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Auteur Sujet: Francis Fukuyama : la révolution des classes moyennes.  (Lu 1031 fois)

JacquesL

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Francis Fukuyama : la révolution des classes moyennes.
« le: 08 juillet 2013, 02:53:33 pm »
Un article très approfondi, à lire, et relire ultrérieurement :
http://www.courrierinternational.com/article/2013/07/06/francis-fukuyama-la-revolution-des-classes-moyennes?page=all

Citer
Francis Fukuyama : la révolution des classes moyennes
Les troubles politiques qui agitent certains pays d'un bout à l'autre de la planète ont un thème commun : l'incapacité des gouvernements à répondre aux attentes croissantes des nouvelles classes moyennes, prospères et instruites, écrit le célèbre philosophe et économiste américain.


Depuis une dizaine d'années, nombreux sont ceux qui considèrent la Turquie et le Brésil comme des modèles de réussite économique - des marchés émergents exerçant de plus en plus d'influence sur la scène internationale. Or, depuis trois mois, ces deux pays sont paralysés par d'immenses manifestations par lesquelles les peuples expriment leur mécontentement à l'égard de l'action de leur gouvernement. Deux questions se posent : qu'est-il donc en train de se passer ? Et ces soulèvements risquent-ils de se propager à d'autres pays ?

Le fil directeur qui relie les récents événements de Turquie et du Brésil, ainsi que le Printemps arabe de 2011 et les mouvements persistants de protestation en Chine, est la montée en puissance d'une nouvelle classe moyenne à l'échelle mondiale. Partout où elle est apparue, cette classe moyenne moderne a soulevé une vague d'agitation politique, mais elle a rarement pu à elle seule induire des changements politiques durables. Rien de ce que nous avons vu ces derniers temps dans les rues d'Istanbul ou de Río de Janeiro n'indique que ces cas feront exception.

Aucun lien avec l'élite au pouvoir

En Turquie et au Brésil, comme auparavant en Tunisie et en Egypte, la contestation politique a été menée non par les pauvres, mais par des jeunes bénéficiant d'un niveau d'éducation et de revenus nettement supérieurs à la moyenne. Ils maîtrisent les outils technologiques et utilisent les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter pour diffuser des informations et organiser les manifestations. Même lorsqu'ils vivent dans des pays qui organisent régulièrement des élections démocratiques, ils ne se sentent aucun lien avec l'élite politique au pouvoir.

En Turquie, ils contestent la politique d'urbanisation à tout va du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et ses méthodes autoritaires. Au Brésil, ils s'élèvent contre une élite politique bien installée et corrompue jusqu'à la moelle, qui se fait valoir par des projets de prestige tels la Coupe du monde et les Jeux olympiques de Río, alors qu'elle est incapable d'assurer à la population des services publics élémentaires tels la santé et l'éducation.

Pour eux, le passé militant de la présidente du Brésil Dilma Rousseff, emprisonnée sous la dictature militaire dans les années soixante-dix et figure de proue du Parti des travailleurs (PT), ne suffit pas. Ils estiment que le parti lui-même s'est laissé engloutir par le "système" corrompu, comme en témoigne un récent scandale d'achat de voix, et qu'il est désormais en partie responsable de l'inefficacité et du manque de réactivité du gouvernement.

Depuis au moins dix ans, le monde des affaires ne parle plus que de l'ascension de cette "classe moyenne mondiale". En 2008, un rapport de Goldman Sachs définissait ce groupe comme ceux dont les revenus annuels se situent entre 6 000 et 30 000 dollars [4 600 et 23 000 euros], et prédisait qu'il compterait deux milliards d'individus supplémentaires d'ici à 2030. Un rapport de 2012 de l'Institut d'études de sécurité de l'Union européenne se basait, pour sa part, sur une définition plus large de la classe moyenne pour affirmer que les effectifs de cette catégorie passeraient de 1,8 milliard aujourd'hui à 3,2 milliards en 2020 et à 4,9 milliards en 2030 (pour une population mondiale projetée de 8,3 milliards d'habitants).

L'essentiel de cette progression portera sur l'Asie, notamment la Chine et l'Inde, mais cette tendance se confirmera dans chaque région du monde, y compris en Afrique où, selon la Banque africaine de développement (BAD), la classe moyenne représente d'ores et déjà plus de 300 millions d'individus.

