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Auteur Sujet: Guerres hybrides (Andrew Korybko)  (Lu 3640 fois)

JacquesL

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Guerres hybrides (Andrew Korybko)
« le: 23 mars 2016, 12:29:23 am »
Andrew Korybko est américain, travaille à Moscou pour l'agence Sputnik, et est étudiant de 3e cycle.
Adresse de la traduction française : http://lesakerfrancophone.fr/guerres-hybrides-1-la-loi-de-la-guerre-hybride
Original dans Oriental Review : http://orientalreview.org/2016/03/04/hybrid-wars-1-the-law-of-hybrid-warfare/

Citer
Guerres hybrides :
1. La loi de la guerre hybride

Par Andrew Korybko (USA) – Le 4 mars 2016 – Source Oriental Review

Hybrid Wars 1. The Law Of Hybrid Warfare

Oriental Review est très heureux d’annoncer que nous publierons régulièrement les dernières recherches d’Andrew Korybko sur les guerres hybrides. Inspiré des stratégies qu’il a décrites dans le livre du même nom publié l’an dernier, Andrew a conceptualisé un nouveau paradigme pour comprendre les relations internationales et a inventé une méthodologie d’accompagnement pour le tester. La loi de la guerre hybride, le nom de sa nouvelle série, précise que :

Le grand objectif derrière chaque guerre hybride est de perturber les projets multipolaires interconnectant des pays souverains en manipulant les conflits d’identité provoqués extérieurement (ethnique, religieux, régionaux, politique, etc.) au sein d’un État de transit ciblé
1.

Les objectifs d’intégration eurasienne de la Russie et des projets de la Route de la Soie de la Chine sont les cibles de la stratégie de guerre hybride mondiale des États-Unis, ce qui ouvre donc un large éventail de champs de bataille géographiques. Andrew examine le grand Heartland, les Balkans, l’ASEAN, l’Afrique transocéanique et l’Amérique latine pour identifier les vulnérabilités de chacun des États de transit concernés face à ce type révolutionnaire de guerre asymétrique.

Sa méthodologie unique intègre les variables de l’origine ethnique, la religion, l’histoire, les limites administratives, la géographie physique et les disparités socio-économiques dans l’élaboration d’analyses complètes qui démontrent les faiblesses de chaque pays face aux guerres hybrides. L’objectif de son travail est d’illustrer les moyens prévisibles que les États-Unis pourraient employer pour déstabiliser ces pays ciblés, donnant ainsi aux décideurs et au public un avis préalable afin qu’ils puissent être mieux préparés pour faire face à certains scénarios préétablis à mesure qu’ils surviennent.

La loi de la guerre hybride

La guerre hybride est l’un des développements stratégiques les plus importants que les USA aient jamais développés comme fer de lance, et la transition des Révolutions de couleur vers les guerres non conventionnelles devrait dominer les tendances déstabilisatrices des prochaines décennies. Ceux qui sont peu habitués à l’approche géopolitique du point de vue de la guerre hybride devraient se former pour comprendre où les prochaines guerres pourraient se produire, mais ce n’est en fait pas si difficile d’identifier les régions et les pays risquant le plus d’être victimes de cette nouvelle forme d’agression. La clé de la prévision est d’accepter que les guerres hybrides sont des conflits asymétriques, provoqués depuis l’extérieur et reposant sur le sabotage des intérêts géo-économiques concrets. En partant de ce point de départ, il est relativement facile de repérer où ils pourraient prochainement frapper.

La série commence en expliquant les modèles derrière la guerre hybride et l’approfondissement de la compréhension du lecteur de ses contours stratégiques. Ensuite, nous montrerons comment le cadre précédemment élaboré a en effet été en jeu au cours des guerres des États-Unis en Syrie et en Ukraine, les deux premières victimes des guerre hybrides. La partie suivante examine toutes les leçons qui ont été apprises jusqu’ici et les rejoue en prévision des prochains théâtres de guerre hybride pour détecter les déclencheurs géopolitiques les plus vulnérables. Les ajouts ultérieurs à la série vont désormais se concentrer sur ces régions et développer pourquoi elles sont si stratégiquement et socio-politiquement vulnérables pour devenir les prochaines victimes de la guerre post-moderne des États-Unis.

Le modèle de la guerre hybride

La première chose que l’on doit savoir sur ces guerres hybrides, est qu’elles ne sont jamais déchaînées contre un allié américain ou un pays où les États-Unis ont des intérêts vitaux préexistant dans les infrastructures. Les processus chaotiques qui se déchaînent pendant le stratagème de changement de régime post-moderne sont impossibles à contrôler et pourraient engendrer le même type de retour de flamme géopolitique contre les États-Unis que Washington tente de canaliser directement ou indirectement vers ses rivaux multipolaires. Corrélativement, c’est la raison pour laquelle les États-Unis ne vont jamais tenter de guerre hybride là où il y a des intérêts qui sont too big to fail, même si une telle évaluation est évidemment simultanément relative et pourrait rapidement changer en fonction des circonstances géopolitiques. Néanmoins, il reste une règle générale qui est que les États-Unis ne vont jamais intentionnellement saboter leurs propres intérêts, à moins qu’il y ait un avantage à procéder à une politique de terre brûlée lors d’une retraite d’un théâtre d’opération. Ce contexte est concevable en Arabie saoudite, si les États-Unis devaient être poussés hors du Moyen-Orient.

Déterminants géostratégiques et économiques

Avant d’aborder les fondements géo-économiques de la guerre hybride, il est important de préciser que les États-Unis ont aussi leurs enjeux géostratégiques, comme piéger la Russie dans un bourbier prédéterminé, par exemple. Le Revers de Brzezinski, comme l’auteur l’appelle, est simultanément applicable à l’Europe orientale par le biais du Donbass, dans le Caucase pour le Haut-Karabakh, et en Asie centrale à travers la vallée de Fergana. Et si elle devait être synchronisée par des provocations arrivant à des moments programmés, cette triade de trappes pourrait se révéler létale, piégeant efficacement et de façon permanente l’ours russe. Ce plan machiavélique restera toujours un risque parce qu’il est fondé sur une réalité géopolitique irréfutable, et le mieux que Moscou puisse faire est de tenter de préempter l’embrasement simultané de sa périphérie post-soviétique, ou de répondre rapidement et correctement aux crises américaines provoquées au moment où elles émergent. Les éléments géostratégiques de la guerre hybride sont donc quelque peu inextricables de ceux géo-économiques, en particulier dans le cas de la Russie. Mais aussi pour rendre le modèle examiné ici plus largement pertinent à d’autres objectifs tels que la Chine et l’Iran, il est nécessaire d’omettre le stratagème du Revers de Brzezinski, comme une condition préalable et, à la place, de se concentrer davantage sur les motivations économiques que les États-Unis ont dans chaque cas.

    Le grand objectif derrière chaque guerre hybride est de perturber les projets multipolaires transnationaux conjoints, par des conflits d’identité provoqués extérieurement (ethniques, religieux, régionaux, politiques, etc.) au sein d’un État de transit ciblé.

Ce modèle peut être clairement vu en Syrie et en Ukraine, c’est la loi de la guerre hybride. Les tactiques spécifiques et les technologies politiques [2. Le concept de technologie politique est aussi développé par Dmitry Orlov dans sa série d’articles sur la Technosphère] utilisées dans chaque déstabilisation peuvent différer, mais le concept stratégique reste fidèle à ce principe de base. Prenant cet objectif final en compte, il est maintenant possible de passer de la théorie à la pratique et commencer à tracer les routes géographiques des différents projets que les États-Unis veulent cibler. Pour qualifier les projets multipolaires transnationaux conjoints auxquels on se réfère, on pourrait dire qu’ils sont soit basés sur l’énergie, soit institutionnels ou économiques, et que plus il y a de chevauchement entre ces trois catégories, plus il est probable qu’un scénario de guerre hybride soit planifié pour un pays donné.

Vulnérabilités structurelles socio-politiques

Une fois que les États-Unis ont identifié leur cible, ils commencent à rechercher les vulnérabilités structurelles qu’ils exploiteront dans la guerre hybride à venir. Contextuellement, ce ne sont pas des objets physiques à saboter tels que les centrales électriques et les routes (même s’ils sont aussi notés, mais par des équipes de déstabilisation différentes), mais des caractéristiques socio-politiques destinées à être manipulées dans le but de joliment souligner une certaine disparité démographique dans le tissu national existant, et donc de légitimer une révolte à venir contre les autorités, gérée depuis l’étranger. Voici les vulnérabilités structurelles socio-politiques les plus courantes qui ont trait à la préparation de la guerre hybride, et si chacune d’entre elles peut être liée à une zone géographique spécifique, alors elles sont susceptibles d’être réellement utilisées comme aimants pour galvaniser la population dans la course à la Révolution de couleur et comme démarcations territoriales préliminaires pour les aspects de la guerre non-conventionnelle à suivre :

    ethnicité
    religion
    histoire
    limites administratives
    disparité socio-économique
    géographie physique

Plus grands sont les chevauchements qui peuvent être obtenus entre chacun de ces facteurs, plus intense sera l’énergie potentielle de la guerre hybride à venir, chacune des variables de chevauchement multipliant de façon exponentielle la viabilité globale de la campagne à venir et de son pouvoir à long terme.

Pré-conditionnement

Les guerres hybrides sont toujours précédées d’une période de pré-conditionnement social et structurel. Le premier type traite avec les aspects de l’information et du soft power qui maximisent l’acceptation de la déstabilisation venant en sens inverse et guident les gens à croire qu’un certain type d’action (ou l’acceptation passive des autres) est nécessaire pour changer l’état actuel des affaires. Le deuxième type concerne les différentes astuces que les États-Unis utilisent afin de forcer le gouvernement-cible à aggraver involontairement les diverses différences socio-politiques qui ont déjà été identifiées, dans le but de créer des clivages de ressentiment autour de l’identité. Les populations ainsi clivées sont alors plus sensibles au pré-conditionnement de la société et au travail de sape des ONG politisées (liées dans la plupart des cas à la Fondation Soros et / ou au National Endowment for Democracy – NED).

Pour étendre les tactiques de pré-conditionnement structurel, les sanctions sont le moyen le plus couramment employé et mondialement reconnu ; leur objectif implicite (bien que pas toujours couronné de succès) a toujours été de rendre la vie plus difficile pour le citoyen moyen pour qu’il ou elle devienne plus favorable à l’idée d’un changement de régime et soit donc plus facilement piloté-e en agissant sur des impulsions venant de l’extérieur. Il y a une autre méthode, moins connue car plus souterraine, mais très utilisée grâce à son ubiquité [le dollar est partout, NdT], pour atteindre cet objectif. C’est ce qui donne le pouvoir aux USA d’affecter certaines fonctions budgétaires des États ciblés, à savoir le montant des recettes qu’ils reçoivent et comment précisément ils les dépensent.

La crise mondiale de l’énergie et du prix des matières premières de base a frappé les États exportateurs extraordinairement durement, car beaucoup de ces États sont dépendants de façon disproportionnée de la vente de ces ressources afin de satisfaire leurs besoins fiscaux, et la baisse des revenus conduit presque toujours, en fin de compte, à des réductions des dépenses sociales. Parallèlement à cela, certains États sont confrontés à des menaces de sécurité fabriquées par les États-Unis auxquelles ils sont obligés de répondre en urgence, les obligeant à budgéter des dépenses inattendues pour leurs programmes de Défense, dépenses qui auraient autrement été investies dans le social. À elle seule, chacune de ces pistes est conçue pour diminuer les dépenses sociales du gouvernement de manière à incuber à moyen terme les conditions nécessaires à l’amélioration des perspectives d’une Révolution de couleur, la première étape de la guerre hybride. Dans le cas où un État se retrouve à la fois face à une chute de revenus et un besoin inattendu d’augmenter son budget de la Défense, cela aura pour effet d’accélérer la réduction des services sociaux et pourrait même pousser le calendrier de la Révolution de couleur en avant, passant de moyen à court terme, en fonction de la gravité de la crise nationale résultante et du succès que les ONG sous influence américaine rencontrent dans l’organisation politique des blocs d’identité examinés précédemment contre le gouvernement.


Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.

A suivre …

Note du Saker Francophone

Cette série d'articles sur les guerres hybrides menées par l'Empire commence par une description de cette théorie politique qui reprend certains aspects déjà développés par Dmitry Orlov. Il est intéressant de voir que des sources russes développent du contenu pour décrire les mécanismes de ces révolutions colorées. La diffusion de ces mécanismes dans les populations cibles devrait largement en atténuer les effets. Il reste à les diffuser en Occident pour empêcher la prise en otage des opinions publiques soumises à une intense propagande parfois sans aucun lien avec une quelconque réalité matérielle. On peut ainsi se rappeler des 36 invasions russes en Ukraine, qui ont la vie dure.

On attend les prochains épisodes avec impatience en espérant que cet auteur va passer en revue les prochaines cibles de cette guerre hybride. On peut penser à l'Iran, la Serbie, la Hongrie, le Brésil...

Traduit par Hervé, vérifié par Ludovic, relu par nadine pour le Saker francophone

JacquesL

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Guerres hybrides. 2. Testons la théorie en Syrie et en Ukraine.
« Réponse #1 le: 26 mars 2016, 12:04:40 am »
Guerres hybrides :
2. Testons la théorie en Syrie et en Ukraine

http://lesakerfrancophone.fr/guerres-hybrides-2-testons-la-theorie-en-syrie-et-en-ukraine

Par Andrew Korybko (USA) – Le 11 mars 2016 – Source Oriental Review

Citer
Hybrid Wars 2. Testing the Theory – Syria & Ukraine

Le livre de l’auteur, Les guerres hybrides: L’approche adaptative indirecte pour un changement de régime, fait bien sûr état du fait que la Syrie et l’Ukraine sont les premières victimes de la guerre hybride des États-Unis ; mais la portée de l’article est d’exprimer la façon dont les innovations mentionnées dans la partie 1, et qui ne figurent pas dans la publication originale, ont été importantes tout au long du jeu. Le but est de prouver que les facettes nouvellement découvertes peuvent parfaitement être imbriquées dans la théorie générale et utilisées pour améliorer ensuite sa compréhension et pour permettre aux observateurs de se projeter plus précisément vers les futurs champs de bataille sur lesquels les guerres hybrides sont les plus susceptibles d’être menées.


Cette partie de la recherche suit donc le modèle théorique qui vient d’être exposé. Elle est élaborée à partir des déterminants géostratégiques et économiques qui étaient derrière les guerres en Syrie et en Ukraine, avant d’aborder les vulnérabilités structurelles socio-politiques que les États-Unis tentent d’exploiter avec des degrés de succès divers. La dernière partie incorpore l’idée d’un pré-conditionnement social et structurel et explique  brièvement comment il était présent dans chaque situation.

Déterminants géostratégiques
Syrie :


La République arabe traditionnellement laïque a été aspirée dans un schéma de Révolution de couleur théâtralisée par les États-Unis lorsque les printemps arabes ont été déclenchés en 2011. Pour résumer succinctement les fondements stratégiques de cette grandiose opération, le concept était pour les États-Unis d’aider la clique transnationale des Frères musulmans à arriver au pouvoir de l’Algérie jusqu’à la Syrie via une série d’opérations de changement de régime synchronisées contre des États rivaux (Syrie), des partenaires non fiables (Libye), et des États satellites stratégiques concernés par d’inévitables transitions de souveraineté (Égypte, Yémen). L’environnement stratégique résultant était censé rejouer la Guerre froide en Europe de l’Est, avec chacun des États dirigé par le même parti (les Frères musulmans à la place du Parti communiste) et contrôlé par procuration par un mécène externe, dans ce cas une copropriété conjointe présidée par la Turquie et le Qatar avec les États-Unis en sous-main.


