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Auteur Sujet: La fondation Rockefeller et les débuts de la recherche sur la guerre psychologiq  (Lu 1103 fois)

JacquesL

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La fondation Rockefeller et les débuts de la recherche sur la guerre psychologique

http://www.agoravox.fr/ecrire/?exec=articles&id_article=170825
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-fondation-rockefeller-et-les-170825

Citer
Cet article est la traduction de The Rockefeller Foundation and Early Psychological Warfare Research, publié par James F. Tracy sur Memory Hole.




La fondation Rockefeller a été la principale source de financement pour la recherche concernant l'opinion publique et la guerre psychologique entre la fin des années trente et la fin de la seconde guerre mondiale. Le gouvernement et les grandes entreprises n'ayant pas encore manifesté d'intérêt particulier ni soutenu les études en lien avec la propagande, la plus grande partie du financement de ces recherches provenait de cette puissante organisation qui comprit l'importance d'évaluer et d'orienter l'opinion publique dès l'immédiat avant-guerre.

 L'intérêt philanthropique des Rockefeller pour l’opinion publique recouvrait deux aspects :

    Évaluer et modifier l’environnement psychologique des États-Unis en prévision de l’engagement américain dans la guerre mondiale à venir.

    Mener une guerre psychologique et supprimer l’opposition populaire à l’étranger, en particulier en Amérique Latine.

 Après avoir constaté que l’administration de Franklin Roosevelt était embourbée politiquement et que sa capacité à préparer la guerre en termes de propagande interne et externe était amoindrie, la fondation Rockefeller a installé des projets et des instituts de recherche à l’université de Princeton, à l’université de Stanford et à la New School for Social Research pour superviser et analyser les transmissions radio à ondes courtes venant de l’étranger.

 Les « pères fondateurs » de la recherche sur les communications de masse n’auraient jamais pu créer ce champ d’études sans les largesses des Rockefeller. Tout comme Harold Laswell, propagandiste durant la première guerre mondiale et expert en sciences politiques à l’université de Chicago, le psychologue Hadley Cantril fut un contributeur majeur aux connaissances et aux informations qui permirent à l’empire américain ainsi qu’aux entreprises contrôlées par les Rockefeller de dominer la période post-seconde guerre mondiale. Durant cette période, Cantril a fourni au conglomérat Rockefeller d’importantes informations et de nouvelles techniques de mesure et de contrôle de l’opinion publique en Europe, en Amérique Latine et aux États-Unis.

 Cantril, camarade de chambre de Nelson Rockefeller à la faculté de Darmouth à la fin des années 20, a obtenu un doctorat en psychologie à Harvard et a co-écrit The Psychology of Radio en 1935 avec Gordon Allport, son directeur de thèse. Cantril et Allport firent remarquer que « la radio est un moyen de communication entièrement nouveau, primordial en tant qu’outil de contrôle social, et historique quant à son influence sur le paysage mental de l’humanité. »

 L’étude suscita l’intérêt de John Marshall, responsable de la section sciences humaines à la fondation Rockefeller, qui était chargé par la fondation de convaincre les diffuseurs privés d’inclure d’avantage de contenu éducatif dans leur programmation, élaborée jusqu’alors dans l’optique d’attirer les annonceurs publicitaires. Pour y parvenir, Rockefeller finança des associations au sein des réseaux de diffusion CBS et NBC.

 Au courant du lien unissant Rockefeller et Cantril depuis Dartmouth, Marshall incita ce dernier à postuler à la fondation pour obtenir son soutien. Cantril obtint une bourse de 67 000$ permettant d’assurer le financement du « Princeton Radio Project » (PRP) pendant deux ans à l’université de Princeton. Là, Cantril mena des études portant sur les effets de la radio sur le public. En 1938, Cantril devint également un des rédacteurs qui fondèrent la revue financée par la fondation Rockefeller, Public Opinion Quarterly, un organe étroitement associé aux opérations de guerre psychologique menées par le gouvernement américain après la seconde mondiale.

 Lorsque l’entreprise de Princeton ouvrit ses portes, le directeur de la recherche de CBS Frank Stanton, un autre psychologue confirmé, et lui aussi proche de Rockefeller, fut nommé directeur de recherche de PRP, mais il occupa un rôle secondaire de directeur associé, en raison de sa position à CBS. C’est à cette époque que Paul Lazarsfeld, un émigré autrichien expert en sciences sociales, fut recruté pour se joindre à Cantril. C’est ainsi que Cantril, Stanton et Lazarsfeld furent associés, et qu’ils furent mis dans des conditions idéales pour se lancer dans une étude de grande ampleur sur l’opinion publique et la persuasion.