Les entreprises se frottent les mains en songeant à l'émergence de cette classe moyenne qui constitue un immense vivier de nouveaux consommateurs. Les économistes et les analystes d'affaires définissent généralement les classes moyennes en simples termes monétaires, intégrant dans cette catégorie tous ceux qui se trouvent dans la moyenne de la répartition des revenus de leur pays, ou dépassent le niveau de consommation absolu qui élève les ménages au-dessus du niveau de subsistance des pauvres.

Les révolutions française, bolchevique et chinoise ont toutes été emmenées par une bourgeoisie mécontente

Or, le statut de la classe moyenne se définit beaucoup mieux par l'instruction, la profession et la possession de biens, critères beaucoup plus pertinents pour prédire les comportements politiques. Pratiquement toutes les études internationales, y compris les études récentes de l'institut Pew et les données du World Values Survey (WVS) de l'université du Michigan, établissent une corrélation entre des niveaux supérieurs d'éducation et la valeur que les individus attachent à la démocratie, aux libertés individuelles et à la tolérance à l'égard de modes de vie alternatifs.

Les individus de la classe moyenne aspirent à la sécurité pour leur famille, mais réclament également des choix et des débouchés pour eux-mêmes. Les diplômés de l'enseignement secondaire s'intéressent dans l'ensemble davantage à l'actualité internationale et communiquent souvent par le biais des technologies de l'information avec des gens appartenant à la même classe sociale dans d'autres pays.

Les familles qui possèdent des biens durables (une maison ou un appartement, par exemple) s'impliquent plus activement en politique car ce sont précisément des biens que le gouvernement pourrait leur enlever. Dans la mesure où les classes moyennes sont généralement celles qui paient des impôts, elles ont tout intérêt à ce que l'Etat rende des comptes à l'opinion publique. Plus important, les nouveaux arrivants de cette catégorie ont plus de chance d'être poussés à l'action par ce que le politologue Samuel Huntington appelait "la faille" - c'est à dire l'incapacité de la société à satisfaire à l'évolution rapide des attentes de progrès socio-économiques. Alors que les pauvres se démènent pour survivre au jour le jour, les classes moyennes déçues ont davantage tendance à s'engager dans le militantisme politique afin d'obtenir satisfaction.

Cette dynamique était flagrante dans le Printemps arabe, où les manifestations en faveur d'un changement de régime étaient menées par des dizaines de milliers de jeunes relativement instruits. La Tunisie et l'Egypte ont produit de grands nombres de diplômés de l'éducation supérieure sur la génération précédente. Mais les gouvernements autoritaires de Zine El-Abidine Ben Ali et d'Hosni Moubarak étaient des régimes classiques de capitalisme de connivence, dans lesquels les débouchés économiques dépendaient largement des relations que l'on pouvait entretenir avec le pouvoir politique. Cela étant, aucun de ces deux pays n'avait enregistré une croissance économique assez rapide pour offrir des emplois à une jeunesse de plus en plus nombreuse. C'est ce qui a déclenché la révolution politique.

Ce phénomène n'a rien de nouveau. Les révolutions française, bolchevique et chinoise ont toutes été emmenées par une bourgeoisie mécontente, même si les paysans, les ouvriers et les pauvres ont par la suite pu peser sur leur phase finale. Lors du "Printemps des Peuples" de 1848, les révolutions qui ont éclaté dans pratiquement tous les pays d'Europe étaient la conséquence directe du développement des classes moyennes au cours des décennies précédentes.

Le Premier ministre Erdogan reste populaire en dehors des centres urbains

S'il est vrai que ce sont dans la plupart des cas les nouveaux arrivants des classes moyennes qui prennent la tête des manifestations, des soulèvements et, à l'occasion, des révolutions, ils est rare qu'ils réussissent à eux seuls à induire des changements politiques à long terme. Et ce, pour la simple et bonne raison que, dans les pays en développement, la classe moyenne ne représente en général qu'une petite minorité de la société, et qu'elle est elle-même traversée par des clivages internes. Sauf à rallier d'autres composantes de la société au sein d'une coalition, les mouvements qu'elle lance aboutissent rarement à des changements politiques durables.

Ainsi, après avoir provoqué la destitution de leur dictateur respectif, les jeunes manifestants de Tunis ou de la place Tahrir du Caire n'ont pas su maintenir la dynamique en organisant des partis politiques capables de se présenter aux élections nationales. Les étudiants, en particulier, ne savent absolument pas sensibiliser les paysans et la classe ouvrière afin de créer une large coalition politique. Les partis islamistes - Ennahda en Tunisie et les Frères musulmans en Egypte - disposaient en revanche d'une base sociale parmi les populations rurales. Après avoir subi des persécutions politiques pendant des années, ils étaient passés maîtres dans l'art d'organiser leurs partisans moins instruits, ce qui leur a assuré la victoire aux premières élections après la chute des régimes autoritaires.