Syriens à Damas ralliés à l’appui du président Bachar al-Assad, octobre 2011

Cette confédération idéologique vaguement organisée aurait été suffisamment disjointe pour être gérable via des tactiques simples de diviser pour mieux régner (empêchant ainsi à jamais toute organisation indépendante de l’Arabie saoudite et des États du Golfe), mais facile à provoquer dans une haine sectaire afin de la mobiliser contre l’Iran et ses intérêts régionaux, ce qui en aurait fait un outil extrêmement flexible pour la promotion de la grande stratégie américaine au Moyen-Orient. Compte tenu des origines chaotiques de ce gambit géopolitique, il a été prédéterminé que des éléments de celui-ci pourraient ne pas se réaliser selon le plan et que seule une réalisation partielle de ce projet pourrait se produire réellement au cours de la première tentative – ce qui est précisément ce qui est arrivé lorsque le peuple syrien a résisté au défi de cet assaut de guerre hybride contre lui et a courageusement combattu pour la défense de son État à la longue civilisation séculière.

On peut affirmer que la Syrie a toujours été considérée comme l’objectif le plus stratégique de tous les États affectés par les printemps arabes, et ceci est prouvé par près de cinq ans de guerre hybride désespérée que les États-Unis ont déclenchée contre elle en réponse à sa première tentative de changement de régime, qui a échoué. En comparaison, l’Égypte, l’État arabe le plus peuplé, a seulement dû faire face à un bas niveau de terrorisme (géré par le Qatar) dans le Sinaï,  depuis qu’il a renversé le gouvernement des Frères musulmans imposé par les Américains. La raison de cet écart flagrant d’importance par rapport aux grands objectifs stratégiques américains est attribuable aux déterminants géo-économiques derrière la guerre contre la Syrie. Ils seront exposés plus bas.


Ukraine :

Les déterminants géostratégiques derrière la guerre en Ukraine sont beaucoup plus simples que ceux derrière la guerre contre la Syrie, et ils ont la plupart du temps déjà été décrits dans la partie 1 en parlant du stratagème du Revers Brzezinski, un piège géopolitique. Une partie de la motivation derrière le renversement du gouvernement ukrainien, inaugurant les pogroms anti-russes qui ont suivi, était d’attirer la Russie dans un piège interventionniste comme en 1979 en Afghanistan ; la guerre contre le Donbass était l’incarnation de cette tentative. Washington n’a pas réussi à atteindre son objectif à cet égard, mais il a beaucoup plus réussi à transformer l’ensemble du territoire de l’Ukraine en arme géopolitique contre la Russie.


Carte politique de l’Ukraine avant le coup d’État de Février 2014.

Le célèbre aphorisme de Brzezinski veut que «sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un empire eurasien», cependant il avait une conception toute différente à l’esprit quand il l’a énoncé (sa pensée était que la Russie allait essayer de «re-soviétiser impérialement» la région). Géopolitiquement parlant, sa citation contient beaucoup de vérités fondamentales. La sécurité nationale de la Fédération de Russie est dans une large mesure déterminée par les événements en Ukraine, en particulier en ce qui concerne sa large périphérie occidentale et un gouvernement hostile à la Russie, à Kiev, qui serait prêt à héberger une infrastructure de défense antimissile américain (ce qui est un doux euphémisme pour augmenter les chances des États-Unis de neutraliser la capacité de seconde frappe de la Russie et donc de se mettre dans une position de chantage nucléaire), constituerait une menace stratégique majeure. Pour reformuler Brzezinski et rendre sa citation plus précise objectivement, «si l’Occident réussit à manipuler l’Ukraine pour en faire un ennemi à long terme de la Russie, alors Moscou serait confronté à un obstacle géopolitique majeur face à ses ambitions multipolaires futures».

Le scénario catastrophique de l’Ukraine hébergeant des unités de défense antimissile de l’OTAN ou des États-Unis n’a pas encore joué à plein, mais le pays en est encore à faire des petits pas vers une adhésion à l’OTAN comme membre associé, ce qui revient à en faire partie de fait, sans garanties mutuelles formelles de défense. L’augmentation de la coopération militaire entre Kiev et Washington et, par extension, entre l’Ukraine et le bloc atlantiste, est fondée sur une manœuvre agressive contre les intérêts stratégiques russes. Néanmoins, la situation n’est pas aussi mauvaise qu’elle aurait pu l’être, puisque les planificateurs stratégiques américains avaient naïvement supposé que le Pentagone aurait déjà eu le contrôle de la Crimée pour maintenant, et auraient donc été en mesure de positionner leurs unités de défense antimissile et autres technologies déstabilisatrices directement aux portes de la Russie. L’erreur ultime dans la conception de l’Occident au cours des préparatifs de cette guerre hybride, a été de penser que la Russie reculerait sans défendre ses intérêts civilisationnels, humanitaires et géostratégiques en Crimée (ou que si elle le faisait, elle serait attiré dans un bourbier de type Revers de Brzezinski), qui, comme l’atteste l’histoire aujourd’hui, a été une erreur de calcul épique, parmi les pires que les États-Unis aient jamais faites.


Déterminants Géo-économiques
Syrie :


La Syrie est très importante du point de vue de la grande stratégie américaine, car elle était censée être le terminal final pour le Pipeline de l’Amitié partagé entre elle, l’Iran et l’Irak. Cet itinéraire du gaz aurait permis à l’Iran d’accéder au marché européen et d’annuler complètement le régime de sanctions que les États-Unis avaient construit contre lui par le passé. Concomitamment avec ce projet, il y avait un projet concurrent mené par le Qatar pour envoyer son propre gaz à travers l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Syrie vers l’UE, que ce soit par le biais de GNL [Gaz liquéfié, NdT] ou en direct via la Turquie [et la Grèce, NdT]. Le Président Assad a astucieusement rejeté la proposition du Golfe par fidélité de longue date de son pays avec l’allié iranien. La guerre menée contre la Syrie après la guerre hybride du printemps arabe a été soutenue très violemment par les États-Unis et les États du Golfe, spécifiquement dans le but de punir le pays pour son refus de devenir un satellite unipolaire.



« Le Pipeline de l’Amitié » est étiqueté «Pipeline islamique» dans ce tableau.

S’il avait été terminé, le Pipeline de l’Amitié aurait été l’un des plus importants projets conjoints multipolaires transnationaux du monde, l’un des plus importants corridors transnationaux, et il aurait révolutionné la géopolitique régionale en fournissant une énergie et un couloir  d’investissement reliant l’Iran à l’UE. Il aurait donc entraîné une modification significative de l’équilibre du pouvoir au Moyen-Orient et joué au détriment absolu des États-Unis et de ses alliés du Golfe. Comprenant la menace aiguë que le Pipeline de l’Amitié posait à leur domination hégémonique depuis des décennies sur la région, les États-Unis se sont engagés à faire en sorte que le projet ne se matérialise jamais, peu importe comment. Cela explique une des raisons partielles derrière la création d’ISIS, le distributeur de claques au milieu de la zone de transit prévue. Vu sous cet angle, le jeu des  États-Unis devient beaucoup plus clair : pourquoi ils ont fait une priorité de la déstabilisation de la Syrie et non de l’Égypte, et pourquoi ils sont prêts à jeter d’innombrables ressources dans cette entreprise, y compris organiser une coalition mondiale par procuration pour les aider à y parvenir.

Ukraine :

La détermination des États-Unis pour capturer l’Ukraine a été inspirée par beaucoup plus qu’une pensée géostratégique, étant donné que ces impératifs se recoupent avec les réalités géo-économiques contemporaines. Au moment où la campagne terroriste urbaine et populaire connue comme Euro-Maïdan a été lancée, l’Ukraine a été forcée par les États-Unis de faire un choix de civilisation artificiel entre l’UE et la Russie. Moscou avait fait progresser trois projets interconnectés conjoints transnationaux multipolaires – ventes de gaz et de pétrole vers l’UE, l’Union eurasienne et le pont terrestre eurasiatique (énergétique, institutionnel et économique, respectivement) – que Washington était désireux d’affaiblir à tout prix. Rappelant la boutade précédemment citée de Brzezinski sur l’Ukraine et la reformulation par l’auteur de celle-ci, les mots font maintenant beaucoup plus de sens : sans l’Ukraine en tant que partie de ce réseau interconnecté de projets, l’ensemble devient sensiblement plus faible.

Le retrait de l’Ukraine de l’équation influe chacun des projets: cela bloque le commerce de l’énergie entre la Russie et l’UE et crée des complications inattendues pour les deux parties ; cela laisse un marché important et une population active en dehors du champ d’application de l’Union douanière ; et cela nécessite un recentrage des infrastructures uniquement sur le Belarus, un espace relativement plus petit et économiquement moins important, qui devient ainsi un goulot d’étranglement géopolitique encore plus significatif qu’auparavant pour les [ur=http://thesaker.is/are-armenia-and-belarus-wandering-westwardl]actions anti-russes de l’Occident[/url]. Comme un avantage supplémentaire à braconner l’Ukraine hors de l’orbite d’intégration russe, les États-Unis ont été en mesure de mettre en branle une chaîne d’événements thématiques préconçus (à l’exclusion de la réunification de la Crimée, bien sûr), instigatrice de la nouvelle guerre froide, et qu’ils étaient désireux de susciter.


Carte du système de transport du gaz en Ukraine.

Les États-Unis voulaient le faire dans le but de créer des obstacles apparemment insurmontables entre la Russie et l’UE, sachant que les dilemmes de sécurité attendus (militaire, énergétique, économique et en termes stratégiques) allaient considérablement entraver la coopération entre eux et rendre Bruxelles d’autant plus vulnérable au jeu de pouvoir unipolaire massif des États-Unis qui était planifié. Afin de maintenir sa position hégémonique sur l’Europe, les États-Unis avaient à concevoir un scénario qui diviserait la Russie et l’UE assez longtemps et d’une manière aussi intense que possible afin d’augmenter les chances que les trois projets de contrôle impératifs suivants puissent être imposés à l’Europe : déploiement permanent de l’OTAN en état d’alerte dans l’Est (contrôle militaire); exportations américaines de GNL vers l’UE et appel récent à des routes énergétiques attrayantes non russes tel que le corridor gazier sud (contrôle énergétique) ; et le Partenariat pour le commerce et l’investissement transatlantique (TTIP), qui, parmi tous les privilèges qu’il accorde aux États-Unis, rend impossible pour l’UE de conclure d’autres accords de libre-échange (ALE) sans l’approbation de Washington (contrôle économique).

Au total, ces trois facteurs imbriqués sont destinés à renforcer le plus grand des objectifs stratégiques des États-Unis qui, d’une manière mutuellement interdépendante, augmente également les perspectives de leur propre succès. C’est le choc des civilisations créé artificiellement entre l’Occident et l’Eurasie-Russie, selon lequel les États-Unis attendent désormais de l’UE qu’elle vive dans la crainte de la Russie et que par conséquent, elle se précipite dans les bras de l’Oncle Sam comme «défenseur de la civilisation occidentale». C’est ce plan ultime que les États-Unis veulent accomplir en Europe, et sa mise en œuvre réussie aux côtés de ses trois composantes clés (l’armée, l’énergie et les aspects économiques décrits précédemment) créerait les conditions pour une domination hégémonique multi-générationnelle sur l’Europe, et donc coulerait pour des décennies les chances d’une contre-offensive multipolaire contre les États-Unis.


Vulnérabilités structurelles socio-politiques – Syrie
Origine ethnique :


Au moins 90% de la population de la Syrie est arabe tandis que les 10% restants sont principalement kurdes. Du point de vue de la guerre hybride, on peut supposer que cet état de choses pourrait être utile dans la déstabilisation de l’État, mais plusieurs facteurs ont empêché d’atteindre le potentiel attendu par les Américains. Tout d’abord, la population syrienne est très patriotique en raison de son patrimoine civilisationnel et de l’opposition galvanisée contre Israël. En conséquence, alors qu’il y a de toute évidence une pluralité d’opinions politiques personnelles au sein de la société essentiellement mono-ethnique, il n’y a jamais eu de réelles possibilités qu’elles se retournent violemment contre l’État, d’où la nécessité d’importer un si grand nombre de terroristes et de mercenaires internationaux sur le champ de bataille pour satisfaire aux exigences de cette guerre hybride.


Carte ethnique de la Syrie

Concernant les Kurdes, ils n’ont jamais provoqué de rébellion sérieuse contre le gouvernement, contrairement à leurs homologues turcs et irakiens. Cela   implique que leur situation en Syrie était gérable et loin d’être aussi mauvaise que ce que les informations occidentales tentent de dépeindre après coup. Même s’ils avaient pu être coagulés en une masse anti-gouvernementale radicale, leur rôle relativement mineur dans les affaires nationales et la grande distance géographique de tous les centres de pouvoir pertinents les aurait empêchés de devenir un atout significatif de la guerre hybride, bien qu’ils aient pu être un complément stratégique efficace à tous les terroristes arabes basés près des principaux centres de population. Comme on le sait, cependant, les Kurdes sont restés fidèles à Damas et n’ont pas rompu avec le gouvernement, confirmant la thèse selon laquelle ils étaient satisfaits de leur état d’origine, sans envie de devenir des rebelles.

En somme, les composantes ethniques de la planification de la guerre hybride aux États-Unis contre la Syrie ont échoué à répondre à la hauteur du potentiel anticipé, ce qui indique que les évaluations du renseignement avant la guerre ont été déformées, sous-estimant l’attraction unificatrice du patriotisme syrien.

Religion :

La population de la Syrie est majoritairement sunnite, mais possède aussi une minorité alaouite importante qui a traditionnellement occupé divers postes de direction au sein du gouvernement et dans l’armée. Cela n’a jamais été un problème auparavant, mais le pré-conditionnement social géré depuis l’extérieur (en l’occurrence, organisé par les États du Golfe) a acclimaté des parties de la population à la pensée sectaire et a commencé à jeter les bases psychologiques pour qu’une stratégie de la tension takfiriste prenne racine parmi certains éléments intérieurs après qu’une étape de la Révolution de couleur a été mise en route au début de 2011. Par la suite, même si le sectarisme n’a jamais été un facteur dans la société syrienne auparavant et n’est toujours pas une force majeure à ce jour (en dépit de près de cinq ans de provocations terroristes motivées religieusement), il a été utilisé comme un cri de ralliement pour reconstituer les rangs des djihadistes étrangers et comme une couverture plausible pour les États-Unis et leurs alliés pour alléguer que le Président Assad «ne représente pas le peuple» et doit donc être renversé.

[Cette partie est assez réductrice. A vous de vous informer vous même sur l’histoire des composantes ethnico-religieuses en Syrie, NdT]

Histoire :

L’histoire syrienne est millénaire et représente l’une des civilisations les plus riches de tous les temps. Par conséquent, cela imprègne les citoyens du pays, leur donnant un sens inébranlable du patriotisme qui allait plus tard se révéler être l’une des meilleures défenses contre la guerre hybride (solidarité civilisationnelle). Il est évident que cela avait été découvert par les stratèges américains dans leurs recherches préparatoires sur la Syrie, mais ils ont largement sous-estimé son importance, en pensant qu’ils pourraient avec succès provoquer un retour aux années des coups d’Etats successifs et déstabilisateurs qui avaient suivi l’indépendance, avant la Présidence d’Hafez el-Assad [le père de Bachar, NdT]. Au contraire, la grande majorité des Syriens avait appris à apprécier sincèrement les contributions de la famille Assad à la stabilité et la réussite de leur pays, et ils ne voulaient rien faire qui puisse ramener le pays aux années sombres qui avaient précédé l’ascension politique de cette famille au pouvoir.

