Khodorkovski : « L’ennemi numéro un de Poutine » par Virgile Thomas, lundi 28 décembre 2015.
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par Virgile Thomas (son site)
lundi 28 décembre 2015
La justice russe a récemment lancé un mandat d’arrêt international contre Mikhaïl Khodorkovski pour complicité d’assassinat. Les médias occidentaux ont ressorti leurs arguments habituels à propos d’un prétendu acharnement contre « l’ex homme le plus riche de Russie » qualifié selon les cas de « ex magnat du pétrole et critique du Kremlin[1] », de « ancien oligarque russe, devenu ennemi numéro un de Poutine[2] », de « moine combattant[3] » ou « l’opposant en exil[4] » pour ne citer que quelques exemples. De son côté, Mikhaïl Khodorkovski clame depuis le début de ses ennuis judicaires en 2003 qu’il s’agit de procès politiques, ce qui, d’une part, est « de bonne guerre », et d’autre part, n’est pas tout à fait faux. Il faut seulement savoir de quoi on parle, et surtout de quelle politique il s’agit.
La condamnation de Mikhaïl Khodorkovski a soulevé, il y a douze ans, un tollé général, bien organisé, en Occident, alors que les Russes de leur côté n’y voyaient rien d’autre qu’une décision de justice logique, la place des voleurs étant naturellement en prison.
Au moment où nous allons être soumis de nouveau à l’habituelle propagande russophobe, je vous propose de nous intéresser à Mikhaïl Khodorkovski et de tenter de savoir qui il est véritablement, qui il sert, qui le soutien et pourquoi il est un des rares oligarques à avoir fait de la prison alors que la plupart de ses « collègues » se sont rendus coupables des mêmes malversations. Pour cela, je présenterai trois périodes de sa vie, la jeunesse et les premières affaires, les privatisations et enfin la présidence de la société pétrolière Youkos.
A sa libération, gracié par Vladimir Poutine, Mikhaïl Khodorkovski s’est installé en Suisse où il a obtenu facilement un permis de séjour. Peu de temps après, alors qu’il avait commencé par annoncer qu’il n’aurait pas d’activité politique, l’oligarque expliquait qu’il n’excluait pas de devenir un jour président de la Fédération de Russie, explication transformée rapidement dans les médias occidentaux en « Khodorkovdki brigue la présidence... ».
Si l’homme est aussi intelligent que l’on veut bien le dire, et je crois qu’il l’est, il sait très bien qu’il n’a aucune chance de réussir quoi que ce soit en politique en Russie. Il pourra toujours dire que c’est la faute de Vladimir Poutine qui le craint tellement qu’il ne veut pas le laisser revenir. En réalité, ce n’est pas le président qui ne veut pas de lui, c’est le pays tout entier. Un autre que M. Khodorkovski, et qui avait une réputation moins sulfureuse, a cru que sa fortune et son sens des affaires lui permettrait de se mêler de politique. Il s’est présenté aux élections présidentielles de 2012 et, après avoir dépensé près de cent millions de dollars, a été crédité de 7 pour cent des voix. Il s’est depuis retiré de la politique.
La population russe ne veut plus des oligarques qu’elle considère comme des voleurs. Il faut dire que ces derniers se sont enrichis à une vitesse incroyable en participant à la distribution entre initiés de la richesse nationale que l’on a appelé « privatisation de l’économie ». Mikhaïl Khodorkovski est de ceux-là.
