ne peuvent accéder à la justice, ne peuvent faire valoir leurs droits : bien trop cher, et sans relations bien placées, impossible de se dépêtrer ni des escroqueries combinées par leurs avocats ni des ententes criminelles dans le Palais et le Barreau. Elle est où, l'organisation de la résistance populaire ? Dernière implantée des délinquances judiciaires collectives, la délinquance judiciaire féministe a su profiter des jeux de barbichettes et des connivences corporatistes. Il pourrait naître une résistance populaire depuis les millions de pères spoliés et bafoués, il pourrait... Sauf que les plus fortes associations de pères sont dirigées en sous-main par des avocats (leur président a été corrompu par un avocat qui a résolu gratuitement son problème personnel, à charge de lui ramener de la clientèle, solvable bien sûr), et qu'elles ont les mêmes réflexes absolutistes que Lénine : "
Nous ne partagerons le pouvoir avec personne ! Nous sommes les seuls intellectuels autorisés !". C'est pourquoi nos sites ne sont nés que sous le pilonnage de leur artillerie, à nos alliés de principe :
http://debats.aristeides.info/index.php?option=com_fireboard&Itemid=26&func=view&id=185&catid=45http://debats.aristeides.info/index.php?option=com_content&view=article&id=109:les-scnarios-perdant-perdant-dans-les-associations-de-pres-divorcs&catid=42:lettres-ouvertes&Itemid=61http://info.deonto-famille.org/index.php?topic=286.0Ce qui par contraste met en évidence un atout historique qu'avait la classe ouvrière : la solidarité prolétarienne, les loyautés populaires. Elles existaient encore dans les années septante, et je n'oublierai pas ce que je leur dois. Mais vous allez faire comment pour en ressusciter l'équivalent, dans un monde où tout le monde est contre tout le monde ?
Nous sommes les seuls bestiaux qui outre des aires linguistiques développées, disposent de naissance des moyens neurologiques pour tenir - parfois en le sachant, le plus souvent en ne s'en doutant guère - un Grand Livre des loyautés dues et des loyautés reçues, à valoir à son tour. Ce sont les rares différences neurologiques entre nous et les grands singes anthropoïdes.
Dans les années cinquante-soixante, à Bourg d'en Haut des Saintes, un seul homme votait communiste. Après chaque élection, les autres saintois allaient lui casser la gueule. Et il restait fidèle. Quand il avait été émigré chômeur à Paris, chien perdu sans le sou, avec son teint sombre, il avait été secouru par un couple de militants communistes. Il n'oublia jamais, jusqu'à sa mort.
Neurologiquement, nous sommes donc très bien équipés pour la coopération. Le développement du logiciel libre en est une preuve vivante. Lorsque j'ai posé mes premières questions sur Open Office, la première réponse fut d'un Sud-africain, et la seconde réponse fut d'un Magyar.
Culturellement, notre environnement est moins brillant...
Mais ceci est un autre article.
(1) J'ai omis de citer des exemples.
Christophe Thivrier, mineur à l'âge de dix ans, le député en blouse, dont les commentryiens sont toujours fiers :
http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=7040http://fr.wikipedia.org/wiki/Christophe_Thivrierhttp://commons.wikimedia.org/wiki/File:Christophe_Thivrier_1894.jpgPour en trouver d'autres dans d'autres régions et pays, il suffira de mener l'enquête documentaire. Par exemple Christian Holtermann Knudsen (typographe justement) et Carl Jeppesen, pour la Norvège.