Administration :



Le bref héritage des limites administratives distinctes pendant la période de l’occupation française a fourni le précédent géopolitique aux États-Unis pour ressusciter une division formelle ou fédéralisée de la Syrie. Même si la mémoire historique de ce temps est en grande partie perdue dans le psychisme des Syriens contemporains (sauf pour le drapeau des terroristes anti-gouvernement, qui correspond à celui de l’époque du mandat), cela ne veut pas dire qu’il n’y ait aucune possibilité de la leur appliquer depuis l’extérieur à l’avenir et justifier ce fait historiquement à postériori. L’intervention anti-terroriste russe en Syrie a neutralisé la possibilité de fragmentation formelle du pays, mais la course actuelle pour Raqqa signifie que la force qui capturera la capitale des terroristes tiendra les meilleures cartes pour déterminer la composition interne de l’État d’après-guerre, ouvrant la possibilité pour les États-Unis et leurs mandataires de forcer une solution fédéraliste en Syrie qui pourrait créer des zones largement autonomes acquises au soutien pro-américain.


Disparités socio-économiques :

La Syrie d’avant-guerre avait une répartition relativement équilibrée des indicateurs socio-économiques, en dépit de l’adhésion à la règle stéréotypée des zones urbaines globalement plus développées que les régions rurales. Bien que celles-ci constituent le socle de la plupart des zones géographiques du pays, seule une fraction de la population les habite, la plupart des Syriens vivant le long d’un corridor nord-sud à l’Ouest Alep-Hama-Homs-Damas, tandis qu’une population stratégiquement importante habite globalement  la zone côtière de Lattaquié. Jusqu’en 2011, la Syrie a réussi à maintenir des années de croissance économique soutenue, et il n’y a aucune raison de croire que cela aurait diminué s’il n’y avait pas eu la guerre hybride contre elle [Voir … ses revenus pétroliers ayant fortement chuté, NdT]. Par conséquent, bien que les disparités socio-économiques aient sûrement existé en Syrie avant la guerre, elles ont été bien gérées par le gouvernement (en partie en raison de la nature semi-socialiste de l’État) et n’étaient pas un facteur que les États-Unis pouvaient exploiter.

Géographie :

C’est une des caractéristiques qui fonctionne le mieux à l’avantage de la guerre hybride contre la Syrie. La composante Révolution de couleur a été concentrée dans le corridor nord-sud basé dans l’Ouest densément peuplé dont j’ai parlé ci-dessus, tandis que la partie guerre non conventionnelle a prospéré dans les régions rurales en dehors de cette zone. Les autorités avaient naturellement des difficultés à concilier les besoins de sécurité urbaines et rurales, et la quantité absurde de soutien que les États-Unis et leurs alliés du Golfe ont envoyé aux terroristes par la Turquie a temporairement déséquilibré la situation militaire et a abouti à l’impasse qui a marqué les premières années du conflit (avec quelques va-et-vient de positions et des changements spectaculaires de temps en temps). Pendant ce temps, comme l’armée arabe syrienne axait son attention sur les questions de sécurité à régler en urgence le long du corridor de peuplement, ISIS a été en mesure de faire des avancées militaires conventionnelles rapides dans les plaines et les déserts de l’Est, logistiquement simple à gérer, et a rapidement mis en place son «Califat», dont les conséquences sont le moteur du cours actuel des événements dans le pays.


Vulnérabilités structurelles socio-politiques – Ukraine
Origine ethnique :


La fracture démographique de l’Ukraine entre l’Est et l’Ouest, les Russes et les Ukrainiens, est bien connue et a été largement discutée. Dans le contexte de la guerre hybride, cette répartition géographique presque chirurgicale (à l’exception de la pluralité russe à Odessa et dans la majorité de la Crimée) était une aubaine pour les planificateurs stratégiques américains, car cela a créé une dichotomie démographique enracinée qui a pu être facilement exploitée lorsque le moment est venu.

Religion :

Ici aussi, il y a une fracture géographique presque parfaite entre l’Orient et l’Occident, avec les orthodoxes russes et les églises orthodoxes ukrainiennes qui représentent les deux groupes importants de population dans le pays. Plus à l’Ouest, on trouve les uniates et les églises catholiques, correspondant principalement aux anciennes terres de la Deuxième République polonaise de l’entre-deux-guerres. Le sectarisme chrétien n’a pas été le cri de ralliement le plus visible derrière l’Euro-Maïdan, mais ses partisans radicaux ont utilisé le succès du coup d’État comme couverture pour détruire les Églises orthodoxes russes et d’autres biens religieux dans une campagne nationale qui visait à inciter au nettoyage ethnique et culturel de la population russe.

Histoire :



L’État ukrainien moderne est un amalgame artificiel de territoires légués par les dirigeants russes et soviétiques successifs. Ses origines intrinsèquement contre nature sont une malédiction, avec une existence perpétuellement remise en cause, et son agrandissement territorial après la Seconde Guerre mondiale complique encore la donne. Le morceau le plus nationaliste de l’Ukraine moderne était une partie de la Pologne de l’entre-deux-guerres et avant cela de l’Empire austro-hongrois, donnant ainsi à ses habitants une mémoire historique diamétralement différente de celles des parties centrales ou orientales de l’État.

Les communautés minoritaires hongroises et roumaines qui vivent dans les zones nouvellement ajoutées (acquises respectivement sur la Tchécoslovaquie et sur la Roumanie) ont également un degré naturel d’identité distincte de l’État qui n’avait besoin que d’un coup de pouce pour refaire pleinement surface.

Comme on l’a soutenu dans la guerre hybride et c’est confirmé par le rapport de Newsweek, quelques jours avant le coup d’État (étonnamment supprimé de leur site Web, mais traçables sur web.archive.org), la région ethnico-religieuse historiquement séparée de l’Ukraine occidentale était totalement en rébellion armée contre le Président Ianoukovitch, et ce n’est pas un hasard si l’aspect de guerre non conventionnelle de cette campagne de changement de régime a commencé dans cette partie spécifique du pays.

Frontières administratives :

Les divisions internes de l’Ukraine coïncident assez nettement avec ses frontières administratives sur de nombreux points, que ce soit la fracture ethnique, le sectarisme chrétien, les régions historiques ou les résultats électoraux, et cela a été le multiplicateur asymétrique ultime qui a convaincu les stratèges américains que la guerre hybride pouvait facilement être déployée en Ukraine. S’il n’y avait pas eu le coup d’État inattendu à la fin de février 2014, il est très possible que les États-Unis auraient cherché à exploiter le chevauchement sans précédent des vulnérabilités socio-politiques en Ukraine afin de séparer physiquement la partie occidentale du pays du reste pro-gouvernemental de l’État croupion, mais seulement dans le cas où Ianoukovitch aurait été en mesure de tenir indéfiniment contre les terroristes du changement de régime et de consolider ses positions dans le reste des zones non rebelles du pays.


Disparités socio-économiques :

Carte des élections de 2010

L’Ukraine est similaire à la Syrie dans le sens où il y avait aussi une distribution quasi-identique des indicateurs socio-économiques, mais, contrairement à la République arabe et sa modeste richesse, l’État d’Europe orientale a également réparti la pauvreté parmi ses citoyens. La grande quantité d’Ukrainiens qui ont plongé dans la pauvreté ou en sont très proches a créé un énorme bassin de recrutement pour les activistes anti-gouvernementaux recrutés par les cerveaux des ONG de la Révolution de couleur euro-maïdan, et l’absence de tout patriotisme civilisationnel ou national (à part la perversion fasciste incarnée par Pravy Sektor et autres) a signifié qu’il n’y avait pas de garanties sociales pour prévenir l’émergence de multiples groupes d’émeutiers, pouvant être organisés à l’avance et déployés lorsque le temps serait venu.

Géographie physique :

La seule partie de l’Ukraine d’avant-guerre avec une géographie de montagnes était la Crimée, qui fonctionnait plus comme une île que comme une péninsule qu’elle est techniquement. Cela a ironiquement désavantagé les États-Unis quand la géographie de la république autonome a aidé ses habitants à se défendre assez longtemps pour voter la séparation d’avec l’État ukrainien défaillant, réparer l’erreur historique de Khrouchtchev et enfin se réunir avec leurs frères en Russie. Les mêmes facteurs géographiques favorables ne sont pas en jeu dans le Donbass, ce qui a ainsi bloqué les mesures de défense prises par les patriotes pour leur territoire et les a rendus beaucoup plus vulnérables aux multiples offensives de Kiev contre eux. Dans l’environnement d’avant le coup, la géographie sans obstacle de l’Ukraine aurait été idéale pour permettre aux révolutionnaires occidentaux de lancer une guerre-éclair, dans le style d’ISIS, une fois que Kiev aurait accumulé assez d’armes volées, d’équipements et de véhicules des nombreux postes de police et des casernes militaires qu’ils avaient saisis à l’époque.

Pré-conditionnement :

C’est un sujet au-delà du cadre de la présente recherche que de discuter des aspects du pré-conditionnement social de la guerre hybride en détail, mais on peut généralement y inclure le triptyque masses/problèmes sociaux et médias-éducation-ONG. Les détails au sujet du pré-conditionnement structurel sont un peu différents, comme ils sont en dehors de la pression des sanctions. L’autre élément largement discuté décrit dans la partie 1 (notamment la désorganisation du marché de l’énergie) n’a pas eu lieu jusqu’à l’année dernière et n’a donc pas été un facteur dans le déclenchement des deux guerres hybrides examinées. Pourtant, d’autres éléments spécifiques étaient certainement en jeu pour chacun des deux États, avec les coffres de l’Ukraine exsangues à cause de la corruption endémique et parasitaire, et la Syrie devant équilibrer perpétuellement ses besoins militaires dans sa défense contre Israël et son engagement social envers sa population (un jeu sur la corde raide qui a assez bien réussi au cours des décennies).

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.

Le livre est disponible en PDF gratuitement [en anglais, NdT] et à télécharger ici.


Traduit par Hervé, vérifié par Ludovic, relu par nadine pour le Saker francophone

JacquesL

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Guerres hybrides : 3. Prédire les prochaines guerres hybrides
« Réponse #2 le: 03 avril 2016, 01:37:19 pm »
Guerres hybrides :
3. Prédire les prochaines guerres hybrides


http://lesakerfrancophone.fr/guerres-hybrides-3-predire-les-prochaines-guerres-hybrides

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Guerres hybrides :
3. Prédire les prochaines guerres hybrides

Hybrid Wars 2. Testing the Theory – Syria & Ukraine

Par Andrew Korybko (USA) – Le 18 mars 2016 – Source Oriental Review

Les deux premières parties (Partie 1 et Partie 2) de la série ont introduit de nouveaux concepts de la théorie de la guerre hybride qui ont été testés avec succès sur les cas syrien et ukrainien. Cela a prouvé qu’une certaine méthodologie existe réellement pour expliquer et analyser les guerres hybrides. De façon captivante, cette rubrique peut être appliquée de manière proactive pour tenter de prédire les endroits où cette forme de guerre post-moderne pourrait être ensuite dirigée.

Examen théorique
Identifier les cibles

Pour faire référence à la partie 1, il faut d’abord rappeler la loi de la guerre hybride :

«Le grand objectif derrière chaque guerre hybride est de perturber les projets multipolaires interconnectant des pays souverains en manipulant les conflits d’identité provoqués de l’extérieur (ethnique, religieux, régional, politique, etc.) au sein d’un État de transit ciblé.»1.

Considérant cela, l’étape suivante consiste à identifier les grands projets transnationaux multipolaires interconnectés, en cours ou prévus, partout dans le monde. Une fois que cela a été fait, chaque État de transit est évalué par le plus grand nombre de ses vulnérabilités liées aux chevauchements socio-politiques selon les six facteurs suivants :

*    Ethnicité
*    Religion
*    Histoire
*    Limites administratives
*    Disparités socio-économiques
*    Géographie physique

A partir de là, tout ce qui reste à faire est d’identifier les États de transit les plus vulnérables socio-politiquement et agir pour fabriquer les conditions nécessaires à une sécession, par rapport aux autorités centrales, basée sur des déterminants démographiques fondamentaux. Les anthropologues culturels, les historiens, les militants d’ONG, les experts en marketing, les médias et les chercheurs indépendants, entre autres, jouent un rôle d’avant-garde dans ce processus de pré-conditionnement social et peuvent également être utilisés intégralement par le renseignement américain en dévoilant les méthodes les plus efficaces à employer pour pénétrer idéologiquement la psyché des auditoires ciblés. Parallèlement à cela, divers degrés de pré-conditionnement structurel sont également pratiqués dans le but d’intensifier la fracture construite artificiellement entre l’État et les éléments stratégiques de sa citoyenneté.



La Guerre hybride est essentiellement une militarisation de la théorie du chaos, qui est elle-même dépendante de manière disproportionnée, des conditions initiales existantes avant l’apparition de la déstabilisation. Comme cela a été discuté, les vulnérabilités socio-politiques de chaque État ciblé sont des indicateurs importants pour évaluer le succès potentiel de l’opération de changement de régime à venir, mais les six principaux facteurs sont difficiles à modifier – et encore moins dans un court laps de temps – s’ils ne jouent pas déjà à plein dans le sens voulu par l’agresseur. Pour cette raison, le pré-conditionnement social et structurel joue un rôle accru car les idées et les tendances économiques sont beaucoup plus faciles à orienter que le changement de composition ethnique et les frontières physiques, par exemple. Ces deux caractéristiques constitutives – affectées respectivement par le pré-conditionnement social et structurel – peuvent fortement influer sur le patriotisme civilisationnel et / ou civique des citoyens ciblés, qui est la meilleure défense que l’État possède pour repousser la guerre hybride.

On en est au point où il faut une fois de plus rappeler les cas de la Syrie et de l’Ukraine, car dans chacun d’eux, la situation s’est dégradée selon des trajectoires complètement divergentes, en grande partie grâce à leurs différents niveaux de patriotisme civilisationnel / civique existant avant les guerres hybrides menées contre ces pays. Cette condition initiale est sans aucun doute la plus critique pour déterminer si la déstabilisation va traîner pendant des années ou si ce sera un succès rapide et facile.

Le peuple syrien a l’un des patriotismes civilisationnels les plus ancrés du monde, et cela a, de son côté, amplifié la résilience de ce pays pour résister à l’agression de la guerre hybride multidimensionnelle menée contre lui. En conséquence, les États-Unis et leurs alliés ont dû fournir un soutien continu à leurs mandataires par procuration afin de maintenir artificiellement les processus chaotiques dont ils imaginaient qu’ils seraient auto-entretenus. Dans le cas où une tel soutien extérieur est perturbé, cela se traduit directement par un affaiblissement visible des éléments de la guerre hybride à l’intérieur du pays et par conséquent à leur rapide éradication.

Au contraire, la situation était diamétralement opposée en Ukraine, où aucun patriotisme civilisationnel n’était présent – malgré le riche héritage de la Rus de Kiev – et guère plus de patriotisme civique. Tout ce que les États-Unis avaient à faire, était d’organiser efficacement les minorités agissantes appropriées et leur donner le signal pour lancer la déstabilisation à l’unisson. Les processus chaotiques se sont ensuite déroulés comme dans la théorie et ont commencé à prendre une vie qui leur était propre, ce qui nécessite un minimum de directives à partir de ce moment-là par rapport au bourbier stratégique où les États-Unis se sont fourrés en Syrie. La seule intervention importante dans laquelle les États-Unis se sont engagés, était l’attaque sous faux drapeau par des snipers à la fin février 2014 [sur la place Maïdan], et cela n’a été fait que parce qu’il a été pressenti qu’il y avait une occasion irrésistible pour maximiser le chaos et rapidement renverser le gouvernement.

Pour résumer cette sous-section, les deux différents exemples si flagrants de guerre hybride en Syrie et en Ukraine prouvent que l’état initial du patriotisme civilisationnel et / ou civique est le facteur décisif pour influencer le cours d’un conflit asymétrique, et, par conséquent, que cela devrait démontrer aux spécialistes de la sécurité démocratique, l’importance existentielle de soutenir de manière proactive de telles mesures [pour conforter le ciment civilisationnel, NdT] dans leurs propres États ciblés.