 L’opportunité pour mener une analyse de ce type se présenta à l’occasion de la diffusion par CBS de l’adaptation par Orson Welles de La Guerre des Mondes de H.G. Wells, le 30 octobre 1938. Lazarsfeld considéra qu’il s’agissait d’un événement particulièrement remarquable, et demanda immédiatement à Stanton un financement par CBS pour étudier les réactions à ce qui constituait alors le plus important acte de persuasion de masse de l’histoire de l’humanité. Au cours des mois qui suivirent, les témoignages des auditeurs de La Guerre des Mondes furent recueillis, puis transmis à Stanton à CBS avant qu’ils fussent analysés dans l’étude publiée par Cantril en 1940 : The Invasion From Mars : A Study in the Psychology of Panic.

 Soulignant le manque « d’informations basiques sur la formation et l’évolution » de l’opinion publique, la fondation s’efforça par la suite de mieux comprendre cette dernière en tant de guerre. Le rapport de la fondation pour 1939 déclare que : « La guerre en Europe a offert à ce pays une opportunité unique d’étudier le développement de l’opinion publique, les changements qui l’affectent en fonction du contexte, et les motifs de ces changements ».

 Après avoir confié à Cantril la tâche de passer en revue les données regroupant plusieurs années de sondages et d’interviews, la direction de la fondation a conclu que le projet :

    fournirait des faits essentiels quant à la formation et aux tendances de l’opinion publique lorsqu’on passe de l’état de paix à celui de guerre, puis d’un état à l’autre sous l’influence de guerres successives. Nous nous attendons à ce qu’une analyse plus poussée des données démontre l’influence de facteurs tels que les relations familiales, le niveau d’éducation et l’occupation professionnelle ; l’origine des groupes manifestant un fort intérêt, ou une absence d’intérêt, sur de nombreux sujets.

 C’est ainsi, l’entrée des États-Unis dans la seconde guerre mondiale étant désormais imminente, que Rockefeller fournit 15 000$ à Princeton pour mettre en place l’Office of Public Opinion Research [ndt : OPOR, bureau de recherche sur l’opinion publique]. L’un des principaux objectifs de l’OPOR était d’examiner de façon systématique le processus de formation de l’opinion, les facteurs motivant les sentiments du public envers certains sujets et, comme le disait Cantril : « de suivre les fluctuations de l’opinion publique durant la guerre qui avait déjà débuté en Europe, et dans laquelle j’avais le sentiment que les États-Unis seraient bientôt impliqués ».

 En 1940, la fondation fit passer la dotation dévolue à la recherche sur l’opinion publique et les communications de masse à 65 000$, dont 20 000$ furent alloués à l’OPOR de Cantril. De plus, 25 000$ furent accordés à l’école des affaires publiques et internationales de Princeton pour surveiller et évaluer les transmissions radio européennes à ondes courtes, et 20 000$ à Harold Lasswell, l’expert en sciences politiques de l’université de Chicago, pour qu’il crée un institut à la bibliothèque du Congrès « afin d’y mener un plus grande nombre d’études sur les transmissions radio, la presse et d’autres médias ». Une station de surveillance des transmissions de radio à ondes courtes fut mise en place à l’université de Stanford pour évaluer les communications en provenance d’Asie.

 Cantril parvint, grâce à des méthodes d’échantillonnage secrètes, à prédire le comportement des électeurs à l’occasion de référendums importants au Canada et aux États-Unis. Ces réussites rappelèrent le jeune psychologue au bon souvenir de son ancien camarade de classe Nelson Rockefeller, qui était alors un proche collaborateur de Franklin Roosevelt. Rockefeller supervisait le bureau du coordinateur des affaires inter-américaines au département d’état, une branche du renseignement américain dont l’activité principale consistait à mener des opérations de guerre psychologique en Amérique Latine. Étant donné la répulsion qu’éprouvaient les américains envers la propagande, des titres tels que ceux donnés à l’agence de Rockefeller avaient pour but de masquer la nature de ce type d’opérations.