Il se pourrait qu'il arrive la même chose aux protestataires turcs. Le Premier ministre Erdogan reste populaire en dehors des centres urbains du pays et il n'a pas hésité à mobiliser les membres de son propre parti pour la Justice et du développement (AKP) pour répondre à ses opposants. De plus, la classe moyenne turque elle-même est divisée. La croissance remarquable qu'a affiché ce pays ces dix dernières années a été alimentée en grande mesure par une nouvelle classe moyenne, pieuse et animée d'un esprit d'entreprise, qui a résolument soutenu l'AKP d'Erdogan.

Ce groupe social travaille dur et épargne. Il présente un grand nombre de qualités que le sociologue Max Weber associait au puritanisme chrétien des débuts de l'Europe moderne et qui, selon lui, avait été à la base du développement capitaliste. Or, les urbains qui descendent dans la rue en Turquie restent plus laïques et attachés aux valeurs modernes de leurs homologues d'Europe et d'Amérique. Non seulement ce groupe risque de se heurter à une répression féroce de la part d'un Premier ministre aux instincts autoritaires, mais il aura certainement du mal à tisser des liens avec d'autres classes sociales, difficulté qui a compromis d'autres mouvements similaires en Russie, en Ukraine et ailleurs.

La présidente Rousseff a une occasion en or

La situation du Brésil est très différente. Les manifestants n'auront pas à craindre une répression du gouvernement de Dilma Rousseff. Le défi sera plutôt d'éviter la cooptation à long terme par le personnel politique corrompu et bien établi qui est actuellement au pouvoir. Le fait qu'un individu appartienne à la classe moyenne ne signifie pas qu'il défendra automatiquement la démocratie ou un gouvernement "propre". De fait, une grande part de l'ancienne bourgeoisie brésilienne travaillait dans le secteur public, où elle devait composer avec les pratiques de népotisme et la mainmise de l'Etat sur l'économie. Au Brésil comme dans des pays asiatiques tels la Thaïlande ou la Chine, les classes moyennes ont soutenu des gouvernements autoritaires lorsqu'elles y voyaient le meilleur moyen d'assurer leur avenir économique.

Le décollage récent de la croissance économique brésilienne a donné naissance à une classe moyenne différente et plus entreprenante, enracinée dans le secteur privé. Mais pour défendre ses intérêts, ce groupe a deux possibilités : d'un côté, la minorité entrepreneuriale pourrait constituer le noyau dur d'une coalition de la classe moyenne désireuse de réformer de fond en comble le système politique, en faisant pressions sur la classe politique pour la contraindre à rendre des comptes et à changer les règles ouvrant la voie au clientélisme.

C'est ce qui s'est passé aux États-Unis à l'ère progressiste [entre 1890 et 1920], lorsqu'une vaste mobilisation des classes moyennes a réussi à rallier des soutiens pour réformer l'administration publique et mettre fin au clientélisme du XIXe siècle. D'un autre côté, les membres de la classe moyenne urbaine pourraient disperser leurs énergies sur de faux problèmes, tels les politiques identitaristes, ou se laisser acheter individuellement par un système qui sait récompenser grassement ceux qui apprennent à entrer dans le jeu des milieux politiques.

Rien de garantit qu'au lendemain des manifestations, le Brésil choisira la voie des réformes. Cela dépendra en grande partie du pouvoir. La présidente Rousseff a une occasion en or de prendre prétexte des soulèvements pour lancer une réforme systémique beaucoup plus ambitieuse. Jusqu'à présent, elle s'est montrée très prudente et, dans la mesure où elle est soumise aux contraintes de son propre parti et de sa coalition politique, on ne sait pas jusqu'à quel point elle est prête à s'attaquer à l'ordre ancien. Mais tout comme en 1881 quand l'assassinat du président James A. Garfield par un candidat malheureux à un poste diplomatique avait fourni une occasion d'engager de vastes réformes afin de moraliser la vie publique aux États-Unis, le Brésil pourrait profiter des manifestations pour changer radicalement d'orientation.

La croissance économique mondiale amorcée dans les années 1970 - marquée par un quadruplement de l'activité économique à l'échelle internationale - a modifié la donne sociale dans tous les pays du monde. Dans ce qu'il est convenu d'appeler les "marchés émergents", les classes moyennes sont plus nombreuses, plus riches, mieux éduquées et plus reliées que jamais par les technologies.