Débrider la colère



Enfin, il est pertinent d’aborder les premiers stades de la guerre hybride et d’expliquer brièvement les limites tactiques de la théorie appliquées à deux catégories spécifiques d’États. En ce qui concerne les similitudes du stade initial partagées par la grande majorité des États, un évènement prédéterminé – généralement quelque chose de symbolique, comme une commémoration historique importante, un vote parlementaire / présidentiel, ou des violences de l’État contre ses concitoyens, artificiellement provoquées – ou fortuit selon la tournure des événements, par exemple, la décision de dernière minute de M. Ianoukovitch de reporter l’accord d’association avec l’UE est utilisé comme un signal pour fusionner des cellules séparées constituant l’infrastructure sociale du changement de régime en une masse anti-gouvernementale critique qui lance le mouvement de la révolution de couleur et annonce la première étape de la guerre hybride. Si le coup d’État soft – souvent entrecoupé de terrorisme urbain létal – ne parvient pas à son but, alors le coup d’État hard d’une guerre non conventionnelle est lancé contre le gouvernement aux abois et ses citoyens patriotiques, accomplissant ainsi le modèle de guerre hybride.

Toutes les guerres non conventionnelles ne commencent pas par une révolution de couleur et toutes les révolutions de couleur ne se terminent pas par une guerre non conventionnelle, mais l’objectif stratégique, mis en avant par les États-Unis, est d’avoir les deux formes de changement de régime fusionnant harmonieusement dans une gradation de pression anti-gouvernementale s’intensifiant progressivement à chaque fois que c’est possible. Certaines sociétés avec des sociétés civiles pleinement développées – par rapport aux standards mondialement reconnus de l’Ouest – et sans un grand nombre de vulnérabilités socio-politiques préalables, comme par exemple le Danemark, ne pourraient jamais subir cet aspect non conventionnel de la guerre hybride et finiraient probablement seulement victimes de la version révolution de couleur. Cependant, une réorganisation des données démographiques – par exemple avec la crise des réfugiés – pourrait changer cela de façon prévisible et rendre le pays beaucoup plus sensible à une guerre hybride complète.

En continuant sur cette voie, les États qui ne disposent pas d’une société civile assez robuste – ou pas de société civile du tout dans le sens traditionnel de l’Ouest – mais satisfont largement les conditions socio-politiques pour une guerre non conventionnelle comme l’était la République centrafricaine, peuvent carrément passer l’étape de la révolution de couleur et sauter directement à la partie lutte identitaire de la guerre hybride. Comme dans le premier exemple, cela peut aussi changer suite à une réorganisation démographique de la société, quoique d’une manière différente, lorsque le développement économique rapide – soutenu le plus probablement par les Chinois – peut conduire à la naissance d’une classe moyenne émergente qui viendra renforcer les rangs des insurgés pour une révolution de couleur.

Dans de rares cas, il y a aussi la possibilité d’une guerre hybride inversée, où une guerre non conventionnelle précède une révolution de couleur. Dans une certaine mesure, on peut affirmer que la longue guerre civile du Myanmar a créé des conditions fertiles pour la révolution de couleur de 1989 et la montée consécutive d’Aung San Suu Kyi vers le pouvoir. Alors qu’il lui a fallu plus de deux décennies pour enfin prendre le pouvoir, elle y est finalement parvenue, et il est clair que l’environnement de guerre non conventionnelle a pré-conditionné les masses à l’accepter avec le temps. De même, quelque chose de similaire est en cours en Afrique de l’Ouest avec Boko Haram. Chacun des quatre États de la région du lac Tchad est sous la forte pression du groupe terroriste et la violence qui en résulte crée une situation où même une révolution de couleur désorganisée augmente les chances de son succès final, précisément à cause des préoccupations des gouvernements ciblés par Boko Haram.

C’est particulièrement le cas avec le Tchad, dont la capitale N’Djamena est très proche du champ de bataille et a déjà été victime de quelques attentats suicides. Une révolution de couleur naissante serait un multiplicateur de force ultime pour accroître les chances que le gouvernement soit renversé, soit par Boko Haram, soit par des insurgés urbains, ou par un effort tacite et coordonné entre les deux. D’un point de vue théorique standardisé, les combattants des guerres non conventionnelles font équipe avec les révolutionnaires de couleur récemment actifs afin de déplacer de manière décisive l’équilibre des forces contre l’État et réussir l’objectif commun de changement de régime. La seule alternative à ce scénario serait pour l’armée d’écraser la cohue des manifestants de façon drastique au moment où ils se regroupent avant de passer à l’étape suivante, et anéantir rapidement tous les terroristes qui tentent d’exploiter les débordements qui suivent; ce scénario est tout aussi vrai pour le Tchad que pour un autre État qui se trouverait face à un risque de guerre hybride inverse.

Application pratique

Si on prend tout ce qui a été examiné à ce jour, et qui a été prouvé par les cas syrien et ukrainien, il est maintenant temps de mettre en pratique les leçons de la guerre hybride pour prédire où elle pourrait frapper la prochaine fois. Les projets transnationaux multipolaires conjoints les plus percutants sont développés par la Russie et la Chine, et les deux plus importants sont l’Union eurasienne et le projet Une ceinture, une route (New Silk Road). Leur espace commun d’intersection en Asie centrale signifie que toute déstabilisation à grande échelle dans cette région pourrait atteindre un objectif deux en un pour faire contrepoids aux ambitions de deux grandes puissances par un seul coup magistral de géopolitique, ce qui explique pourquoi il y a un risque si élevé de guerre hybride pour les briser dans un proche avenir. Par ailleurs, cependant, il n’y a pas de chevauchement direct d’intégration du partenariat stratégique russo-chinois, sauf dans les Balkans, mais même là, la confluence des intérêts est moins étroitement connectée et développée qu’elle ne l’est en Asie centrale. Il va sans dire, cependant, que cela fait de ce théâtre la deuxième région la plus vulnérable à des guerres hybrides à venir avec la nécessité pour l’Amérique de préempter la conclusion des deux méga-projets que sont, dans les Balkans, le Turkish Stream et  la route de la soie, qui pourraient résolument faire pencher la balance stratégique de l’Europe vers le monde multipolaire.

Les autres régions à risque de guerre hybride sont ciblées précisément en raison de leur coopération avec la Nouvelle Route de la soie de la Chine, et ils comprennent les États du Grand Heartland, l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan ; la partie occidentale de l’ASEAN ; l’archipel des Maldives dans l’océan Indien ; une large bande de l’Afrique trans-équatoriale qui traverse le continent d’un océan à l’autre ; et le Brésil, le Pérou et le Nicaragua en Amérique latine. Ce qui suit est une carte qui illustre clairement les zones géographiques mentionnées ci-dessus les plus susceptibles d’être menacées par une guerre hybride à l’avenir :



Sur ces régions identifiées – et à l’exception de l’état autonome des Maldives – il y a les principaux pays dont la déstabilisation basée sur l’identité est la plus susceptible de se produire en raison de certaines raisons spécifiques et contextuelles. Les plus réalistes en fonction de leur probabilité relative sont les pays suivants : l’Ouzbékistan dans le Grand Heartland ; la République de Macédoine dans les Balkans ; le Myanmar dans l’ASEAN ; Djibouti-Ethiopie en Afrique ; et le Nicaragua en Amérique latine. Si on simplifie la carte précédente, voici à quoi cela ressemble avec seulement les déclencheurs géopolitiques mis en évidence :



La carte ci-dessus vient avec une mise en garde, cependant. Il est possible que le noyau de déclenchement dans le Grand Heartland, l’ASEAN, l’Afrique et l’Amérique latine puisse être usurpé par des situations moins probables, mais régionalement plus percutantes de guerres hybrides dans des pays comme le Turkménistan, la Thaïlande, le Kenya, la Tanzanie, et le Brésil. Les déstabilisations dans ces pays pourraient même être plus efficaces pour perturber les projets transnationaux multipolaires conjoints dont ils font partie dans leur zone géographique avec leurs homologues régionaux susmentionnés. Voici une carte modifiée qui reflète les mises en garde :



Après avoir révélé les objectifs de base de la guerre hybride, les articles à venir se concentreront sur chaque région désignée, en mettant l’accent sur les déclencheurs mis en évidence, qui devraient soit provoquer une conflagration plus large soit saboter de façon irréversible les projets intégrationnistes transnationaux dont ils font partie. La seule exception au format décrit sont les Maldives, puisque l’auteur a déjà écrit une analyse exhaustive en trois parties sur le risque de guerre hybride et les implications géopolitiques plus larges de sa déstabilisation. Sur ce pré-requis, les articles suivants de la recherche aborderont dans l’ordre, l’Asie centrale, les Balkans, l’ASEAN, l’Afrique, et l’Amérique latine.

Chaque section commence par décrire l’importance géo-économique de la région ou, en d’autres termes, comment elle adhère à la loi de la guerre hybride. Ensuite, un bref aperçu sera donné sur certaines des vulnérabilités socio-politiques les plus pertinentes pour chaque État qui pourrait être touché et incorporé dans le large scénario des guerres hybrides. Enfin, la dernière partie se concentrera spécifiquement sur la cible centrale dans chaque région en expliquant comment une guerre hybride pourrait rapidement briser le projet transnational multipolaire conjoint dont il fait partie et, le cas échéant, examiner les différences comparatives en probabilité et l’impact entre le noyau et les États périphériques.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie ]Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.

Le livre est disponible en PDF gratuitement [en anglais, NdT] et à télécharger ici

Traduit par Hervé, vérifié par jj, relu par Diane pour le Saker francophone

Notes

    État de transit signifie ici un État hébergeant un réseau de transport ou plus largement un projet d’intégration sous le contrôle américain ?

JacquesL

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Guerres hybrides : 4. Dans le grand Heartland (I)
« Réponse #3 le: 04 avril 2016, 11:41:10 pm »
Guerres hybrides :
4. Dans le grand Heartland (I)


http://lesakerfrancophone.fr/guerres-hybrides-3-dans-le-grand-heartland

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Par Andrew Korybko (USA) – Le 25 mars 2016 – Source Oriental Review

Le Grand Heartland acquiert son importance stratégique et économique  première en qualité de pivot de l’intégration multipolaire du supercontinent. Comme cela a été mentionné à la fin de la partie 3, il y a un chevauchement direct entre l’Union eurasienne de la Russie, la Nouvelle Route de la soie de la Chine, et les pays comme le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan, qui  sont actuellement connectés par ces deux projets.


Les carrefours du monde multipolaire
Redéfinir le Heartland


Pour ceux qui sont sensibles à la théorie géopolitique, les trois états cités sont en corrélation notable avec le large territoire que le stratège britannique du début du XXe siècle Halford Mackinder appelait le Heartland, qu’il définissait comme le pivot géopolitique de l’Eurasie. Des stratèges plus contemporains ont rétréci la région aux anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, mais l’auteur de cet article estime que c’est actuellement insuffisant pour accommoder la dynamique changeante de l’ordre mondial en évolution, et donc propose une modification du concept en y incluant l’Iran, l’Afghanistan et aussi le Pakistan. Cette version redéfinit la thèse originale de Mackinder et déplace le centre de gravité géopolitique dans une direction plus au sud – par contraste aux larges contours de Mackinder incluant toute la Sibérie et la plupart de l’Extrême-Orient russe – afin de refléter les zones les plus pertinentes de la concurrence géopolitique entre les mondes unipolaires et multipolaires dans le contexte de la nouvelle guerre froide.


Connexion Eurasie

Asie centrale




Correspondant au grand Heartland, il y a quatre zones globales de connectivité, et chacune d’entre elles a son propre rôle géo-économique dans le grand ensemble. Les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale sont largement connectées directement à la Russie et à la Chine, et elles fournissent également un pont géopolitique entre ces deux géants. Ensemble, ces pays forment le noyau inestimable du partenariat stratégique russo-chinois, et leur stabilité est une préoccupation première pour les deux partenaires que sont ces grandes puissances. Pour élargir le concept multipolaire d’intégration encore plus loin, la Chine a annoncé un chemin de fer ambitieux trans-Asie centrale à la fin novembre pour la relier à l’Iran, catapultant ainsi l’importance de la région à des sommets sans précédent.

Toute perturbation dans cet espace porte en elle le potentiel de se propager rapidement dans toute la région, en particulier si de tels événements provenaient de la vallée de Fergana à l’identité fragile, nécessitant ainsi une approche multilatérale de la sécurité de la région. L’OTSC dirigée par la Russie, intègre le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan, tandis que l’OCS qui est traditionnellement une copropriété conjointe entre la Russie et la Chine, comprend ces trois pays plus l’Ouzbékistan.

Le maillon faible qui reste entre ces deux espaces est le pays constitutionnellement neutre du Turkménistan, et alors qu’il est géographiquement isolé du chaos transfrontalier qui pourrait contaminer l’ensemble du Fergana, il est très vulnérable à une offensive terroriste conventionnelle depuis l’Afghanistan, qui pourrait autrement être atténuée par sa participation multilatérale à l’un des deux cadres de sécurité régionale. Cela n’aurait pas tant d’importance s’il n’y avait pas le rôle absolument crucial du Turkménistan dans des projets d’énergie multipolaires conjoints transnationaux, principalement en étant le partenaire énergétique le plus stratégique de la Chine et son plus grand fournisseur de gaz.

Iran

La République islamique est particulièrement bien placée pour agir en tant que canal géopolitique pour le commerce russo-indien via le Corridor Nord-Sud qui les relie. Concernant la Chine, le chemin de fer trans-Asie centrale qui a été mentionné ci-dessus a la potentialité de changer le jeu politique chinois au Moyen-Orient. Dans une telle future configuration, cela permettrait à la Chine d’accéder directement au marché du Moyen-Orient et donc d’étendre la portée de sa nouvelle Route de la Soie tout en évitant simultanément les goulots d’étranglement maritimes qui pourraient être bloqués pendant des hostilités avec les États-Unis. Tout compris, l’Iran est un partenaire géo-économique intégré pour la Russie et la Chine, bien que les deux États n’y disposent pas d’intérêts explicites se chevauchant du même niveau qu’en Asie centrale. Néanmoins, tout type de guerre hybride de déstabilisation qui affecterait négativement la stabilité de l’Iran – que ce soit dans le pays même ou tangentiellement via l’étranger – aurait un impact similaire sur les grands intérêts géo-économiques de la Russie et de la Chine.
North-South Transport Corridor (Mumbai - Helsinki) allows to significantly cut the distance of cargo transportation.

Corridor de transport Nord-Sud (Mumbai – Helsinki) qui permet de réduire de manière significative la distance de transport de fret.

Afghanistan

Ce pays déchiré par la guerre est potentiellement l’un des plus géostratégiques de toute l’Eurasie, car il permet théoriquement une projection d’influence simultanée sur tous les États du Grand Heartland, sauf pour le Kazakhstan et le Kirghizistan. Sous le contrôle des États-Unis, cela signifie que ce chaos terroriste pourrait déborder vers les frontières de ces états et aider à faire avancer la théorie des Balkans eurasiens de Brzezinski. Mais dans un environnement multipolaire libéré, il pourrait inversement servir de territoire précieux à mi-chemin pour relier différents projets conjoints. Par exemple, en l’absence des défis actuels en matière de sécurité, l’Afghanistan serait le chemin le plus simple pour relier physiquement ensemble les cousins culturels, l’Iran et le Tadjikistan –  éventuellement en se connectant à la voie ferrée turkmeno-afghano-tadjike en cours de construction – tout en évitant la possibilité que l’Ouzbékistan puisse une fois de plus tenter d’entraver leur commerce bilatéral. Certes, le coût de cette opportunité est d’éviter directement le marché potentiellement lucratif ouzbek, mais un tel sacrifice stratégique pourrait être considéré à contrecœur comme nécessaire pour sécuriser la route commerciale irano-tadjike et éviter qu’elle ne soit victime de jeux de transit politiques.