Il est même l’un de ceux qui ont le mieux réussi car il a pris le départ très tôt, bien avant les autres. Il était millionnaire avant la fin de l’Union Soviétique en décembre 1991. Il doit cette fortune à sa position au cœur du système soviétique. En 1986 il décroche un diplôme d’ingénieur chimiste, mais il occupe déjà un poste important dans le Komsomol de Moscou. Il s’agit de l’organisation de la jeunesse communiste d’Urss. Il est également membre du parti communiste. A cette époque, les relations dans la hiérarchie du parti, au Komsomol ou au KGB étaient des atouts bien plus sûrs qu’une quelconque mise de fonds initiale. La protection de personnes haut placées servait de capital. Mikhaïl Khodorkovski a visiblement ce trait de personnalité de certains jeunes qui fait qu’ils attirent la sympathie des personnes plus âgées qu’eux, occupant des positions de responsabilité, et les rendent désireuses de les aider. De les aider tout en se servant d’eux, évidemment. De plus, c’est un membre du sérail, ce qui renforce la confiance qu’il inspire au premier abord.
En 1985, après être devenu le plus jeune secrétaire général du parti, Mikhaïl Gorbachev lançait ses réformes, la « glaznost » et la « perestroïka ». La première était une réforme politique qui, pratiquement, supprimait la censure. La seconde permettait la création de petites sociétés privées, des coopératives, dans des domaines divers comme les cafés, restaurants, boulangeries, sociétés de construction etc. Ces créations étaient bien entendu sujettes à autorisation. Les premiers à se lancer dans l’aventure furent les membres du Komsomol et, en particulier, celui de Moscou. En effet, les cotisations, première source de revenu du Komsomol, avaient diminué de façon dramatique et les dirigeants cherchaient désespérément une nouvelle source de revenus. Ce sont donc eux, avec leurs aînés au sein du parti communiste qui se lancèrent les premiers. Le jeune Mikhaïl Khodorkovski leur emboîte le pas avec leur bénédiction et leur protection. Il a également la fougue de la jeunesse alors que les membres plus âgés du Komsomol pensent que cette expérience sera de courte durée et que l’état reprendra le contrôle des nouvelles sociétés privées, tôt ou tard.
Sa première entreprise est un café étudiant, mais, de son propre aveu, l’opération a été mal montée et le café périclite faute de clients. L’emplacement a été mal choisi. Il décide donc de se lancer dans un autre domaine où sa formation et ses relations peuvent lui servir plus directement. Il crée alors la « Fondation pour l’Initiative des Jeunes » et s’adresse à un institut de recherche prestigieux, « l’Institut des Hautes Températures » dont le directeur lui sera d’une aide précieuse au départ. L’idée telle qu’il la lui présente, est de sous-traiter des projets scientifiques limités qui seraient menés par de jeunes diplômés travaillant pour le « club de jeunes » de Mikhaïl Khodorkovski.
Mais il ne lui explique pas la suite de l’opération. Cette suite, qui est le véritable objectif de la Fondation, est de tirer partie du double marché du rouble en Urss. Il existait, à l’époque, deux types de monnaie : l’une, fiduciaire, constituée des roubles papier en circulation servait essentiellement aux entreprises à payer les salaires. L’autre, monnaie purement scripturale, ou unité de compte, servait à équilibrer les comptes des entreprises lors des échanges en nature dont le solde n’était jamais nul. Les subventions de l’état se faisaient sous forme de rouble scriptural qui « circulait » en grande quantité dans les comptes des sociétés soviétiques. Les entreprises ne pouvaient pas transformer le rouble scriptural en rouble papier, les deux types de monnaie étaient contrôlés par la banque centrale. En conséquence, le rouble fiduciaire avait une valeur beaucoup plus élevée que le rouble scriptural.
Mikhaïl Khodorkovski, lui, a trouvé le moyen de faire le change d’une monnaie vers l’autre, dans le sens scriptural vers fiduciaire, évidemment. Cette possibilité lui vient de ses nombreux soutiens aux plus hauts niveaux de la hiérarchie du parti et du Komsomol. Une telle autorisation vaut de l’or et il sait se montrer reconnaissant envers ses protecteurs. Sa force vient à la fois de ses relations, de la sympathie qu’il suscite auprès des responsables plus âgés que lui et, bien entendu aussi, de « son sens du partage ».
