« le: 05 avril 2013, 04:43:22 pm »
Origine non précisée.
En janvier 2007 François Fillon participant à la campagne
présidentielle avait osé pointer la responsabilité du taux de change
élevé de l'euro dans la faiblesse des exportations et le déficit
commercial de la France. (1) La réaction de la chancelière allemande
Angela Merkel ne s'est pas faite attendre. "Franchement, ce débat mené
en France sur l'euro m'inquiète assez" [...] "Laisser à la banque
centrale son indépendance, c'est la position allemande très ferme"
déclare-t-elle dans un entretien au quotidien Le Monde. (2) Pour elle
l'Allemagne a pu se redresser économiquement "malgré" la monnaie
unique, l'euro est un garant de la paix et ne doit pas être mis "en
danger". Rien de moins !
Le même François Fillon, en visite en Corse pour la première fois
depuis son arrivée à Matignon, persiste et affirme "être à la tête
d'un Etat qui est en situation de faillite". (3) La chancelière
allemande réplique aussitôt : « l'ensemble du gouvernement et moi-même
sommes attachés à l'indépendance de la BCE, et la défendrons contre
des tentatives de remises en cause » (4) Le premier ministre français
devra se rétracter dans les heures suivantes et prétendre qu'il ne
s'agissait que d'une figure de rhétorique.
Depuis ce bombardement, rares sont les politiciens français qui
oseront s'aventurer sur ce terrain. Au contraire ! La plupart se
coulent admirablement dans le moule et imités par les médias,
reprennent en coeur les arguments des financiers de Franckfort. Tel
notre Moscovici qui a finalement su gagner dans l’exercice le poste
d'actuel ministre de l'économie et des finances du gouvernement
Ayrault (5).
Désormais les rédacteurs et autres officines s'appliquent à décourager
les moindres vélléités de critique, à étouffer la moindre tentative de
débat sous les pires anathèmes. On veille à marginaliser la question
pour l'abandonner à une minorité facilement désignée comme extrémiste
ou populiste.
Or la peur n'évite pas le danger. Les faits sont têtus et la réalité
de la crise monétaire dans la zone euro se glisse difficilement sous
le tapis. Le discours hégémonique allemand sur la gestion monétaire de
la zone euro (6) pose un vrai problème que ne cesse de rappeler
l'actualité au sujet de la Grèce, de l'Italie, de l'Espagne, du
Portugal et maintenant de Chypre.
En France le ministre du Travail M. Sapin vient de déclarer que la
France était "un Etat totalement en faillite" puis réplique à
l'opposition, se drapant de conformisme, avoir voulu faire de l'humour
(7). Ces gamineries dissimulent à peine le déni de réalité et
l'angoisse d'ouvrir ce débat sur la politique économique et monétaire.
C'est que la conclusion d'un tel débat risque de déranger en désignant
la politique d'austérité - imposée par les mesures drastiques de
réduction du déficit et les critères de convergence de Maastricht -
comme responsable d'une spirale déflationniste entraînant le pays vers
l’abîme.
L'objet de cet article sera de tenter d'exposer avec le plus d’acuité
possible les termes et les perspectives de ce débat trop longtemps
censuré mais qui peut se révéler utile et constructif, indispensable à
toute société démocratique et éclairée.
Oserons-nous ouvrir ce sujet tabou et poser ces questions qui fâchent
tellement ?
Qu'est ce que la monnaie unique européenne ? Peut-on et comment
changer l'Euro ? Sinon faut-il sortir de la zone euro et en
rétablissant la souveraineté monétaire comment restaurer les
conditions de la prospérité économique et du plein emploi ?
Qu'est ce que la monnaie unique ?
L’euro (€) est la monnaie de l’union économique et monétaire formée au
sein de l’Union européenne ; elle est commune à dix-sept États membres
de l’Union européenne qui forment ainsi la zone euro.(8)
En tant que moyen de paiement, l'euro est l'aboutissement d'un projet
inspiré par plusieurs doctrines, il dispose de ses propres
institutions (traité de Maastricht, Banque centrale européenne, etc.)
et il est sensé atteindre plusieurs objectifs. Cependant les effets
obtenus semblent diverger des effets attendus et la situation
résultante indique que les avantages se révèlent moindres que les
inconvénients provoqués par ce dispositif.
Les doctrines : bonnes ou mauvaises fées de l'Euro?
Si on se penche sur l'origine de la monnaie unique on constate que le
concept est construit comme une poupée russe avec une combinaison de
doctrines.
La thèse monétariste de Milton Friedman occupe une bonne place dans ce
corpus avec une forte influence de l'idéologie ultralibérale contenue
dans le "consensus de Washington". On remarque aussi un fondement plus
ancien d'inspiration kantienne qui poursuit un vieux rêve de paix
perpétuelle en Europe. La notion de zone économique se retrouve dans
le projet d'union allemande par le "Zollverein" de Bismarck. Projet
soutenu par les théoriciens de l'école de Berlin d'un espace
économique ou "Lebensraum".