L’Afghanistan est prêt à jouer un rôle central dans un autre projet, plus certain, le pipeline TAPI qui vise à acheminer le gaz turkmène vers le marché indien. Conçu il y a près de deux décennies, les premières étapes de son actualisation ont finalement commencé au début de novembre lorsque le Turkménistan a autorisé la construction de son segment de l’oléoduc. Si le projet était déjà terminé, alors il ferait d’Ashgabat un partenaire critique de New Delhi et contribuerait à permettre au Turkménistan de jouer un rôle stabilisateur dans l’ascension économique de l’Inde. Quand on comprend que ce scénario positif et potentiellement important à l’échelle mondiale est conditionné à un transport en sécurité via le TAPI à travers l’Afghanistan, il devient évident que Kaboul pourrait avoir beaucoup d’influence sur l’état à venir des affaires, s’il arrive à sécuriser l’ensemble et joue correctement de ses cartes, s’octroyant ainsi une position géo-économique enviable dans l’avenir (ce qui en fait par conséquent une cible encore plus alléchante pour les États-Unis).

Pakistan

The-Proposed-46-billion-China-Pakistan-Economic-Corridor-05-2015-lg


L’État du sud asiatique peut devenir l’hôte de trois projets conjoints multipolaires qui se chevauchent, ce qui lui accorde ainsi un des plus grands potentiels géo-économiques dans le monde. Le pipeline TAPI a déjà été abordé, mais un projet similaire est envisagé pour courir de l’Iran à l’Inde, et potentiellement traverser le Pakistan – et si cela se fait, une ramification vers la Chine est aussi concevable. Il y a la possibilité qu’un chemin sous-marin coûteux puisse être choisi à la place afin d’apaiser les préoccupations stratégiques de l’Inde au sujet du Pakistan, pour éviter qu’il ne devienne une Ukraine de l’Asie du Sud qui utiliserait sa position sur le transit énergétique pour du chantage politique. Mais étant donné que TAPI va également passer par le Pakistan, il semble que New Delhi ait déjà assez foi dans la jugeote d’Islamabad et pourrait aussi opter pour que la ligne iranienne passe par là. Si tel est le cas, alors le Pakistan se distinguerait en tant que partenaire d’énergie irremplaçable pour l’Inde, et l’avantage mutuel pour les deux à travers cette coopération pragmatique pourrait être utilisé comme un tremplin pour intensifier leurs relations économiques par le biais de la SAARC.

Le troisième, et prospectivement le plus important des trois projets d’infrastructure prévus par le Pakistan, est le corridor économique Chine-Pakistan. Ce gigantesque effort de $46 milliards serait pour la Chine une bouée de sauvetage vitale vers l’océan Indien par le port de Gwadar, pour lui permettre d’atténuer la perte stratégique prévisible au Myanmar – qui sera décrite un peu plus tard dans cette étude. En fait, il est tout à fait possible que le Corridor économique sino-pakistanais puisse même devenir la base d’une large fermeture éclair eurasienne qui aide à lier ensemble l’Union eurasienne, la Chine, l’Iran et la SAARC.

Alors qu’il est encore beaucoup trop tôt pour dire si oui ou non ce scénario panoramique sera un jour pleinement effectif, tous les éléments actuels semblent converger en sa faveur, et la réussite de sa mise en œuvre donnerait au monde multipolaire l’effet de levier le plus fort dans le remodelage des flux géo-économiques du supercontinent.

Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie « Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime » (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.

Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine  pour le Saker Francophone.

JacquesL

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Guerres hybrides : 4. Dans le grand Heartland (II)
« Réponse #4 le: 11 avril 2016, 10:52:34 pm »
Guerres hybrides : 4. Dans le grand Heartland (II)
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Guerres hybrides : 4. Dans le grand Heartland (II)

Par Andrew Korybko (USA) – Le 4 avril 2016 – Source Oriental Review

Aussi prometteur de potentiel que soit le Grand Heartland dans l’accomplissement de ce qui semble être le destin inévitable multipolaire du monde, il court le risque d’être freiné par la manipulation adroite de ses vulnérabilités socio-politiques de type Balkans eurasiens.


Les Balkans eurasiens

Pour mettre en jambe rapidement le lecteur, c’est l’idée première adoptée par Zbigniew Brzezinski que la masse des territoires allant de l’Afrique du Nord à l’Asie centrale est dangereusement menacée par la fragmentation à grande échelle le long des lignes identitaires (ethniques, religieuses, historiques, etc.), comme le reflet à une échelle beaucoup plus grande des irrégularités démographiques qui ont intensifié les guerres balkaniques fratricides au début des années 1990.

Ces différences d’identité préexistantes n’ont jamais joué un grand rôle dans les affaires intérieures ou régionales, jusqu’à ce que les États-Unis commencent à expérimenter en les utilisant au milieu des années 2000 jusqu’à nos jours, et les fruits de ce travail socio-politique ont déjà conduit à la fabrication d’une rivalité sunnite-chiite. Étant donné que les États-Unis ont connu de grands succès en relançant activement le conflit quelque peu endormi des divisions sectaires dans l’islam, vieux d’un millénaire (qui s’étaient jusqu’ici exprimées pacifiquement la plupart du temps), il n’est pas improbable que cela puisse aboutir au même résultat avec des conflits d’identité moins grandioses et aux occurrences plus récentes, tels que ceux qui seront de manière concise (mais pas exhaustive) énumérés ci-dessous:


L’Iran

L’État successeur de l’ancienne civilisation de la Perse est composé d’une multitude d’identités qui incluent les Azéris, les Kurdes et les Baloutches. Pour la plupart, ils partagent leur patriotisme civilisationnel entre les ethnicités disparates, et le militantisme explicite exprimé contre eux par l’ennemi externe américain au cours des décennies a gardé toutes ces unités démographiques largement unies, mais les tendances actuelles indiquent un possible affaiblissement de cette symbiose civile. Pour commencer, la montée du nationalisme azéri pourrait poser un défi sécessionniste aux autorités s’il n’était pas gardé sous contrôle. En effet, ce groupe est estimé constituer un énorme 25% de la population selon certaines mesures et est fortement concentré dans le centre économique au nord-ouest du pays.

En outre, il y a aussi la minorité kurde qui vit à proximité de cette zone et le long de près de la moitié de la frontière irakienne. On sait comment les Kurdes ont été nationalistes au cours des deux dernières années, et avec la guerre contre ISIS, ce nationalisme s’est régulièrement renforcé. Il est prévisible que ce groupe ethnique transnational va prendre un rôle plus influent et indépendant dans les affaires régionales. Dans la lutte autour de cette nouvelle guerre froide entre les mondes unipolaires et multipolaires, gagner la loyauté kurde est absolument essentiel dans la détermination de la sécurité future de l’Iran, car si ce groupe influent venait à basculer plus avec les États-Unis qu’avec ses rivaux, il pourrait être utilisé comme un proxy déstabilisateur en essayant activement de parvenir à un Kurdistan transnational pro-américain.



Carte ethnique de l’Iran. Source: Université de Harvard.

Un autre facteur à considérer pour envisager les vulnérabilités de guerre hybride en Iran, sont les Baloutches  qui habitent la zone peu peuplée mais géographiquement grande de l’est du pays. Un nombre important de ces Baloutches réside également dans une région géographiquement plus grande du Pakistan, le Baloutchistan, plus une petite minorité en Afghanistan. Au cours des dernières années, un grand nombre d’organisations militantes a tenté de mener une insurrection de faible intensité au Pakistan (qui sera décrit plus en détails dans la section suivante), et qui bien sûr porte en elle le risque de se répandre dans les parties peuplées de Baloutches de l’Iran, déséquilibrant le leadership hors du pays. De manière significative, le port de Chabahar, financé par des Indiens, et l’un des nœuds les plus importants sur le Corridor Nord-Sud, est situé dans les provinces du Sistan et du Baloutchistan, et ses infrastructures ferroviaires associées pourraient être compromises de façon prédictive si le conflit jusqu’à présent basé au Pakistan se déplace vers l’ouest.

Le dernier scénario majeur dans lequel la guerre hybride pourrait prendre racine en Iran, est par la rivalité permanente modérés-conservateurs se produisant au sommet de la direction du pays. Pour résumer, les modérés, dirigés par Rouhani, pourrait plus précisément être décrits comme occidentalistes, tandis que les conservateurs, représentés par l’ayatollah et le Corps des gardiens de la révolution iranien, sont plus proches des patriotes nationalistes. L’accord nucléaire iranien a été fondé sur l’élargissement de la fracture entre les deux, et les États-Unis espéraient utiliser la menace implicite d’une réduction de la Révolution verte de 2009 afin d’assurer la conformité de l’accord. Dans les mois qui ont suivi, cependant, les patriotes ont fait un retour dans la réaffirmation de leur rôle dominant dans les affaires nationales, comme on le voit par la coopération de l’Iran avec la Russie, incluant la coalition anti-ISIS (symboliquement importante dans le contexte de la nouvelle guerre froide), l’ayatollah Khamenei a produit un édit interdisant la poursuite des négociations avec les États-Unis, et décrivant les précautions de sécurité à prendre contre les éléments hostiles promouvant le pré-conditionnement social. Ce dernier mouvement a été critiqué par Rouhani, ce qui ne démontre pas les sympathies crypto-occidentales qu’il incarne réellement, mais révèle cependant qu’il comprend combien cela l’affecte lui et la capacité de son camp à projeter son influence à l’avenir.


Pakistan


Carte des zones tribales sous administration fédérale

Se référant à ce qui a été mentionné précédemment, le Pakistan fait face à un sérieux défi de stabilité dans la province du Baloutchistan riche en ressources. Le port de Gwadar est d’une importance géo-économique certaine, en étant l’extrémité sud du corridor économique sino-pakistanais ; et il se trouve dans cette région, ce qui signifie donc que la déstabilisation ici pourrait également avoir un impact sur les projets conjoints transnationaux de la Chine, tout autant que son frère jumeau en Iran avec les provinces du Sistan et du Balouchistan, pourrait en avoir pour l’Inde. Toutefois, étant donné que la Chine est le véritable moteur du changement multipolaire de transformation dans le monde entier, alors que l’Inde est beaucoup plus tiède à cet égard (en dépit de son statut de membre des BRICS et de l’OCS et sa relation spéciale avec la Russie), il est prévisible que la déstabilisation des Baloutches basés au Pakistan est beaucoup plus susceptible d’être provoquée par les États-Unis que par leurs homologues iraniens, tout au moins dans les premiers stades.

Contrairement à l’Iran qui n’a pas d’insurrections nationales (pour l’instant), le Pakistan est en proie à l’action des talibans transnationaux, qui se déplacent entre les zones tribales sous administration fédérale (FATA) dans le nord et l’Afghanistan. Il serait donc dans une position désavantageuse vis-à-vis d’un conflit frémissant avec les Baloutches, si ce pays devait diviser son attention à ce moment critique de l’action anti-terroriste. Ceci présente une ouverture stratégique attrayante pour les États-Unis s’ils choisissaient d’agir là dessus, ce qui augmente d’autant la probabilité que cela pourrait se produire dans une certaine mesure. De même, et comme on le verra bientôt en parlant de l’Afghanistan, cela signifie aussi que tous les efforts américains pour guider les talibans, ISIS, et / ou toute guerre hybride à venir à travers eux, ou une toute nouvelle entité terroriste autour de la frontière pakistanaise, pourraient créer rapidement un scénario de crise pour Islamabad qui, par réaction, entraînerait une baisse d’attention au Baloutchistan pendant cette période critique, présentant encore un autre scénario stratégique pour une insurrection ethnique à faire fleurir.

Pour compléter les possibilités de guerre hybrides au Pakistan, il existe le potentiel pour une révolution de couleur 1.5, inspirée par les dernières technologies politiques déployées en Arménie, au Liban et en Malaisie. Décrit à l’origine dans l’un des articles de l’auteur pour l’Institut russe d’études stratégiques, cette forme de troubles par étreinte avec des slogans anti-corruption est dirigée depuis une société civile amorphe et superficiellement apolitique. Cette innovation structurelle permet aux dirigeants du coup d’État de réajuster leur infrastructure sociale (leadership, membres, slogans, etc.) à la volée beaucoup plus efficacement que si elles suivaient les pratiques relativement rigides de leurs prédécesseurs dans l’organisation de l’événement autour des partis politiques clairement définis conduits par quelques têtes bien connues (et facilement compromises). Les manifestations de grande ampleur contre le Premier ministre Nawaz Sharif en août 2014, prouvent qu’il y a une base socio-politique pour mobiliser davantage d’activisme contre le gouvernement, et il est concevable qu’une scénario mis à jour pourrait être redéployé contre lui ou son successeur à l’avenir, alors que le Corridor économique sino-pakistanais commence à prendre plus concrètement forme.


Afghanistan

La plus grande menace de guerre hybride en Afghanistan est le terrorisme affilié à État islamique dirigé par les talibans et ISIS, qui, tous deux, gagnent du terrain dans le pays. L’ONU a déclaré en octobre 2015 que les conquêtes des talibans n’ont jamais été aussi grandes depuis leur renversement en 2001, et les rapports ont confirmé qu’ISIS a pris pied dans le pays. Cela étant dit, les relations entre les deux groupes terroristes ne sont pas claires, et il y a à craindre qu’un différend entre dirigeants talibans puisse créer des faiblesses exploitables par ISIS pour prendre le pas sur ses rivaux, de la même manière qu’ils l’ont fait avec al-Qaïda au Moyen-Orient, acquérant ainsi un territoire gouvernable à partir duquel établir une franchise de leur califat. Selon l’emplacement de la terre qu’ils saisiraient, ils pourraient être en mesure d’étendre leur État islamique, soit en Asie centrale et / ou au Pakistan. A partir de ce scénario, il y a une chance (peu probable) que les talibans envahissent d’autres pays de leur propre initiative, ou qu’ils fassent équipe avec ISIS pour conquérir l’Afghanistan avant de rediriger leur terreur commune vers l’extérieur (même si une scission violente entre les deux pourrait apparaître avant cela), ou qu’un groupe terroriste nouveau et moins connu tels que Hizb ut-Tahrir le fasse à leur place.


Les zones dominée par les Talibans et leur influence sont marquées en rouge et jaune.

Une autre possibilité de déstabilisation transnationale pourrait émaner de l’Afghanistan si les rumeurs de zones tampons à base ethniques dans le nord, entre les communautés turkmène, ouzbek et tadjik deviennent une pomme de discorde entre leurs patrons respectifs. Bien qu’aucune preuve n’existe pour suggérer que celles-ci ont été officiellement mises en place ou sont en concurrence les unes avec les autres, si ces zones devaient, de fait, prendre une forme d’États plus solide qu’elles n’en ont maintenant, les conflits inter-ethniques en Afghanistan pourraient provoquer des tensions inter-étatiques entre leurs sponsors d’Asie centrale. Nulle part ailleurs cela n’est plus plausible qu’entre le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, comme leur éternel conflit pourrait, de façon prévisible, s’étendre autour de la frontière afghane jusqu’à ce que l’un d’eux s’engage dans une action résolue, soit par des intermédiaires ou par les chefs de guerre eux-mêmes, avec toutes les conséquences qui en découleraient pour une guerre régionale plus large.

Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.

Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Liens :
La Guerre Réseaucentrique révèle l’ère du totalitarisme ultime et planétaire
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine  pour le Saker Francophone.
« Modifié: 11 avril 2016, 10:59:00 pm par JacquesL »

JacquesL

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Guerres hybrides : 4. Dans le grand Heartland (III)
« Réponse #5 le: 18 avril 2016, 11:20:04 pm »
Guerres hybrides : 4. Dans le grand Heartland (III)

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Guerres hybrides : 4. Dans le grand Heartland (III)
Par Andrew Korybko (USA) – Le 4 avril 2016 – Source Oriental Review

Andrew continue son petit tour d’Asie centrale et balaye la situation des pays proches de l’Afghanistan, dont la déstabilisation par l’armée US après le 9/11 n’a pas fini de provoquer des remous dans cette région des Balkans Eurasiens.