Il peut, dès lors, facturer les services de sa « Fondation pour l’Initiative des Jeunes » en roubles scripturaux, ce que les directeurs d’entreprises apprécient car ils en ont en grande quantité et ne savent pas toujours à quoi les employer. Mikhaïl Khodorkovski les transforme ensuite en roubles fiduciaires au taux nominal. Au début, les études facturées sont réellement réalisées, puis elles sont copiées sur des travaux scientifiques portant sur des sujets approchant et parfois, aucune étude n’est produite. A quoi bon s’attacher à un tel « formalisme » quand tout part à vau l’eau et que personne ne se soucie plus de contrôler quoi que ce soit. Une partie des montants facturés revient évidemment au directeur qui a commandé l’étude.
Assez rapidement, Mikhaïl Khodorkovski améliore considérablement le rendement de l’opération en changeant immédiatement ces roubles en dollars américains. Là encore, ses relations lui servent pour effectuer l’opération de change qui, à l’époque était illégale. Il ne fallait pas être un brillant trader pour faire des bénéfices dans ce genre de transaction, le cours du rouble étant solidement installé dans une tendance baissière.
Parallèlement à cela, c’est effectivement un jeune hyperactif, il importe différents biens de consommation, et, en particulier des ordinateurs. A cette époque en Russie, il manquait beaucoup de biens de consommation et le simple fait d’être capable d’aller les acheter à l’étranger et de les importer vous garantissait un bénéfice proche de cent pour cent, net d’impôts, évidemment. Il fallait bien sûr une mise de fonds de départ car en Europe, pas un vendeur n’aurait accepté de charger le moindre camion sans avoir vu la couleur de l’argent destiné à payer la marchandise.
Mikhaïl Khodorkovski a cette mise de fonds initiale, provenant de ses autres affaires. Mais les opérations d’importation sont tellement bénéficiaires qu’il décide d’augmenter substantiellement les volumes. Pour cela, il lui faut des concours bancaires.
Il va donc à la banque centrale, présenté par un « ami », pour demander à ce que sa société bénéficie d’un prêt, ce à quoi on lui répond que la banque centrale ne prête d’argent qu’aux banques. Que faire ? Eh bien créer une banque, bien sûr. (à suivre)
[1] Le Nouvel Observateur[1], le 28.09.2011.
[2] Le Nouvel Observateur le 24.10.2012 à propos du documentaire du réalisateur allemand Cyril Tuschi sur “l’Affaire Khodorkovski”.
[3] idem
[4] Le Monde, 11.12.2015 à propos du mandat d’arrêt.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-ennemi-numero-un-de-poutine-2eme-175909Dans la première partie de cette série j’ai présenté les activités de Mikhaïl Khodorkovski jusqu’en décembre 1988, date de création de la banque MENATEP. Avant d’aller plus loin et de parler de la création de cette banque et de ses activités, je voudrais revenir sur la situation de la Russie, juste après la chute de l’Union Soviétique.
La chute de l’URSS, en décembre 1991, est le résultat d’un processus qui plonge beaucoup plus loin dans l’histoire de l’Union Soviétique. On la résume souvent à un acte unique, mais en réalité c’est la conséquence des nombreux dysfonctionnements du système communiste et des réformes initiées par Mikhaïl Gorbachev, pour corriger ces dysfonctionnements. Certains historiens russes ont d’ailleurs accordé la paternité de ces réformes à Youri Andropov, ancien chef du KGB et éphémère premier secrétaire du parti communiste, avant Gorbatchev. Leur raisonnement est que seul le directeur du KGB avait une vision de l'état réel du pays, alors que les vérités désagréables étaient cachées aux dirigeants politiques. Andropov était donc l'un des rares à avoir pu se rendre compte que l'économie du pays était au bord de l'implosion et qu'il était urgent de faire quelque chose.