La paix perpétuelle est un décret (9) du Saint Empire (1495) qui
prononce la suspension définitive et permanente du droit de se rendre
justice soi-même car les conflits devaient être réglés par la justice.
C'est un principe d'ordre public : l'Etat ne reconnaît le recours à la
violence que pour certaines circonstances comme la légitime défense.
Emmanuel Kant reprend la notion dans un ouvrage "Vers la paix
perpétuelle" publié en 1795 (10). Il y fait la proposition d'une
Europe post-nationale où les nations se mesurent les unes aux autres
par la guerre commerciale.
La renaissance de l'Empire germanique (1871) voulue par Bismarck
coïncide avec l'émergence d'une école de Geopolitik (11) qui cherche à
donner une légitimité territoriale et renforcer la puissance
germanique. De là s'expriment à la fois l'idéologie pangermanique (12)
et les moyens techniques d'assurer l'unité nationale. Or le
pangermanisme peut se voir de deux façons différentes : comme la
volonté légitime de constituer l'unité nationale à partir des
populations de langue allemande ; ou - bien plus inquiétant - comme
l’exigence d'absorber les diverses régions dont la possession est
considérée comme utile à la puissance [de l'Empire] hors de toute
question de langue ou de race, etc. De là découle l'idée d'un
"Lebensraum" ou espace vital, "un concept distinguant trois zones
concentriques : le Reich, c'est-à-dire territoire contrôlé par
l'État ; le Volksboden, ou le « territoire ethnique » dans lequel
vivait des populations germaniques ; et le Kulturboden (« zone de
culture »), où se faisait ressentir l'influence de la culture
germanique." (13) Mais avant d'atteindre cet objectif d'hégémonie se
doivent d'être développés les outils pratiques de l'intégration et de
l'unité nationale. Le "Zollverein" (14) est une union douanière et
commerciale entre États allemands (1833) qui a pour but la création
d'un marché intérieur unique et l'harmonisation des règles fiscales et
économiques. Cette union économique dont le statut juridique est
incertain ( "du simple traité entre États à la formation d'un
fédération entre les États. Le seul point d'accord concerne le
maintien de la souveraineté de chaque État, la formation d'un État
fédéral est donc exclu. À cause de ses organes administratifs et de sa
capacité à signer des traités internationaux en son propre nom, on ne
peut considérer le Zollverein comme un simple traité, mais son rôle
purement économique empêche également de parler d'une fédération") se
révèle comme un préalable à l'Empire (15) à mesure de l'uniformisation
des tarifs douaniers, des règles commerciales et l'union monétaire. En
1871 "les contrats signés du temps du Zollverein restent en
application, mais leur application est désormais du ressort de
l'Empire".
Il est possible que ces idées kantiennes et pangermanistes soient
associées dans la création de l'euro. C'est ce qui expliquerait la
réaction d'ingérence d'Angela Merkel qui s’inquiète de la mise en
cause de la monnaie unique dans les difficultés économiques de ses
partenaires puisque selon ses références culturelles : il est normal
qu'existe une rivalité économique dont l'Allemagne puisse tirer
bénéfice ou influence et que seul l'euro assorti de ses règles soit
"garant de la paix" en Europe.
Outre cette volonté de fonder la "paix perpétuelle" sur la concurrence
commerciale et l'union européenne sur les règles économiques et
monétaires inspirés des modèles culturels du "Zollverein" et du
"Lebensraum", d'autres considérations théoriques encore plus
dangereuses ont prévalu lors de la conception de l'euro.
La thèse monétariste d'où découle les notions de ciblage de
l'inflation, de taux naturel de chômage, de contrôle de la monnaie par
une banque centrale indépendante, de la compensation de l'émission
monétaire par des créances négociables assorties de taux d'intérêt
variables peut suffire à expliquer beaucoup de problèmes dans la
situation critique de l'économie dans laquelle nous nous trouvons
(16). De même les règles commerciales de l'Union européenne inspirées
de la doctrine ultra-libérale et encadrées par les injonctions du
Fonds monétaire international conformes au "Consensus de Washington" -
qui n'a de consensuel que le titre - font de la zone euro une partie
d'un système incohérent et ruiné de fond en comble. (17)
Dans l'ensemble on peut dire que les fées qui se sont penchées sur le
berceau de la monnaie unique ressemblaient plutôt à des sorcières et
de tant de maléfices il eut été étonnant qu'il en sorte quelque chose
de bon...