Turkménistan

La menace qui pèse sur le Turkménistan est moins celle d’une révolution de couleur que celle d’une guerre non conventionnelle. Le catalyseur de ce conflit serait une invasion terroriste en provenance d’Afghanistan qui progresserait de façon inattendue vers le nord, le long de la rivière Murghab. Une telle offensive n’a même pas à atteindre la capitale nationale pour être couronnée de succès, car tout ce qu’elle a vraiment besoin de faire est de prendre la ville de Mary, la capitale d’une région riche en ressources. Cette partie du pays contient la part du lion de la réserve de gaz du Turkménistan, qui comprend le massif champ de Dauletabad, en fonctionnement depuis des décennies, et du champ Galkynysh nouvellement découvert, ce dernier étant la deuxième plus grande réserve de gaz récemment découverte.

Il ne serait pas non plus si difficile pour les terroristes de prendre en charge ce morceau de terre, puisque la rivière Murghab est parsemée de petits villages le long de ses rives, qui pourraient fournir une couverture en cas de frappes aériennes, et de sites en surplomb à partir desquels provoquer des batailles rangées. Les terres fertiles à proximité sont dotées d’un potentiel agricole qui pourrait sûrement être stocké quelque part tout près et facilement accessible, ce qui pourrait aider à nourrir les forces d’occupation jusqu’à ce que de plus grandes conquêtes soient faites. En bref, la rivière Murghab est l’itinéraire le plus facile sur le plan militaire et logistique pour une invasion par EI du Turkménistan, et il conduit directement au cœur gazier de l’Eurasie qui est connecté de manière critique à la Chine et sera peut-être aussi lié à l’Inde dans la décennie à venir.

Le risque que des terroristes prennent le contrôle de la plus grande source d’importations de gaz de la Chine et peut-être même détruisent les installations, est trop fort pour que les stratèges multipolaires à Pékin et Moscou le supportent, et il est assuré qu’ils sont déjà engagés dans une sorte de planification d’urgence officieuse avec leurs homologues à Achgabat. Une intervention chinoise anti-terroriste est largement exclue en raison des distances géographiques et d’un manque de soutien et de logistique en cours de route, mais l’armée russe n’a pas ces obstacles et serait beaucoup plus susceptible d’aider les autorités turkmènes, si elles étaient appelées à le faire. Ceci est bien sûr un dernier recours et ne serait décidé que si le Turkménistan se trouvait incapable d’endiguer la vague terroriste pour défendre son infrastructure de gaz, mais un tel événement est assurément prévu, juste au cas où la frontière turkmèno-afghane se révélerait trop fragile pour être défendue contre les terroristes comme ceux en Syrie et en Irak.


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Kazakhstan

Le Kazakhstan et les trois autres états restants de l’Asie centrale ex-soviétique, sont grandement exposés au risque d’un printemps d’Asie centrale se déclenchant dans la vallée de Fergana, et la partie IV de la série sur le Grand Heartland se concentrera exclusivement sur ce scénario toujours possible. Par conséquent, le reste de cette section explorera les autres vulnérabilités de guerre hybride face à ces quatre pays.

Le plus grand État, géographiquement parlant, dans la région du Grand Heartland, est étonnamment à l’abri de la plupart des facteurs classiques socio-politiques qui conduisent à des guerres hybrides (à l’exclusion des variables qui seront ensuite discutés au sujet du printemps d’Asie centrale). Si l’on était aveugle aux contextes nationaux et internationaux pertinents au Kazakhstan, alors on serait enclin à croire que la population russe constitue la plus grande menace à la souveraineté du pays, bien que cela ne puisse être plus éloigné de la vérité. Théoriquement parlant, la démographie satisfait à tous les critères nécessaires pour susciter une guerre hybride, mais l’alignement multipolaire du Kazakhstan avec l’Union eurasienne et un traitement respectueux de ce groupe minoritaire russe influent, exclut toute chance qu’eux ou la Russie essaient jamais de s’aventurer dans ce scénario. D’un autre côté, l’inclusion même d’une telle minorité russe si importante au sein du Kazakhstan, attache Astana et Moscou avec des liens plus forts que presque tout autre État de l’ex-Union soviétique, et cela incline à améliorer, pas à détériorer, les relations entre eux.

La seule vulnérabilité dans cette configuration relativement sûre, est que si les États-Unis et ses mandataires affiliés sous formes d’ONG parviennent à un lavage de cerveau de la population russo-kazakh autour d’un nationalisme extrême de type Pravy Sektor ou dirigé par des Navalny, cela pourrait alors créer une situation géopolitique délicate, où des braillards agiteraient des minorités russes contre Astana avec des tentatives d’enfoncer un coin entre le Kazakhstan et la Russie. Les agents de la sécurité dans les deux États sont susceptibles d’être bien informés de ce scénario trop évident, et on peut prédire qu’ils ont répété des mesures d’urgence coordonnées pour y répondre. Néanmoins, si une telle idéologie virulente, discriminatoire et destructrice comme le grand nationalisme russe était autorisée à pourrir un Kazakhstan multiculturel et certaines parties de la Fédération de Russie elle-même, alors une épidémie de scandales dans la région pourrait provoquer un événement simultané transfrontalier à l’intérieur de la Russie, surtout si des cellules dormantes de sympathisants organisaient des manifestations anti-gouvernementales contre la trahison de Moscou envers des compatriotes, par son refus de reproduire le scénario de Crimée dans le nord du Kazakhstan.


Debris is scattered in front of the headquarters of the OzenMunayGaz energy company in Zhanaozen, Dec 2011.
Débris dispersés devant le siège de la société d’énergie OzenMunayGaz à Zhanaozen, décembre 2011.

Une autre possibilité de déstabilisation qui ne doit pas être écartée au Kazakhstan, est une répétition des émeutes de Zhanaozen, la très localisée tentative de Révolution de Couleur qui a été déclenchée par un conflit initié autour de revendications sociales en 2011. Les travailleurs sur le champ pétrolier ont été nourris par des plaintes concernant de mauvaises conditions de travail, des bas salaires et des salaires impayés, et cela a créé une atmosphère attrayante pour une révolution de couleur à exploiter. Conformément à la tradition de la révolution de couleur, les émeutes ont commencé le 16 décembre, le jour du 20e anniversaire de l’indépendance du Kazakhstan, et devaient vraisemblablement signaler le début d’une tentative de changement de régime à d’autres cellules à travers le pays, presque un an jour pour jour après que la révolution de couleur du printemps arabe avait éclaté en Tunisie.

En faisant bouillir cette colère préexistante, les travailleurs étaient extraordinairement faciles à exploiter, et ils ont commis un carnage en tuant plus d’une douzaine de personnes et en en blessant plus de 100 autres avant la déclaration de l’état d’urgence et qu’une intervention militaire ne soit nécessaire pour rétablir l’ordre. La réaction décisive des autorités et l’identité patriotique et multiculturelle de la plupart des Kazakhs, ont empêché la propagation du virus de la révolution de couleur depuis la lointaine frontière turkmène, tout le long du chemin jusqu’à la capitale située au centre du pays. Mais les leçons stratégiques qui peuvent être tirées de cet épisode sont les suivantes : les conflits d’entreprise et les organisations syndicales pourraient être à la fois une couverture et l’étincelle pour une révolution de couleur; et les déstabilisations pourraient commencer en dehors des grandes villes et avoir pour origine des provinces éloignées.


Kirghizistan

Cette petite république montagneuse est notamment divisée le long d’une fracture abrupte Nord-Sud, avec la capitale, Bichkek, qui est située le long des plaines du Nord, tandis que les grands centres de population, Jalal-abad et Osh,  sont dans la vallée de Fergana plus au sud. La nature clanique de la société kirghize a joué un rôle important dans l’influence du système politique, ce qui a eu comme conséquence de créer du ressentiment concernant les identités selon les groupes et selon que leur sous-représentation est disproportionnée à un moment donné. Bien que la situation soit relativement stabilisée et devienne un peu plus équitable depuis la révolution de couleur de 2010, les tensions basées sur les clans et leurs affiliations géographiques sont encore profondément ancrées dans la psyché nationale et toute la sérénité visible est démentie tout simplement par les tensions aggravantes qui se trouvent juste sous la surface. Comme confirmation de cette évaluation, il suffit de se rappeler la stabilité trompeuse dont beaucoup avaient mal évalué la présence dans le pays, juste avant les révolutions de couleur de 2005 et 2010. Après avoir été témoins de la féroce violence ethnique basée sur les clans qui a explosé après chacune d’entre elles, il est improbable de supposer que les éléments d’embrasement de ces conflits d’identité, pris un par un, ont tout simplement disparu de leur propre chef après seulement une demi-décennie.

Ce qui s’est vraiment passé est qu’ils sont rentrés dans la clandestinité comme d’habitude et ont disparu du discours national, tout en restant psychologiquement mobilisés et prêts à agir au moment où une future déstabilisation occuperait ou dissoudrait les forces de sécurité et fournirait une autre ouverture stratégique pour régler les vendettas non résolues qui persistent encore depuis la dernière fois. La zone la plus sujette à ces violences au Kirghizistan, est sa région de Fergana au sud, qui vient buter contre l’Ouzbékistan, et il y a ici des éléments islamiques radicaux qui ont pris racine. La difficulté pour les éradiquer de force est que toute opération de sécurité kirghize majeure, si près de la frontière ouzbèke, et sans parler du fait qu’elle pourrait cibler potentiellement des Ouzbeks, pourrait créer une très forte impression d’hostilité en Ouzbékistan, qui pourrait à son tour utiliser les événements comme prétexte pour activer un plan préétabli afin de mobiliser ses forces en réponse aux violations des droits de l’homme prétendument commises contre ses compatriotes ethniques. La loyauté géopolitique de Tachkent a toujours été nébuleuse et mal définie, et le pays a été travaillé plus étroitement par les États-Unis depuis le retrait d’Afghanistan en 2014. Washington a besoin d’un chef de file partenaire qui agit dans l’ombre en Asie centrale. Il est possible que l’Ouzbékistan ait été désigné pour ce rôle et que s’il ne s’y conforme pas, cela pourrait conduire à un scénario de printemps en Asie centrale qui sera bientôt discuté.



Pour revenir aux menaces de guerre hybride auxquelles doit faire face le Kirghizistan, il est important de souligner que le relief montagneux du pays est très accommodant pour une guérilla. Les parties sud de la montagne sont peu peuplées, et le gouvernement n’a guère de présence dans certaines des zones les plus isolées. En regardant la géographie régionale en jeu, il est concevable que les terroristes basés dans la vallée de la Fergana puissent recevoir des armes et des combattants de l’Afghanistan, en tirant parti de l’absence de présence gouvernementale dans le sud du Kirghizistan et du Haut-Badakhchan du Tadjikistan. Après tout, cet itinéraire est déjà utilisé pour faire passer des tonnes de médicaments, il est certainement possible qu’il puisse l’être pour transporter des terroristes et des armes (si ce n’est pas déjà fait). Il est très difficile pour les autorités kirghizes d’exercer un contrôle total sur cette région, en raison de ressources financières et humaines serrées, un ordre de priorité pour s’occuper des zones les plus peuplées et une géographie inhibitrice en surplus.

Pour souligner ce dernier point, l’hiver rend généralement la totalité des quelques routes nord-sud infranchissables et bloque les citoyens basés au sud de la montagne dans leurs villages pour la durée de la saison. Cela divise effectivement le pays en deux, et si une guerre hybride coïncidait avec cette saison, elle pourrait alors donner aux insurgés cherchant un changement de régime actif dans cette région, suffisamment de temps pour consolider leurs gains et se préparer aux hostilités qui inévitablement recommenceraient après la fonte des neiges au printemps.

Quand on pense à un califat mené par des terroristes, la dernière chose qui vient probablement à l’esprit est une retraite montagneuse couverte de neige, mais c’est exactement ce qu’EI ou tout groupe avec la même logique pourrait créer selon un scénario réaliste dans le sud du Kirghizistan, s’ils jouaient adroitement leurs cartes. Il serait extrêmement difficile de déloger les terroristes dans un tel scénario, et le danger à le faire serait décuplé s’il apparaissait qu’ils ont accès à des armes anti-aériennes. L’armée kirghize serait évidemment inadaptée pour une telle tâche difficile et devrait  avoir recours à ses partenaires russes dans l’OTSC pour une assistance, avec une aide prévisible de Moscou grâce à une combinaison de surveillance par des drones et des frappes aériennes, tout comme c’est le cas en Syrie en ce moment.


Tadjikistan

La menace qui pèse sur le Tadjikistan est structurellement similaire à celle au Kirghizistan, avec cette large bande géographique montagneuse du pays, qui pourrait être exploitée par des groupes terroristes pour faciliter des itinéraires de contrebande ou fournir un abri dans des grottes. Il va sans dire que la frontière du Tadjikistan avec l’Afghanistan est peut-être sa plus grande vulnérabilité, mais un peu de répit pourrait être trouvé dans le fait qu’il y a plus de Tadjiks ethniques en Afghanistan que dans le Tadjikistan, et que si cette communauté était correctement mobilisée dans toute son étendue, elle pourrait fournir un rempart efficace contre les talibans et d’autres groupes terroristes. À l’heure actuelle, cependant, cela ne semble pas être le cas, puisque les talibans ont été en mesure de saisir brièvement la capitale de la province septentrionale de Kunduz à la fin de septembre et de réaliser ainsi leur plus grand succès militaire depuis 2001.


Garde-frontières tadjiks

Jusqu’à maintenant, il a été largement admis que cette partie de l’Afghanistan était la moins accueillante pour les talibans, en raison de la vaillante histoire de l’Alliance du Nord et de la communauté tadjike relativement laïque qui habite la région. Ce que la prise de Kunduz a enseigné aux observateurs, est que ces deux facteurs ne sont plus les déterminants de la sécurité régionale, et que les talibans ont réussi, dans cette dernière décennie et demie de prosélytisme de leur idéologie, à gagner des sympathisants et infiltrer suffisamment de combattants dans la zone, de manière à mettre en place une base efficace d’opérations. Les convertis qu’ils ont déclarés, les supporters qu’ils ont acquis et les terroristes qu’ils ont déplacés dans le nord de l’Afghanistan, ont tous joué un rôle essentiel dans la capture de Kunduz par des talibans, et ce n’est pas parce qu’ils ont seulement opéré un retrait conventionnel de la ville que cela signifie que leur soft power a disparu avec eux. La raison pour laquelle c’est pertinent pour le Tadjikistan, est que cela prouve que les talibans ont une forte présence tout le long de la rivière frontière Amou-Daria et que les craintes au sujet de leur potentiel militant transfrontalier ne sont pas infondées.

Plus localement, cependant, la plus grande menace vient du Parti de la renaissance islamique, l’organisation nouvellement interdite qui représentait le dernier parti légal de l’islam politique dans la région. Le processus était à l’œuvre depuis un certain temps, mais finalement il a été décidé que le groupe était plein de terroristes et avait besoin d’être arrêté le plus tôt possible. La décision a été stimulée par la tentative de coup d’État de l’ancien ministre adjoint de la Défense Abdukhalim Nazarzoda plus tôt ce mois ci. Lui et un groupe de disciples ont abattu plus de 30 soldats dans la capitale Douchanbé, avant de fuir dans les montagnes où ils ont finalement été pourchassés et tués une semaine plus tard. L’enquête subséquente a révélé que le chef adjoint du Parti de la renaissance islamique, Mahmadali Hayit, avait frayé avec les comploteurs plus tôt dans l’année et que les 13 membres du parti ont été soupçonné d’être impliqués dans les attaques. Il est donc d’une logique absolue que l’organisation soit interdite peu après dans l’intérêt de la sécurité nationale. Dans le même temps, cependant, la proclamation est venue si brusquement que les autorités n’ont pas disposé d’assez de temps pour étouffer complètement l’organisation et les innombrables sympathisants et cellules dormantes probables, dont on peut supposer qu’elles sont intégrées dans la société.  Qu’ils fassent leur transition vers l’action militante au nom de l’organisation terroriste, ou se repentent de leur allégeance précédente et renient cette idéologie, cela reste à voir, mais la menace d’actions reste néanmoins réelle et c’est évidemment un facteur de déstabilisation qui pourrait être mis à profit dans toute guerre hybride à venir contre le Tadjikistan.