 L’une des principales préoccupations de Rockefeller était de vérifier l’état de l’opinion en Amérique du Sud, dans l’optique d’implanter dans la région les intérêts bancaires et pétroliers des Rockefeller. Selon lui, le pouvoir ne se manifesterait plus par le contrôle militaire sur des colonies, mais plutôt par l’exercice d’un soft power, où la compréhension et l’anticipation des tendances de l’opinion publique tiendraient une place centrale. C’est à cette fin qu’à la fin des années 40, Rockefeller aida Cantril et l’imprésario de l’opinion publique George Gallup à créer l’American Social Surveys, une entité à but soi-disant non lucratif qui analysait méticuleusement les évolutions de l’opinion publique en Amérique du Sud.

 En 1942, Cantril posa également la première pierre de The Research Council, Inc. grâce à un financement initial du magnat de la publicité Gerard Lambert. Établi à Princeton, le Research Council se lança dans une enquête à l’échelle nationale pour évaluer l’opinion publique en tant de guerre, et pour anticiper l’état de l’environnement après la fin des hostilités. En se servant de Rockefeller comme d’un intermédiaire, Roosevelt étudia avec attention les résultats des recherches de Cantril pour rédiger ses discours pendant la guerre. Le Research Council commença alors à mettre en œuvre des projets en Afrique du Nord pour le compte du département de la guerre psychologique du renseignement militaire, pour celui du département d’état concernant l’attitude des américains envers les affaires étrangères, et pour l’Office of Strategic Services [ndt : OSS, le précurseur de la CIA] à propos de l’état de l’opinion publique en Allemagne.

 Le Research Council de Cantril poursuivit ses activités en faveur des intérêts américains après la guerre, évaluant l’opinion publique en France, aux Pays-Bas et en Italie pour y anticiper et étouffer dans l’œuf les mouvements populaires politiques et sociaux. On apprit par la suite que, pendant la majeure partie de son existence, le Research Council avait été financé par la CIA via la fondation Rockefeller, une technique fréquemment employée par Rockefeller pour soutenir divers projets secrets.

 Nelson était si satisfait des analyses de Cantril sur l’opinion publique européenne qu’alors qu’il occupait le poste de consultant pour la guerre psychologique auprès du président Eisenhower en 1955, il offrit au chercheur ainsi qu’à son associé Lloyd Free un patronage à vie portant sur une somme d’un million de dollars, afin qu’il continue à fournir des informations de ce type. Cantril se souvient que « Nelson a toujours été profondément convaincu qu’il convenait d’utiliser les outils et concepts fournis par la psychologie pour atteindre à une meilleure compréhension des peuples ». Nanti de cette somme formidable, à propos de laquelle le New York Times a révélé par la suite qu’elle provenait en fait de la CIA, qui avait utilisé la fondation Rockefeller comme écran, les chercheurs créèrent une structure à but non-lucratif, l’Institute for International Social Research, au sein duquel Rockefeller était listé en tant qu’un de ses principaux administrateurs.

 L’intérêt de la fondation Rockefeller pour l’art de la persuasion aux États-Unis alla croissant tout au long de la guerre. Par exemple, entre 1938 et 1944, l’organisation dépensa un total de 250 000$ pour la production de films documentaires et éducatifs par l’intermédiaire de l’American Film Center. À la fin des années 40, les responsables de la fondation avaient développé un intérêt encore plus prononcé pour la manipulation de l’opinion. Comme on peut le lire dans le rapport de la fondation pour 1948 : « Une bonne compréhension des changements dans la communication et dans l’état d’esprit général est importante pour notre système éducatif, pour les dirigeants de grandes organisations, et pour ceux qui s’intéressent aux comportements et aux opinions politiques ». C’est ainsi que la fondation Rockefeller mena une opération de financement sans précédent de la recherche sur la guerre psychologique. En 1954, par exemple, un fonds de 200 000$ fut alloué au psychologue de Yale Carl Hovland pour financer ses études sur la persuasion et les modifications de l’état d’esprit.

 Avec la guerre froide en toile de fond, le financement de ce type de travaux fut néanmoins de plus en plus assuré par l’armée américaine, qui recrutait le plus souvent les experts en sciences sociales formés sous les auspices de Rockefeller. Comme l’a remarqué l’historien Christopher Simpsons, le financement gouvernemental durant l’après-guerre représentait au moins 75% des budgets du Bureau of Applied Social Research de Lazarsfeld à l’université de Columbia, ainsi que pour l’Institute for International Social Research de Cantril à Princeton.