Quoi qu’il en soit, c’est bien Mikhaïl Gorbachev qui a lancé les réformes. Mais comme ces réformes arrivaient beaucoup trop tard, la réaction du pays a dépassé ce qui était imaginé par ses dirigeants et le mouvement à complètement échappé à son initiateur. Mikhaïl Gorbatchev n’avait absolument pas l’intention de provoquer la fin de l’URSS, son objectif était plutôt de desserrer l’étau d’hypocrisie qui enserrait l’Union Soviétique et de relancer l’économie.
La disparition du système soviétique et le plongeon non préparé du pays dans l’économie de marché sont à l’origine, pour la jeune Fédération de Russie, d’une période trouble de décadence économique, politique et sociale qui a duré huit ans environ, et a laissé des traces durables. Nous remarquerons au passage qu’une très grande partie de ce qui est reproché par l’occident à Vladimir Poutine n’est que le produit de cette période dans laquelle il n’a aucune responsabilité et dont les effets n’ont pas encore totalement disparu, malgré les efforts déployés.
Nous ne nous intéresserons, pour ce qui concerne les œuvres de Mikhaïl Khodorkovski, qu’aux privatisations des entreprises et à l’ambiance dans laquelle elles ont eu lieu.
Le grand organisateur de cette dénationalisation, en sa qualité de président du Comité d'Etat chargé de la gestion des biens publics, a été Anatoly Tchoubaïs. L’objectif de l’opération était de distribuer aux citoyens de la nouvelle Russie l’ensemble des biens qui appartenaient auparavant à l’Etat. Il s’agissait on s’en doute d’un énorme chantier qu’Anatoly Tchoubaïs a organisé avec l’aide de conseillers étrangers envoyés principalement par les Etats Unis (Université de Chicago et Harvard) et l’Europe (programme TACIS).
Le pays et ses habitants sont passés en un très court laps de temps (quelques mois) d’une économie étatisée à une économie privatisée sans savoir ce que la nouvelle situation représentait. On commencé à jouer à un nouveau jeu dont on n'avait pas les règles. Comment alors punir les tricheurs ? Et d’ailleurs qu’est-ce que c’est que tricher quand il n’y a pas de règles du jeu ?
En effet, le pays continuait à vivre sous les lois soviétiques. Ces lois pouvaient éventuellement être « adaptées » à la situation nouvelle dans la plupart des domaines, mais dans le domaine économique et commercial les lois anciennes ne pouvaient servir à réguler le nouveau système. La nouvelle économie s’est donc installée sans aucune régulation, la loi applicable étant alors la loi du plus fort. Que faire quand on ne peut assigner un concurrent devant un tribunal ? Qui lui envoyer quand on ne peut pas lui envoyer un huissier ou un avocat ? Comment régler les différents concernant la propriété des entreprises ? Comment condamner les escrocs quand la loi ne définit même pas l’escroquerie ? Les années 90, après la chute de l’Urss ont été marquées par une violence qui est allée de nombreuses fois jusqu’au meurtre d’un concurrent, d’un adversaire ou d’un fonctionnaire trop zélé. Le meurtre a été, pour certains, un outil parmi d’autres de gestion des entreprises dont ils avaient pris le contrôle ou d’organisation d’opérations de « fusions et acquisitions ». N’oublions pas que dans de nombreux cas, les sommes en jeu étaient énormes, se comptant en milliards de dollars.
Les experts étrangers qui conseillaient le gouvernement ont su également ne pas se montrer trop pointilleux sur les méthodes employées. Il m’a été donné de d’interviewer l’un d’eux dans ces années là. Lorsque je lui ai fait remarquer comment se passait la privatisation, il a eu cette réaction : « Evidemment nous préfèrerions que la privatisation se fasse de manière plus civilisée, que les nouveaux dirigeants se comportent autrement, qu’ils soient des gestionnaires, que de véritables escrocs ne prennent pas le contrôle d’entreprises importantes, comme c’est parfois le cas. Mais notre objectif premier est que la privatisation se fasse le plus rapidement possible. Nous voulons atteindre le plus vite possible une sorte de "point de non-retour" au delà duquel il n'y aura plus de possibilité de revenir au système communiste. Ce point sera atteint quand le groupe des nouveaux dirigeants aura atteint une masse critique qui puisse lui permettre de résister victorieusement à des tentatives politiques de renationalisation ultérieures de l’économie. Nous n’avons peut-être pas beaucoup de temps pour y arriver. » Je n’insisterai pas sur ceux de ces conseillers étrangers qui ont tiré un profit personnel dans l’opération.