---
(1) Les interventions de l'époque (début 2007) au sujet de l'euro
semblent inaccessibles sur Internet. Un rapport de 2008 signale :
"L’évolution de l’euro depuis sa création s’est cependant avérée, à
certaines époques, préjudiciable aux entreprises et à l’industrie de
la zone euro en raison de mouvements trop rapides et conduisant l’euro
au-delà de seuils
critiques. Un euro trop élevé conduit à des surcoûts, à des pertes de
parts de marché et à des délocalisations d’activité, tout
particulièrement dans un espace économique européen encore morcelé et
très partiellement intégré." Christian de Boissieu Politique de change
de l'euro - La Documentation française (2008)
(2) Angela Merkel prend la défense de l'euro et de la BCE (2007)
http://www.capital.fr/bourse/actualites/angela-merkel-prend-la-defense-de-l-euro-et-de-la-bce-210418
(3) AFP 22 septembre 2007 http://afp.google.com/article/ALeqM5juYWCdyl6Q_CoFhBeBsGXuKIAshA
(4) Euro fort : l'inquiétude monte en Europe 22/09/2007
http://www.lefigaro.fr/tauxetdevises/2007/09/22/04004-20070922ARTFIG90828-euro_fort_l_inquietude_monte_en_europe.php
(5) Interview de P. Moscovici sur RMC le 24/09/2007
Pierre Moscovici : Là aussi il y a une tendance, celle de M. Sarkozy,
celle de M. Fillon,
à tirer sur le pianiste. C'est-à-dire, à faire comme si la faute était
toujours celle des autres. C’est vrai que l’euro est trop fort et il
faut chercher les moyens entre les gouvernements européens et la
Banque Centrale Européenne, pour qu’il retrouve un taux plus juste. En
même temps, vous dites « impossible d’exporter avec l’euro fort », je
vous donne deux chiffres : France : 35 milliards de déficit du
commerce extérieur. Allemagne
: 170 milliards d’excédents. Et la monnaie de l’Allemagne est l’euro
qui y est fort aussi. Cela prouve que ce qui fait une puissance
exportatrice, c’est d’abord la capacité du pays, sa structure, son
génie propre. La France n ’est peut être pas aussi génialement
commerçante ou industrieuse que les Allemands. Donc ne tirons pas sur
l’euro.
https://groups.google.com/forum/?hl=fr&fromgroups=#!topic/sociodemocrates-toulouse/JOC5D3FiaPM
(6) "La comparaison avec l’Allemagne doit amener à une prudence encore
plus grande dans l’interprétation des résultats ; après tout, les deux
pays ont fait des choix différents mais le résultat de ces choix en
matière de croissance (sans même parler de pouvoir d’achat) n’a
finalement été en défaveur de la France que sur la toute fin de
période. Tout l’enjeu outre-Rhin est maintenant de savoir si les
bénéfices des sacrifices consentis
seront permanents ou transitoires. Mais surtout, c’est bien l’Europe
qui est la victime de cette concurrence : l’Allemagne a d’une certaine
façon adoptée une politique non-coopérative, faute d’une véritable
stratégie de croissance – ou des moyens institutionnels de la conduire
– au niveau européen, au-delà des recommandations de type Agenda de
Lisbonne." Performances à l’exportation de la France et de l’Allemagne
www.cae.gouv.fr/IMG/pdf/081aa.pdf
(7) Michel Sapin ironise sur la France en faillite, l'UMP réplique
http://lexpansion.lexpress.fr/economie/michel-sapin-ironise-sur-la-france-en-faillite-l-ump-replique_370209.html
(8) Euro http://fr.wikipedia.org/wiki/Euro
(9) Paix perpétuelle (saint-Empire) http://fr.wikipedia.org/wiki/Paix_perp%C3%A9tuelle_(Saint-Empire)
(10) Vers la paix perpétuelle E. Kant (1795)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Vers_la_paix_perp%C3%A9tuelle
(11) Ecole allemande de Geopolitik
http://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9opolitique#L.27.C3.89cole_allemande_:_die_Geopolitik
(12) Pangermanisme http://fr.wikipedia.org/wiki/Pangermanisme
(13) Lebensraum http://fr.wikipedia.org/wiki/Lebensraum
(14) Zollverein http://fr.wikipedia.org/wiki/Zollverein
(15) "Le ministre des finances prussien Motz, un des principaux
investigateurs de l'union pense (1829) que le Zollverein peut être
l'outil pour imposer la formation d'une petite Allemagne sous
domination prussienne. Il écrit : « Si la science politique dit vrai,
en déclarant que les barrières douanières sont les conséquences des
divergences politiques entre États, il doit être par conséquent
également vrai, que la formation d'une union douanière et commerciale
conduit également à l'unification dans un même système politique"
http://fr.wikipedia.org/wiki/Zollverein
(16) L’origine de la crise : le monétarisme et l'école de Chicago
http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/l-origine-de-la-crise-le-130484
(17) Qu’est-ce que l’Ultralibéralisme ?
http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/qu-est-ce-que-l-ultraliberalisme-90307
Probablement à suivre.
« Modifié: 12 avril 2013, 03:19:27 pm par JacquesL »
IP archivée