Dans le monde riche, la génération adulte a trahi la jeune génération

Ce sont là des facteurs qui ont des conséquences importantes pour la Chine, dont la classe moyenne se chiffre maintenant en centaines de millions d'individus et représenterait un tiers de la population totale. Ce sont les gens qui communiquent par Sina Weibo - le Twitter chinois -, et ont pris l'habitude de dénoncer et de se plaindre de l'arrogance et de la duplicité du gouvernement et de la nomenklatura du parti. Ils réclament une société plus libre, mais rien ne dit que sur le court terme, ils appellent nécessairement de leurs vœux une démocratie fondée sur le suffrage universel.
Ce groupe sera particulièrement éprouvé lorsque, dans la décennie à venir, la Chine s'efforcera de passer d'une société à revenus moyens à une société à hauts revenus. Les taux de croissance économique accusent déjà un ralentissement depuis deux ans et ils reviendront nécessairement à un niveau plus modeste à mesure que l'économie du pays arrivera à maturité. La machine des emplois industriels que le régime fait tourner depuis 1978 ne répondra plus aux gens. Chaque année, ce sont déjà six à sept millions de diplômés qui sortent des universités chinoises, et ils ont moins de perspectives d'emploi que leurs parents ouvriers. S'il existe bien quelque part une "faille" entre l'évolution rapide des attentes et une réalité décevante, c'est en Chine qu'elle se manifestera dans les années à venir, avec des conséquences considérables sur la stabilité du pays.

En Chine comme dans d'autres régions du monde en développement, la montée d'une nouvelle classe moyenne sous-tend le phénomène que Moises Naím, de la fondation Carnegie pour la paix internationale, décrivait comme "la fin du pouvoir". Les classes moyennes ont été aux premières lignes pour protester contre les abus de pouvoir, dans les Etats démocratiques comme dans les dictatures. Elles doivent maintenant convertir ces mouvements de contestation en changements politiques durables, concrétisés par un renouvellement des institutions et de nouvelles orientations politiques. En Amérique latine, le Chili s'est distingué par sa croissance économique et l'efficacité de son système politique démocratique. Pourtant, on assiste depuis ces dernières années à une multiplication exponentielle des manifestations de lycéens dénonçant les insuffisances du système d'éducation publique du pays.

La nouvelle classe moyenne ne représente pas un défi que pour les régimes autoritaires ou les jeunes démocraties. Aucune démocratie établie ne doit croire qu'elle peut se reposer sur ses lauriers par le simple fait qu'elle organise des élections et que les sondages d'opinion sont favorables à ses dirigeants. Forte du pouvoir que lui confèrent les nouvelles technologies, la classe moyenne se montrera extrêmement exigeante à tous égards envers sa classe politique.

Les États-Unis et l'Europe connaissent une croissance anémique et des taux de chômage élevés et persistants qui, pour la jeunesse de pays comme l'Espagne, atteignent 50 %. Dans le monde riche, la génération adulte a par ailleurs trahi la jeune génération en lui léguant des dettes écrasantes. Aucun politicien américain ou européen ne doit observer avec complaisance les événements qui se jouent aujourd'hui dans les rues d'Istanbul et de São Paulo. Ce serait une grave erreur que de se dire que "cela ne peut pas arriver ici".


    The Wall Street Journal |
    Francis Fukuyama* |
    6 juillet 2013

A titre personnel, je retiens l'extrême difficulté des jeunes militants de ces nouvelles classes moyennes, à communiquer avec les pauvres de leur ville, avec les paysans et les ouvriers.

La grande nouveauté, qui dura environ un siècle et demi, disons en gros 1830-1980, était que la classe nouvelle, la classe ouvrière, avait pu susciter des intellectuels en son sein, notamment grâce à la généralisation de l'instruction et de l'imprimé. Il faut avoir connu ces militants communistes de grande valeur, que ce soit à l'usine, ou pour créer une association de locataires efficace dans une ville nouvelle, pour percevoir ce que nous avons perdu.

Formellement héritier du mouvement ouvrier, le PS actuel en France va jusqu'au bout de ses trahisons, abandonnant les pauvres des quartiers aux rackets et aux incivilités des envahisseurs conquérants, abandonnant toute souveraineté industrielle ou monétaire au profit de ses maîtres, amusant la foule avec ses gadgets homosexualistes et féminazis, et autres canulars monstrueux (genre ULCOS).
« Modifié: 08 juillet 2013, 03:29:58 pm par JacquesL »