Voilà brossé rapidement l’arrière plan de l’histoire qui nous intéresse ici. Revenons donc à la création de la banque MENATEP.
Dans les conditions décrites plus haut, le système bancaire russe a commencé à se développer de façon sauvage et sans réel contrôle de l'Etat. Cela a donné lieu à toutes sortes d'excès à commencer par le nombre d'établissements créés. Avant la crise de 1998, il y avait, en Russie, un peu plus de 2.200 banques.
Il s'agissait souvent de « banques de poche » créées par des personnes physiques ou morales pour abriter une certain nombre d'activités légales et non légales, en particulier les transferts illégaux vers l'étranger, le blanchiment et la fraude fiscale. Dans les années 92-96 les transferts illégaux se comptaient chaque année en centaines de milliards de dollars. Bien que portant sur des montants moins élevés, ces transferts se sont poursuivis après 2000. Des établissement étrangers importants ont été mêlés à ces opérations illégales, comme la Bank of New York[1] poursuivie par le Service Fédéral des Douanes Russes depuis 2004. Un vice président de la banque à New York a admis les faits mais la banque rejette toute responsabilité.
La banque MENATEP
Certaines des banques créées à la fin des années 80 ou au début des années 90 ont pris une part active à la privatisation de l'économie, vaste partage entre initiés de la richesse nationale. C'est le cas, de la banque Menatep.
Nous avons vu dans la première partie pourquoi Mikhaïl Khodorkovski a trouvé utile de créer sa propre banque. Il l’a enregistrée le 29 décembre 1988 et elle a reçu début 1989, de la banque d'Etat la licence numéro 41. Il ne vous aura pas échappé donc que cette banque privée a été créée en contravention avec les lois du pays qui interdisait la propriété privée des moyens de production et des banques. Mikhaïl Gorbachev avait bien lancé sa « perestroïka », qui autorisait la création de sociétés privées sous certaines conditions, mais la liste des activités autorisées pour ces nouvelles sociétés privées ne comprenait pas les activités bancaires.
Une nouvelle preuve de la puissance des appuis dont bénéficiait Mikhaïl Khodorkovski et de ses contacts particuliers auprès de la banque d'Etat qui lui venaient de son passage au Komsomol et des relations que cela impliquait au sein du parti communiste encore tout puissant à l'époque. Il est évident que ces appuis n’étaient pas gratuits et les personnes concernées étaient des actionnaires cachés dans les affaires de leur protégé.
C’est certainement cela qui a attiré l’attention d’intérêts étrangers sur la personne de ce nouvel entrepreneur. S’en faire un allié équivalait à bénéficier de la protection des parrains de l’homme. On ne connaissait pas l’identité de ces parrains mais ils avaient fait la preuve de leur puissance depuis plusieurs années.
Le nom choisi pour la banque, « Menatep », est formé des initiales d'une expression russe signifiant à peu près « Nouvelle Banque Commerciale pour le Progrès Scientifique et Technologique ». Dans un premier temps, la banque a permis à son fondateur de financer ses opérations d’importation de biens de consommation. Il a ensuite fait racheter sa société d'importation par la banque.
Mais assez rapidement et grâce aux nombreux contacts de Mikhaïl Khodorkovski aux niveaux les plus élevés du gouvernement et de l’administration, la banque est devenu un intermédiaire officiel du gouvernement pour le financement des sociétés publiques. Elle tirait ainsi avantage de l'inorganisation du système bancaire, pour faire travailler à son profit des sommes énormes qu'elle gardait sur ses comptes, pendant plusieurs jours, entre le moment où elle les recevait de l’état et celui où elle les transmettait à leur destinataire. Et de même au retour.
Mikhaïl Khodorkovski a rapidement amélioré le rendement de cette opérations en changeant les roubles déposés sur les comptes de la banque en dollars de façon à encaisser non seulement des intérêts sur ces sommes, mais en plus des profits de change, le rouble étant, comme nous l’avons déjà vu, dans une tendance baissière solidement établie. Ces opérations nécessitaient des contacts avec des banques étrangère, en particulier américaines qui devaient héberger les comptes de correspondant de « Menatep ». Or, à cette époque, étant donné la réputation de la Russie et de ses hommes d’affaire aux Etats-Unis, on se demande comment Mikhaïl Khodorkovski a pu faire pour obtenir si facilement l’ouverture de ces comptes de correspondants pour « Menatep ». Quels genres de gages a-t-il dû donner ?
En attendant, sa fortune grandissait, de même que ses relations aux plus hauts niveaux de l'administration. C'est ainsi qu'il se trouva au premier rang pour profiter de la privatisation de l'économie pilotée à partir de 1993 par Anatoly Tchoubaïs.
La première phase de la privatisation, s'est faite par la distribution à la population de « bons de privatisation » d'une valeur nominale de 10.000 roubles (ce qui était une somme très importante à l'époque). « Menatep » a réussi grâce à un réseau efficace d'intermédiaires à racheter une très grande quantité de ces bons dans des conditions financières particulièrement favorables. Cela lui a permis d'investir à bon marché dans divers secteurs industriels comme celui des matières plastiques, des produits chimiques, du textile ou de la métallurgie. Grâce à cela, en 1995, Mikhail Khodorkovsky était déjà un des plus riches entrepreneurs de Russie.
Mais la vraie fortune devait venir ensuite. Dans la deuxième phase de privatisation, celle dans laquelle les entreprises étaient vendues aux enchères, l'Etat a fait appel à divers intermédiaires pour mener les opérations. C'est ainsi que la banque « Menatep » a été chargée de la privatisation de « Yukos » qui était à ce moment la deuxième société pétrolière de Russie et la quatrième du monde. Les directeurs de sociétés pétrolières avaient la réputation de former une caste à part, très fermée, mais malgré cela, malgré le fait que de nombreuses sociétés aient fait des offres pour « Yukos », la société a été rachetée par une entité contrôlée par Mikhail Khodorkovsky, alors que la vente s’est faite sous la responsabilité de la banque qui appartenait au même Khodorkovski. Les médias russes ont fait état, à l’époque, d'offres largement supérieures qui ont été écartées pour des raisons purement administratives. Des journalistes se sont élevés contre le procédé et contre les résultats de la vente, ce sont eux qui ont découvert que l’obscure société dont ils n’avaient encore jamais entendu parler, et qui venait de gagner les enchères, appartenait bien à Mikhaïl Khodorkovski, mais rien n’y a fait, évidemment. Mikhaïl Khodorkovski et ses « associés cachés » ont ainsi pu, à la fin de l’année 1995, mettre la main sur ce fleuron de l’industrie pétrolière russe pour la somme ridiculement basse de 309 Millions de dollars.
« Menatep » ne représentait plus alors l’essentiel de la fortune de Mikhaïl Khodorkovski et de ses associés quand la banque a été sérieusement « secouée » par la crise de 1998. La maison mère à Moscou n'a pas survécu à la dévaluation du rouble et au défaut de paiement de l'état et une partie des actifs a été transférée à « Menatep Saint-Pétersbourg » elle même sauvée de la faillite par diverses manipulations de Mikhail Khodorkovsky.
Nous verrons dans la troisième partie ce qu’a été le développement de Yukos et comment l’opération a servi des intérêts étrangers à la Russie.
(à suivre)