Ouzbékistan

Mis à part le scénario du printemps d’Asie centrale qui sera détaillé dans la partie IV, il y a encore pas mal d’autres menaces de guerre hybrides auxquelles le plus grand pays de la région fait face. L’Ouzbékistan est d’abord et avant tout menacé par un effondrement complet de l’ordre public, résultant d’une crise sécessionniste après le passage d’Islam Karimov. L’auteur a précédemment exploré les contours de ces possibilités de refroidissement dans son article La cocotte-minute de déstabilisation de l’Ouzbékistan, mais pour résumer de façon concise, la nature clanique de la société ouzbèke, couplée à la concurrence entre le Service National de sécurité et le ministère de l’Intérieur, a créé un scénario cataclysmique où un trou noir de désordre peut naître au cœur de l’Asie centrale et rapidement se répandre dans tout le reste de la région.

La seule chose qui pourrait éviter à cette société, précédemment tenue ensemble, de partir dans un mouvement de décentralisation considérable à la somalienne avec ses seigneurs de la guerre, serait la reconsolidation rapide de la puissance de l’une des deux agences de sécurité concurrentes. Mais de même que leur rivalité pourrait de manière prévisible s’intensifier dans les jours qui suivraient la mort de Karimov (avec comme résultante, la rupture des aspects sécuritaires que cela entraînerait si elles devaient se concentrer plus l’une contre l’autre que sur leurs objectifs désignés), on ne peut pas exclure que l’Ouzbékistan puisse se désintégrer avant même que quiconque ne se rende compte que c’est arrivé. Bien sûr, si Karimov désigne publiquement un successeur avant sa mort ou se retire et permet à son dauphin de gouverner, cela pourrait apaiser les risques inhérents à ce scénario, mais il ne semble pas trop probable que cela se produise, ni que ces étapes empêchent l’agence rivale de tenter une grand jeu de puissance au moment où le grand patron mourra, inévitablement.

Parallèlement à ce tumulte possible, on pourrait voir une explosion du terrorisme du Mouvement islamique d’Ouzbékistan, Hizb ut Tahrir, d’EI, des talibans, ou d’une autre organisation qui reste encore à être nommée, et / ou une combinaison de ces groupes, ce qui aggraverait la situation de sécurité déjà détériorée dans le pays et diviserait encore plus l’attention des services de sécurité. Il y a aussi la probabilité que les talibans ou EI puissent même faire un mouvement militaire conventionnel sur l’Ouzbékistan, au milieu de la plus grande rupture de l’ordre régional, qui, dans ce cas, ouvrirait la voie à une crise mondiale semblable à celle qui est apparue lorsque EI a franchi la frontière et a commencé la conquête de l’Irak [EI est parti d’Irak, pas de Syrie, NdT].

Par conséquent, fidèle à la théorie de la guerre hybride, tout type de perturbation sociale dans la société ouzbèke étroitement contrôlée, que ce soit par une révolution de couleur, une crise de succession ou une combinaison de facteurs, créerait une occasion alléchante pour les guerriers non conventionnels de se soulever contre l’état et augmenter les chances d’un changement de régime. Dans ce cas, s’il n’y a pas de véritable gouvernement au pouvoir à ce moment, alors cela prolongerait le vide de régime et amplifierait le désordre du pays jusqu’à ce qu’il atteigne le point critique de se propager à ses voisins. Par conséquent, dans un scénario tel que décrit précédemment, il est important pour un leader ou une entité leader (par exemple une junte militaire), de prendre le pouvoir dès que possible afin d’anticiper une rupture régionale. Avec le recul, ce fut précisément cette émergence rapide de leadership, même faible et fragmenté, qui a émergé au Kirghizstan après la révolution de couleur de 2010 et qui a contribué à contenir miraculeusement le chaos et à l’empêcher de se transformer en un printemps d’Asie centrale.

Avant d’aborder ce concept curieux auquel j’ai fait allusion à plusieurs reprises déjà, il est nécessaire de parler brièvement d’un facteur socio-politique mineur en Ouzbékistan, qui ne devrait pas être négligé lors de l’examen des troubles à venir. La république autonome du Karakalpakstan est une entité administrative peu connue de l’ancienne Union soviétique, qui se trouve assise sur de riches réserves de pétrole et de gaz et fournit le passage à deux pipelines vers la Russie. La majeure partie asséchée de la mer d’Aral a doté la région d’encore plus de pétrole et de gaz que ce qui était auparavant accessible, ce qui signifie que le Karakalpakstan deviendra probablement plus important que jamais pour l’État Ouzbek.

Pourtant, son potentiel énergétique n’est pas la raison exacte pour laquelle la république autonome est mise en avant lors de l’examen des scénarios de guerre hybrides, car dernièrement, on a entendu des chuchotements d’un mouvement d’indépendance du Karakalpakstan qui veut, de manière provocante, se joindre à la Russie. Selon toute probabilité, ce n’est pas un véritable mouvement, mais plutôt un front proxy contrôlé par les États-Unis pour faire avancer l’objectif de détendre les liens déjà effilochés entre la Russie et l’Ouzbékistan. L’apparition d’une organisation séparatiste pro-russe à la croisée de l’Ouzbékistan, du Kazakhstan et du Turkménistan, n’est pas accessoire, et est conçue pour déstabiliser toute la région si jamais l’occasion se présentait. En soi, le mouvement d’indépendance du Karakalpakstan est impuissant à faire quoi que ce soit pour perturber l’équilibre de l’Asie centrale, mais dans le cas où la partie la plus peuplée à l’est du pays se mettrait à chahuter suivant un ou plusieurs des scénarios mentionnés ci-dessus, alors il est probable que ce groupe sortirait de l’ombre (ou plus probablement, serait parachuté ou infiltré sur le théâtre des opérations) pour mettre violemment sur la table sa demande sécessionniste afin qu’il puisse ensuite être transformé en un protectorat américain.



Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.

Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine  pour le Saker Francophone.

JacquesL

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Guerres hybrides : 4. Dans le grand Heartland (IV)
« Réponse #6 le: 26 avril 2016, 12:00:00 am »
Guerres hybrides : 4. Dans le grand Heartland (IV)

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Guerres hybrides : 4. Dans le grand Heartland (IV)

Hybrid Wars 2. Testing the Theory – Syria & Ukraine

Par Andrew Korybko (USA) – Le 8 avril 2016 – Source Oriental Review

 
Histoire des tentatives américaines de révolutions régionales

Le scénario de déstabilisation le plus important qui pourrait jamais se produire en Asie centrale, c’est un printemps arabe – comme événement qui ravagerait la région et bouleverserait de manière irréversible l’équilibre politique existant. L’aspect intéressant de cette possibilité est qu’elle a été effectivement tentée deux fois auparavant, avant même que le printemps arabe ne se déroule. Avant d’entrer dans les détails et ré-examiner quelques aspects négligés de l’histoire, il est important de rappeler au lecteur que les États-Unis se sont toujours efforcés d’impulser des transformations de pouvoir à l’échelle régionale.

Le Printemps des nations et le Printemps balkanique


Le premier succès US s’est produit en 1989, lors du Printemps des nations qui, rétrospectivement, peut être considéré comme le premier Printemps arabe, mais en beaucoup plus calme que ce qui est arrivé 22 ans plus tard. La série d’événements les plus proches du Printemps arabe sont les guerres yougoslaves, qui étaient à leur manière une réaction en chaîne aux conflits conventionnels et non conventionnels nés lors des mouvements d’indépendance de 1991, autrement définis par l’auteur comme le Printemps balkanique. Parce que les mouvements sociaux anti-gouvernementaux à grande échelle (comme contre le centre fédéral de Belgrade) ont précédé le déclenchement de guerres sales, le Printemps des Balkans peut être défini comme le précurseur spirituel du Printemps arabe.

Le Printemps soviétique

Chacune de ces deux situations déstabilisantes – le Printemps des Nations et le Printemps balkanique – a contribué à ajouter de la masse critique pour le Printemps soviétique dans lequel certaines des Républiques (notamment baltes) étaient déjà engagées. L’effet de pré-conditionnement était de rendre le sentiment d’indépendance de ces territoires comme imminent et irréversible à l’ensemble de la population (à la fois dans les républiques ciblées et dans l’URSS en général), et d’utiliser ce sentiment pour que cette conclusion préétablie ne soit rien de moins que le résultat naturel d’un processus pro-démocratique plus vaste, sorti de nulle part et balayant le monde. Le plan américain s’est révélé un succès retentissant, au delà des espérances, quand l’URSS s’est dissoute précisément le long de ses frontières internes, comme les États-Unis l’espéraient. L’étape suivante était d’essayer de reproduire ce processus dans la Fédération de Russie nouvellement indépendante, et de porter un coup fatal au pays qui a constamment résisté à la voie de la domination mondiale anglo-saxonne depuis au moins ces trois derniers siècles.

La Parade de la souveraineté


Une réunion pro-souveraineté au Tatarstan en 1990

Toujours ivre de l’après-indépendance et de l’euphorie démocratique qui l’avait infectée, la nouvelle direction russe a été dupée par ce qui a été appelé la Parade de la souveraineté. Les conseillers américains qui travaillaient avec le gouvernement en ces temps-là ont réussi à convaincre Eltsine qu’il devrait laisser les constituants des États fédéraux recevoir autant de souveraineté qu’ils pourraient avaler. Ils s’attendaient à ce que cela conduise certains d’entre eux jusqu’à une indépendance de facto. Le Tatarstan, le Bachkortostan, la Yakoutie et la Tchétchénie étaient les plus éligibles d’entre eux, avec les trois premiers considérablement bien dotés en pétrole, gaz et autres réserves minérales.

Réalisant tardivement le piège stratégique qui leur était tendu, Eltsine et son cabinet ont travaillé dur pour réintégrer ces entités sous l’égide du gouvernement fédéral et, après de nombreuses négociations et concessions politiques, ils ont atteint cet objectif partout, sauf en Tchétchénie. Certes, la Yakoutie devait quelque peu réémerger avec un autre type de problème à la fin des années 1990 et au début des années 2000, lorsque Mikhaïl Khodorkovski a essayé d’en faire son propre fief. Néanmoins, pour la portée de cette analyse autour de la guerre hybride, on peut considérer ce problème comme n’étant plus du même type en termes de risque que ceux décrits précédemment (étant entendu que la nature de la menace a été transformée en quelque chose d’autre hors des limites de la guerre hybride).

Les guerres tchétchènes

Dans le cadre de l’initiative fédérale visant à reprendre le plein contrôle sur les entités constitutives du pays, Moscou a décidé d’intervenir en Tchétchénie après que ce dernier territoire avait refusé de réintégrer et ait insisté pour que son indépendance de facto puisse être légalement reconnue. Réévaluées à partir du spectre des guerres hybrides et en se rappelant les leçons précédentes en Europe, les troublantes guerres tchétchènes montrent de fortes nuances (le wahhabisme de la Tchétchénie et l’indépendance de facto qui s’en est suivie) par rapport au scénario de guerre hybride yougoslave, dans lequel un mouvement social de masse a conduit à une guerre non conventionnelle ultérieure. La nature spécifique de chaque conflit est différente, bien sûr, mais les similitudes globales, que les observateurs ne doivent pas perdre de vue, sont que le processus actif de désintégration fédérale le long de frontières administratives préétablies avait migré des Balkans vers le nord du Caucase, ciblant une entité beaucoup plus faible pour tenter de démanteler le plus grand État du monde.

En approchant le conflit d’un point de vue structurel plus large, il ne doit pas être considéré comme un hasard que la guerre hybride menée contre la Fédération de Russie soit intervenue immédiatement après l’échec des révolutions de couleur dites de la Parade de la souveraineté, qui cherchaient à déclencher le processus de démembrement par des moyens relativement plus pacifiques. Conformément au continuum stratégique détaillé dans ce travail, il n’y a pas de doute que les guerres tchétchènes étaient censées être l’instant Yougoslave de la Russie, et que les processus incontrôlables destinés à libérer pleinement la violence devaient se propager à partir du tremplin du Caucase du Nord et infester tout le reste du pays, ressuscitant la Parade de la souveraineté sous une bannière beaucoup plus agressive. C’est la vraie raison pour laquelle Moscou s’est senti obligé d’intervenir au niveau fédéral en Tchétchénie en 1994, afin de contenir les problèmes chaotiques de la république à la suite de cette impasse. Lorsque Shamil Basayev et son armée terroriste ont envahi le Daghestan en août 1999, cela comportait un risque évident pour la sécurité nationale du reste de la Russie. Par conséquent, une seconde intervention fédérale a été lancée pour faire face au problème sécession-terrorisme, une fois pour toutes.

Le raisonnement stratégique derrière le printemps d’Asie centrale

Le président Poutine en a fait un point fort de son héritage : apporter enfin la paix, la stabilité et le développement dans la région du Nord Caucase aux abois («la Yougoslavie de la Russie»). Ayant réussi dans cette tâche gigantesque, il a pleinement garanti l’intégrité du pays et éliminé les menaces de guerre hybride jouant contre la survie de l’État. En conséquence, les États-Unis ont improvisé une stratégie de révolution régionale expansive pour cibler le ventre vulnérable de la Fédération de Russie en Asie centrale. La Révolution bulldozer d’octobre 2000 en Serbie a prouvé l’efficacité des modifications tactiques que les États-Unis avaient rationalisées autour des technologies de Révolution de couleur, et cela a ravivé l’espoir de les utiliser pour déstabiliser la Russie.

Les États-Unis, ayant compris la difficulté à le faire directement de l’intérieur du pays à ce moment-là (de plus, ils progressaient déjà dans leur opération spéciale de changement de régime avec Khodorkovski), il a été décidé de commencer une série de révolutions de couleurs dans l’espace post-soviétique, dans le but d’enfermer le pays au moyen d’un mur de gouvernements pro-occidentaux le long de la périphérie européenne et de le menacer avec un espace chaotique de désordre le long de ses frontières en Asie centrale. Stratégiquement parlant, même si l’opération Khodorkovski n’a pas réussi, les leçons apprises avec les Révolutions de couleur sur chacun de ces champs de bataille pourraient être appliquées lors de l’élaboration d’une campagne améliorée contre la Russie dans un futur proche.

Considérées en termes de progression chronologique, les trois Révolutions de couleur des années 2000 situées dans la sphère post-soviétique étaient:

    La Révolution des roses de la Géorgie en 2003;
    La Révolution orange en Ukraine en 2004;
    et la Révolution des tulipes au Kirghizistan en 2005.

Vu sous un autre angle, les États-Unis ont attaqué asymétriquement la périphérie de la Russie à travers le Caucase, en Europe orientale et en Asie centrale en implantant des gouvernements pro-américains dans chacune de ces régions. En raison des spécificités géopolitiques, il était peu probable que les événements dans le Caucase et en Europe orientale puissent se propager de manière contagieuse et destructrice comme ils l’auraient fait en Asie centrale. Donc, compte tenu de l’élan stratégique qu’a été la dynamique évidente des trois révolutions de couleur successivement réussies, il peut être évalué (comme on le verra ci-dessous) que les événements de 2005 au Kirghizistan ont été lancés avec un objectif de changement de régime régional à l’esprit.