 Traditionnellement, la classe dirigeante à laquelle appartient la famille Rockefeller ne faisait pas de distinction entre les individus américains et étrangers, en tant qu’ils constituaient des cibles pour la propagande et la modification comportementale, ce qui explique les efforts menés par la fondation Rockefeller dans les domaines plus globaux de l’éducation et des sciences sociales. Lorsqu’on se place dans une perspective où les frontières nationales sont le plus souvent considérées comme des obstacles à des projets de pouvoir et de contrôle politico-économique, tout un chacun est également soumis à des manœuvres de manipulation et de persuasion, ainsi qu’à l’ingénierie du consentement qui est mise en œuvre.

 L’intérêt des Rockefeller pour la guerre psychologique ne constitue cependant qu’un simple chapitre d’une saga bien plus vaste. Pour s’en convaincre, il suffit de contempler les conséquences du soutien apporté à certaines approches philosophiques et pédagogiques dans le système éducatif américain, mises en œuvre dès le début du dix-neuvième siècle, et qui ont entraîné une baisse importante de la qualité des structures éducatives. On peut également examiner les autres activités philanthropiques des Rockefeller, qui, entre les tentatives d’apaisement d’une population choquée par le massacre de Ludlow ou les fameux dons de pièces de dix cents de John D. Rockefeller, ont constitué un exercice approfondi et méticuleusement orchestré de gestion de l’impression.

 

James F. Tracy est professeur en sociologie des médias à la Florida Atlantic University.

Références

- Cantril, Hadley et Gordon Allport. 1935. The Psychology of Radio. New York : Harper & Brothers Publishers.

- Cantril, Hadley. 1940. The Invasion from Mars : A Study in the Psychology of Panic. Princeton NJ : Princeton University Press.

- Cantril, Hadley. 1967. The Human Dimension : Experiences in Policy Research. New Brunswick, NJ : Rutgers University Press.

- Cramer, Gisela. 2009. “The Rockefeller Foundation and Pan-American Radio”, dans Patronizing the Public : American Philanthropy’s Transformation of Culture, Communication and the Humanities, pp. 77-99, par William J. Buxton (ed.). Lanham MD : Lexington Books.

- Engdahl, F. William. 2009. Gods of Money : Wall Street and the Death of the American Century. Joshua Tree, CA : Progressive Press.

- Gary, Brett. 1999. Propaganda Anxieties From World War I to the Cold War, New York : Columbia University Press.

- Glander, Timothy R. 1999. Origins of Mass Communication Research During the American Cold War : Educational Effects and Contemporary Implications. New York : Routledge.

- Lazarsfeld, Paul F. 1969. “An Episode in the History of Social Research : A Memoir”, dans The Intellectual Migration : Europe and America, 1930-1960, pp. 270-337, par Donald Fleming et Bernard Bailyn (eds.). Cambridge, MA : Harvard University Press.

- Maessen, Jurriaan. 2012. “Documents Reveal Rockefeller Foundation Actively Engaged in Mass Mind-Control”, Infowars.com, 4 mars, http://www.infowars.com/documents-reveal-rockefeller-foundation-actively-engaged-in-mass-mind-control/

- Pooley, Jefferson. 2008. “The New History of Mass Communication Research”, dans The History of Media and Communication Research : Contested Memories, pp. 43-69, par Jefferson Pooley and David W. Park (eds.). New York : Peter Lang.

- Rockefeller Foundation Annual Report – 1939. New York : Rockefeller Foundation. https://assets.rockefellerfoundation.org/app/uploads/20150530122137/Annual-Report-1939.pdf

- Rockefeller Foundation Annual Report – 1940. New York : Rockefeller Foundation. https://assets.rockefellerfoundation.org/app/uploads/20150530122139/Annual-Report-1940.pdf

- Simpson, Christopher. 1993. Science of Coercion : Communication Research and Psychological Warfare, 1945-1960. New York : Oxford University Press.

- Shaplen, Robert et Arthur Bernon Tourtellot (eds.). 1964. Toward the Well Being of Mankind : Fifty Years of the Rockefeller Foundation. Garden City NY : Doubleday & Company.

Traduction : http://triangle.eklablog.com/
« Modifié: 22 août 2015, 09:22:18 pm par JacquesL »