Le moment de l’Échec
La Révolution des tulipes


La Révolution des tulipes était censée être le catalyseur qui conduirait à la transformation définitive de la région d’Asie centrale soit en réserve pro-américaine de «-stans» – ou l’accomplissement chaotique des Balkans eurasiens selon le théorème de Brzezinski –, soit en un désastre pour la sécurité nationale russe. Le changement de régime a commencé à la fin mars 2005, lorsque des éléments anti-gouvernementaux ont envahi les rues des grandes villes du pays (à la fois dans le nord et dans le sud) demandant d’invalider les résultats des élections parlementaires du mois précédent.

La situation a atteint son paroxysme quelques jours plus tard, lorsque des dizaines de milliers d’émeutiers ont pris d’assaut les bâtiments du gouvernement à Bichkek [au Kirghizistan, NdT] et que le président Akaïev a fui le pays pour le Kazakhstan le 24 mars. La vitesse à laquelle l’opération de changement de régime s’est propagée et la violence avec laquelle elle a eu lieu ont créé un nouveau précédent pour les Révolutions de couleur, et cela se révélera être la norme générale pour les modifications tactiques qui viendraient plus tard (par exemple Euromaïdan).

L’événement d’Andijan


Andijan après la tourmente de 2005

Ce qui est le plus frappant à propos de la Révolution des tulipes, cependant, c’est le risque très réel d’expansion régionale. L’incident d’Andijan, intervenu un peu plus d’un mois après en Ouzbékistan voisin, est souvent analysé comme un événement tout à fait distinct. En réalité, il était intimement lié avec les événements dont on vient de parler au Kirghizstan. Bien que les détails soient troubles, ce qui a généralement été mis en place et ce qui est largement accepté par tous les observateurs, est qu’une manifestation anti-gouvernementale a soudainement surgi dans la ville d’Andijan, dans la vallée de Ferghana, et que le gouvernement a réagi avec force pour l’écraser.

Les États-Unis et leurs alliés occidentaux ont durement critiqué Tachkent pour ce qu’ils ont affirmé être un massacre de civils et / ou de manifestants pro-démocratiques, tandis que les autorités ouzbèkes ont répliqué qu’elles n’avaient rien fait d’autre que d’arrêter un soulèvement terroriste du Mouvement islamique pour l’Ouzbékistan et d’Hizb ut-Tahrir. Dans les retombées de l’événement, Tashkent a exclu la base militaire américaine qui se trouvait dans le pays et a brièvement commencé à courtiser le soutien de Moscou, qui a ostensiblement été d’accord avec la version gouvernementale des événements et a soutenu l’Ouzbékistan au milieu de la critique internationale le visant.

Explication des événements d’Andijan

Pour comprendre le contexte stratégique et régional dans lequel ces événements ont eu lieu, et venant juste sur les talons de la réussite du changement de régime au Kirghizistan, il est évident qu’Andijan était censé être la première étape dans une révolte à l’échelle de toute la vallée de Ferghana qui devait mettre Karimov à genoux. La seule raison pour laquelle elle a été interrompue est l’exemple très fort et inoubliable donné par l’armée ouzbèke, qui a frappé de peur les cœurs de tous les autres conspirateurs encore empreints d’arrière-pensées, et cela a également envoyé aux civils le message sans équivoque qu’ils ne devaient pas se laisser manipuler en devenant des boucliers humains protestataires derrière lesquels les terroristes pourraient se cacher.

On peut dire que l’Ouzbékistan n’a pas encore connu de répétition des événements d’Andijan. En même temps, cependant, les histoires de bouche-à-oreille qui se propagent sur la répression gouvernementale qui a tué collatéralement une quantité indéterminée de civils dupés, inspirent un certain niveau de ressentiment anti-gouvernemental chez quelques éléments de la population, qui ne peuvent pas comprendre que les terroristes ont trompé les gens bien intentionnés pour en faire leur chair à canon. Cela ne veut pas dire que l’écrasement du terrorisme par Tachkent était contre-productif, mais qu’il y a eu des effets indésirables involontaires qui ont attisé le mécontentement de certains segments à l’égard des autorités, alors que certaines formes de représailles violentes sont inéluctables (peu importe si elle est justifiée ou qui est la cible).

La deuxième défaillance
La première Moubarak


La tentative suivante pour provoquer un printemps en Asie centrale a eu lieu cinq ans plus tard, en 2010, ciblant une fois de plus la vallée géo-critique de Ferghana. Cette fois, il y avait une révolution de couleur contre le leader imposé par la précédente, le président Bakiev, qui s’est fait aspirer rapidement dans un conflit ethnique entre les Kirghizes et les Ouzbeks dans la partie sud du pays. Que ce soit par hasard ou non, cela a également eu lieu au printemps. Bien qu’il puisse sembler étrange que les États-Unis provoquent une révolution de couleur contre leur propre homme de paille, le concept n’est en réalité pas aussi conspirationniste que l’on peut le penser au premier abord.


La base aérienne américaine de Manas au Kirghizstan était opérationnelle entre 2001 et 2014

Bakiev avait un penchant pour l’enrichissement et le clientélisme bien pire que celui de son prédécesseur, et le caractère flagrant de son comportement avait commencé à provoquer une véritable animosité parmi les masses. Les États-Unis ne se soucient pas de ce que fait l’un de leurs mandataires pendant son temps libre tant qu’il reste fidèle à Washington, mais les actions de Bakiev ont commencé à mettre en danger l’influence des États-Unis dans le pays et, par conséquent, dans toute l’Asie centrale. Si un mouvement légitime du peuple s’était levé et avait renversé le gouvernement sans que Washington puisse intervenir secrètement et détourner le processus pour promouvoir ses propres intérêts, les États-Unis auraient subi une retraite stratégique embarrassante qu’ils n’auraient éventuellement pas été en mesure de récupérer.

À bien des égards, cette logique stratégique ressemble à l’affaire plus connue du président égyptien Moubarak, avec un brusque changement d’alliance des États-Unis dans les premiers jours du théâtre des révolutions de couleurs dites du Printemps arabe. Tout comme Bakiev, il est devenu inévitable que de plus en plus de ressentiments contre Moubarak finiraient par prendre la forme de l’expulsion de l’influence américaine le moment venu, ce qui veut dire, dans le cas de l’Égypte, une transition inévitable de leadership avec le décès à venir de l’homme d’État âgé (alors que dans le cas du Kirghizistan, on a eu une révolution de couleur).

Dans les deux cas, cependant, le dénominateur commun est que les États-Unis ont préventivement déployé le mécanisme de changement de régime dans le but de créer une couverture plausible pour apaiser les volontés populaires, tandis qu’ils travaillaient pour imposer leur nouvel homme de paille. Washington n’a pas réussi au Kirghizstan (comme cela sera exploré), alors qu’ils ont temporairement réussi un an plus tard en Égypte et dans d’autres pays ciblés par les printemps arabes. Concernant les printemps d’Asie centrale, il est important de comprendre que les États-Unis avaient attendu l’occasion de retenter une opération régionale de changement de régime, et l’opération Moubarak 1ère leur en a fourni une justification pratique et présentable au public. Même si cela n’avait pas été la corruption notoire et bien connue de Bakiev, les États-Unis auraient trouvé une autre raison pour susciter une déstabilisation sociale en Asie centrale.

L’application centre-asiatique de la reverse Brzezinski

Cela met l’accent sur les plans géostratégiques des États-Unis en Asie centrale et ce qu’ils essayaient exactement de provoquer en 2010. La deuxième révolution de couleur kirghize était différente de la précédente en cela qu’elle avait plus un caractère géo-ethnique ou, pour le dire plus simplement, qu’elle employait des conflits régionaux ethniques pour obtenir un effet dévastateur. L’effondrement de la loi et de l’ordre a vu le sud du Kirghizistan pratiquement en sécession du reste du pays, avec la région nord impuissante à influencer les événements dans la vallée de Ferghana. Cela a créé un vide sécuritaire qui a permis à une haine ethnique préexistante de se mettre en ébullition avec une grande violence, et les affrontements kirghizes-ouzbeks résultants ont fait craindre un nettoyage ethnique. Au total, 400 000 Ouzbeks ont été déplacés et 100 000 d’entre eux ont fui en Ouzbékistan, avec un nombre de décès estimés entre 1000 et 2000 personnes.

À ce moment, il est pertinent de dire quelques mots au sujet de la minorité ouzbèke au Kirghizistan, qui représente environ 14,3% de la population. La grande majorité d’entre eux vivent dans les villes de la Vallée de Ferghana à Jalal-abad et Osh, à seulement une poignée de kilomètres de la frontière ouzbèke. Leur curieux placement au Kirghizstan et non en Ouzbékistan est dû à la délimitation des frontières de l’Asie centrale issue de l’ère soviétique dans les années 1930, qui ont divisé arbitrairement les frontières internes indépendamment des groupes ethniques. Cela a conduit à une situation fréquente, où de nombreux groupes ethniques ont été coupés de leur république en titre, et dans ce cas, cela se manifeste par des Ouzbeks incorporés au Kirghizistan et pas à l’Ouzbékistan. La stratégie ici est de maintenir une stratégie de la tension à faible échelle entre les entités régionales afin que les conflits locaux nécessitent intrinsèquement une intervention politique du centre de l’Union, Moscou, dans la gestion des conflits et lui permettre de tirer continuellement parti de son influence.


Carte de la vallée de Ferghana

La gestion éthno-politique machiavélique de Staline était viable tant que les républiques d’Asie centrale sont restées une partie de l’Union soviétique, mais après la rupture inattendue qui a eu lieu des décennies plus tard, cet état de choses est devenu un facteur très déstabilisant dans les relations régionales. Aggravant cela, la migration interne de beaucoup d’Ouzbeks dans les parties administrées par les Kirghizes dans la vallée de Ferghana pendant la période soviétique a accentué le déséquilibre ethnique et créé une situation post-indépendance où certaines parties de la République fonctionnent plus comme des extensions du Grand Ouzbékistan que comme un Kirghizistan unifié. La montée du sentiment nationaliste parmi les communautés kirghizes et ouzbèkes dans les décennies qui ont suivi a transformé toute la vallée de Ferghana en une poudrière ethnique, et la Révolution de couleur de 2010 a été l’étincelle qui y a partiellement mis le feu.

L’objectif américain était à l’époque que la situation devienne totalement ingérable et chaotique, avec l’espoir que le nettoyage ethnique prévu des Ouzbeks inciterait une intervention classique soit de la Russie et / ou de l’Ouzbékistan pour rétablir l’ordre. Ceci, bien sûr, n’aurait pas résolu quoi que ce soit, n’aurait fait qu’aggraver la situation et serait devenu un piège stratégique pour un pouvoir essayant de stabiliser la vallée de Ferghana. Pendant un moment, il a semblé que les États-Unis obtiendraient exactement ce qu’ils voulaient, quand l’Ouzbékistan semblait submergé par le flot des réfugiés et que le gouvernement kirghize par intérim demandait directement  une intervention de l’OTSC dirigée par la Russie. Heureusement, tous les côtés ont gardé la tête froide. La direction ouzbèke a semblé comprendre les risques de bourbier prévisible si elle intervenait en occupant et éventuellement en annexant le territoire kirghize. Quant à la Russie, elle a demandé une clause juridique dans l’OTSC pour s’abstenir de tomber dans ce qui a certainement été un piège construit par Brzezinski. Le renforcement rapide du gouvernement intérimaire a également permis aux autorités nationales de réaffirmer régulièrement leur contrôle et de stabiliser les conditions dans lesquelles elles avaient initialement demandé l’intervention russe.

En regardant en arrière, il a fallu beaucoup de chance pour éviter une plus grande conflagration en Asie centrale en 2010, puisqu’un seul faux pas majeur de la part de l’une des parties impliquées aurait pu déclencher une réaction en chaîne de réponses de ses homologues, culminant dans un conflit régional qui aurait été désastreux pour tous. La différence entre la Révolution de couleur de 2010 et la précédente se résume à une concentration de l’attention sur la guerre ethnique. La Révolution de couleur de 2005 a plutôt été une conception idéologique de changement de régime. Les événements en 2010 ont tenté de capitaliser sur la composante ouzbèke et ont démontré que les États-Unis avaient étudié la région en profondeur afin d’élaborer une stratégie plus efficace de déstabilisation. Par hasard, si on peut dire, leurs plans ont mal tourné au dernier moment et l’intervention russe recherchée et / ou celle des Ouzbeks ne s’est jamais matérialisée, mais on est passé dangereusement près et cela aurait fondamentalement perturbé le monde multipolaire précisément au moment où il a le plus besoin d’être unifié.

Contexte régional-stratégique

Avec la sagesse rétrospective du recul, le deuxième Printemps d’Asie centrale (les événements de 2010) peut avoir été délibérément programmé pour coïncider avec le Printemps arabe un an plus tard, afin de libérer la déstabilisation géopolitique maximale contre les centres multipolaires de la Russie, la Chine et l’Iran, les cibles indirectes mais principales de chaque opération régionale de changement de régime. Si un succès lors du Printemps d’Asie centrale avait précédé le Printemps arabe, alors il est facile d’imaginer à quel point cela aurait été délicat pour le monde multipolaire. Il n’y aurait eu aucun moyen pour l’une des cibles indirectes parmi les grandes puissances de se confronter simultanément à ces défis. Le chaos qui aurait pris racine dans l’espace géostratégique entre elles aurait été sans précédent, et surtout l’Iran, le plus vulnérables des trois géopolitiquement, aurait été flanqué des deux côtés par des guerres hybrides en cours.

Rappelez-vous le contexte international de 2010-2011. L’Iran était encore considéré par beaucoup comme l’ennemi le plus détesté des États-Unis sans qu’il ne se passe une semaine avec un rapport non confirmé aux États-Unis, en Israël et dans les États du Golfe d’une planification d’attaque conventionnelle contre lui. La tension entre Washington et Téhéran était donc bien présente à l’époque. On peut donc présumer que les deux scénarios régionaux de guerre hybride (Asie centrale et Proche-Orient) ont été mis en place pour déstabiliser et finalement renverser le gouvernement en Iran. Ce ne fut que l’année précédente, en 2009, que les États-Unis ont lancé la Révolution verte contre l’Iran. Il est  évident qu’ils étaient déjà en train de jouer avec l’idée de stratégies asymétriques de changement de régime. Relativement à cet événement, la leçon que les États-Unis ont tirée des révolutions de couleur qui ont échoué, c’est qu’elles doivent être transformée en réussite par une guerre non conventionnelle (qui n’a pas eu lieu dans le cas de la Révolution verte). Donc dans un sens stratégique, le changement de régime qui a échoué en Iran a aidé les États-Unis à perfectionner leur stratégie pour le Printemps arabe.


La carte de programmation de Ralph Peters

Dans une réalité réinventée, si l’Iran était tombé quelque part entre 2009 et aujourd’hui, alors tout l’espace entre l’Afrique du Nord et l’Asie centrale aurait été réorganisé, potentiellement avec un Moyen-Orient divisé le long des lignes des infâmes Frontières de sang des cartes de Ralph Peters. Pour le dire autrement, les Balkans eurasiens de Brzezinski seraient passés d’une stratégie théorique à une loi de la réalité avec son principe de conflits basé sur l’identité et de fragmentation résultante des États, et aurait été validée en tant que poisson pilote indéniable des événements géopolitiques. Analysé de ce point de vue, le second Printemps d’Asie centrale, qui a échoué, prend une toute nouvelle signification, si on le voit dans le cadre d’une opération de changement de régime trans-régionale coordonnée et synchronisée (la plus vaste jamais tentée en termes géographiques) et non pas comme une énième déstabilisation accidentelle. La chose la plus troublante au sujet des deux révolutions de couleurs kirghizes et des tentatives infructueuses pour lancer un Printemps d’Asie centrale est que les vulnérabilités socio-politiques qui leur sont associées existent toujours et ont même été qualitativement renforcées dans une certaine mesure. Il est donc plus probable que jamais que les États-Unis vont essayer une troisième fois, dans le futur.



Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.

Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici