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Auteur Sujet: Guerres hybrides : 5. Briser les Balkans (I) (Andrew Korybko)  (Lu 2000 fois)

JacquesL

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Guerres hybrides : 5. Briser les Balkans (I) (Andrew Korybko)
« le: 11 juillet 2016, 02:20:21 pm »
Guerres hybrides : 5. Briser les Balkans (I) (Andrew Korybko)

http://lesakerfrancophone.fr/guerres-hybrides-5-briser-les-balkans-i

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Guerres hybrides : 5. Briser les Balkans (I)

Hybrid Wars 2. Testing the Theory – Syria & Ukraine
Par Andrew Korybko (USA) – Le 6 mai 2016 – Source Oriental Review

 
Reconceptualiser la péninsule des Balkans

Les Balkans sont la région stratégique la plus importante en Europe aujourd’hui et, à vrai dire, ils ont tenu ce rôle pendant les siècles précédents, en dépit du fait que les diverses grandes puissances l’aient reconnu à leur époque ou non. Le but de l’étude n’est pas d’analyser méticuleusement le passé, mais de définir le présent et de prévoir l’avenir.

La source de leur importance contemporaine est de servir de facilitateur géographique pour deux méga-projets russes et chinois [Gaz russe et TGV chinois, Ndt] qui visent à pénétrer le continent unipolaire avec une influence multipolaire inébranlable. Cela explique la raison pour laquelle les Balkans sont le deuxième espace le plus susceptible d’être victime de guerres hybrides. Tout cela sera décrit en détail dans les sections à suivre, mais avant ce point, il est absolument nécessaire que le lecteur reconceptualise sa compréhension des Balkans afin de mieux comprendre la logique stratégique derrière les plans géo-économiques ambitieux de Moscou et de Pékin.

Importance géo-historique

Les Balkans ont joué un rôle primordial dans l’histoire de l’Europe principalement parce qu’ils sont le pont terrestre reliant l’Europe centrale et occidentale avec la Turquie et le Moyen-Orient. En conséquence, les deux forces ont été en mesure d’utiliser ce territoire afin de projeter leur influence dans chaque direction, avec les Romains traitant la Grèce comme un tremplin pour des conquêtes plus à l’Est, tandis que les Ottomans exploitaient les portions plus continentales de la région pour s’enfoncer dans le cœur de l’Europe avant leur défaite décisive au cours de la bataille du siège de Vienne de 1683 [et leur première tentative de 1529, NdT]. Il est donc incontestable que la péninsule des Balkans a été historiquement un pivot charnière géostratégique clé dans la mobilisation de l’influence européenne au Moyen-Orient et vice-versa. Mais un autre facteur doit être mentionné : les liens civilisationnels de la Russie dans la région.

La plupart des Balkans sont liés à la Russie à travers des liens intimes d’obligations religieuses, linguistiques, ethniques et historiques, ce dernier lien étant le plus fortement incarné par la campagne de libération du tsar Alexandre II dans la région en 1877-1878. Selon ce dernier, les conceptions géopolitiques que la Russie avait à l’époque sont exceptionnellement controversée et sortent du contenu de cette analyse, mais il est pertinent de montrer que les Balkans de l’Est (Roumanie, Bulgarie) ont servi de pont reliant physiquement la Russie au Moyen-Orient (Turquie), avec pour point culminant le bref accès des forces russes au village de San Stefano à quelques kilomètres de Constantinople.

Plus récemment, la diplomatie de la Russie dans les Balkans dans la perspective de la Première Guerre mondiale et son alliance avec la Serbie a été vilipendée par ses homologues européens, car ils y ont vu un jeu de puissance plus important dans l’utilisation des Balkans pour atteindre la mer Adriatique, et par extension la Méditerranée. Que ce fût ou non la grande intention ou simplement un effet collatéral bénéfique de l’alliance est un point discutable, puisque le but de cette explication est de montrer que la Russie, tout comme les Européens et les Turcs, pouvait capitaliser sur la position des Balkans afin de faire avancer ses objectifs géostratégiques et se connecter avec chacune des deux régions concurrentes. Par conséquent, lorsque l’on considère le mot Balkan, il faut immédiatement penser au mot pont, puisque c’est historiquement le sort global dévolu à cette région. L’exception la plus notable est celle du Macédonien Alexandre le Grand qui a utilisé la région comme un tremplin pour ses conquêtes orientales légendaires, mais un tel exploit de renommée mondiale ne sera jamais répété dans la région par la suite.


Les Balkans avant et après la guerre russo-turque 1877-1878

Importance géo-économique

A l’époque contemporaine, les Balkans ont moins de potentiel militaire mais plus de potentiel à pour une intégration économique (bien que la crise des réfugiés soit une question asymétrique distincte qui sera certainement discutée plus tard). Avec cela à l’esprit, on peut conceptualiser la région comme étant un espace relativement déconnecté entre les grandes économies allemande, russe et turque. De manière réaliste cependant, et fonctionnellement, il est seulement pertinent d’y relier l’Allemagne et la Turquie. La majeure partie du commerce de la Russie avec ces deux blocs passe par l’Europe de l’Est et la mer Noire, respectivement. Considérant cela, les politiques du Drang nach Süden (Faisons route vers le Sud) de l’UE et de l’OTAN font beaucoup plus sens conceptuellement, car il est clair que les États-Unis et l’Allemagne veulent consolider cette région sous leur contrôle total afin de reconstruire l’infrastructure de connexion de l’ère yougoslave qui a été délibérément détruite pendant les guerres des années 1990.

La grande importance géo-économique des Balkans pour l’Allemagne et, par extension, pour l’ensemble de l’économie de l’UE est donc évidente. Le plus grand marché et la plus grande puissance économique de l’Europe veut avoir un contrôle total direct (UE) et indirect (sous contrôle américain via l’OTAN) des routes commerciales du continent avec son homologue du Moyen-Orient, la Turquie, qui est la plus grande puissance économique (y compris par ses ressources non commerciales) en Asie de l’Ouest à proximité de l’UE et joignable par voie terrestre. Si l’on se rappelle l’histoire, alors ceci est le même principe qui a motivé le Berlin-Bagdad Express à la veille de la Première Guerre mondiale et qui a joué un rôle de premier plan pour expliquer pourquoi l’Allemagne et son allié austro-hongrois étaient si farouchement contre la projection de l’influence russe dans la région.



Chemins de fer des Balkans

Retour vers le futur aujourd’hui, alors que les impératifs stratégiques les plus pressants de l’Allemagne (et par extension moderne, également ceux des  États-Unis) étaient d’établir un contrôle total sur la péninsule des Balkans et de rationaliser les itinéraires de transport en conformité avec ces déterminants géo-économiques. Si une tierce partie (dans les deux cas, la Russie, mais aujourd’hui soutenue par la Chine) devait insérer physiquement son influence dans le centre géographique de ce processus (Serbie), cela serait considéré comme une vulnérabilité stratégique critique qui devrait être contrée à tout prix. Ne pas le faire serait placer la ligne de vie future du commerce germano-turc (vu plus largement dans ce contexte que le commerce entre l’Union européenne et le Moyen-Orient) sous l’influence d’une entité non choisie qui pourrait vraisemblablement manipuler cet arrangement à son grand avantage stratégique (actuellement considéré comme la promotion de l’influence multipolaires aux frais de celle unipolaire).

Catégorisations sous-régionales

Il est important à ce point d’articuler clairement ce dont on parle quand on parle des Balkans. Géographiquement, cela fait référence à la péninsule des Balkans, généralement reconnue comme étant les pays de l’ex-Yougoslavie, la Roumanie, la Bulgarie, l’Albanie et la Grèce. Plus précisément, cependant, il y a une certaine connotation utilisée par de nombreux commentateurs en référence à ce terme. Et ils l’utilisent souvent de façon interchangeable avec les pays de l’ex-Yougoslavie. Ce n’est pas le cas pour notre auteur cependant, puisque pour lui, les Balkans se référent à l’ensemble de l’espace géographique dont ils sont la définition. On peut ajouter au contexte de cette définition des modifications géopolitiques concernant la catégorisation des trois sous-régions au sein de l’espace des Balkans. Il sera nécessaire de les décrire pour que le lecteur puisse avoir une meilleure compréhension de leurs dynamiques.

Les descriptions suivantes sont extraites de travail de l’auteur dans l’article Un nouveau calcul stratégique pour les Balkans.

Les Balkans occidentaux

Cette désignation fait référence aux États contrôlés par les forces unipolaires qui sont géographiquement aux extrémités occidentales de la péninsule. Ils comprennent la Slovénie, la Croatie, la partie croato-musulmane de la Bosnie et l’Albanie. Géographiquement parlant, le Monténégro tombe également dans cette catégorie, mais la courageuse résistance de sa population à la décision unilatérale de leur gouvernement donne l’espoir que cela puisse représenter une percée géopolitique des Balkans centraux à l’avenir.

Les Balkans centraux

Cette partie de la péninsule qui n’est pas sous le contrôle formel de l’une des institutions pro-américaines représente le terrain le plus fertile pour que la multi-polarité prenne racine, et elle inclut la Republika Srpska en Bosnie, la Serbie et la République de Macédoine. Ces États se chevauchent proprement avec leur désignation géographique, avec pour seule anomalie sous-régionale l’occupation temporaire de la province du Kosovo qui tombe donc actuellement sous l’influence géopolitique des Balkans centraux [plutôt occidentaux ? NdT] (et donc, du monde unipolaire).

Les Balkans de l’Est

La Roumanie et la Bulgarie sont derrière cette désignation géopolitique, et elles sont toutes deux sous le contrôle total des organisations unipolaires. Les événements géopolitiques ici sont beaucoup moins dynamiques que dans les autres parties de la péninsule, avec comme seule dynamique typique, la relation inverse entre un déclin de l’économie et l’augmentation des forces militaires américaines.

La connexion grecque

Dans les deux sens, géographique et géopolitique, la Grèce est reliée à chacun des sous-ensembles des Balkans. Elle se connecte physiquement à la partie occidentale, centrale et aux Balkans de l’Est quand on la considère du point de vue de la géographie, et en termes de loyauté dans cette nouvelle guerre froide, elle est fondamentalement divisée entre les camps unipolaire et multipolaire. La Grèce a toujours éprouvé un sentiment de séparation par rapport à ses autres frères des Balkans, et ce méli-mélo incertain de catégorisations l’accentue encore davantage.

Analyse situationnelle des sous-régions des Balkans

Après avoir décrit les appellations sous-régionales des Balkans, il est maintenant approprié de fournir une brève analyse de leurs situations stratégiques. Cela aidera le lecteur à comprendre l’état actuel des choses et à donner du sens hors de la sélection des Balkans centraux par la Russie et la Chine comme emplacement de leurs deux méga-projets.

Les Balkans occidentaux

Catégorisées selon leur utilité stratégique pour les États-Unis, les deux membres également les plus importants des Balkans occidentaux vis-à-vis de la stratégie unipolaire sont l’Albanie et la Croatie, toutes deux capables d’exercer une influence au-delà de leurs frontières. L’Albanie peut le faire dans la province serbe occupée du Kosovo et les régions occidentales de la République de Macédoine, tandis que la Croatie fait quelque chose de similaire sur la partie croato-musulmane de Bosnie (bien que dans une moindre mesure par rapport à l’Albanie sur sa zone d’influence). Dans les deux cas, un aspect nationaliste s’exprime, et il est spécifiquement promu dans le but de déstabiliser les pays des Balkans centraux, la Serbie et la Macédoine. Il faut aussi rappeler que les deux dirigeants des Balkans occidentaux ont vu leurs aspirations irrédentistes brièvement actualisées par les occupants fascistes durant la Seconde Guerre mondiale, et la mémoire cauchemardesque de la Grande Albanie et de la Grande Croatie n’a toujours pas été oubliée par les Macédoniens et les Serbes qui ont souffert le martyre sous ses régimes.



Le proxi suivant, le plus important des Balkans occidentaux est la Bosnie, mais son intérêt principal ne réside pas dans ce qu’elle peut faire pour promouvoir l’unipolarité, mais dans la façon dont elle peut être utilisée pour briser la multipolarité en provoquant encore une autre guerre des Balkans. Ce sera exploré plus en profondeur dans d’autres analyses à suivre. Pour l’instant, il est pertinent pour le lecteur de reconnaître que le pays est fondamentalement divisé entre deux groupes sous-nationaux unipolaires et multipolaires – l’entité pro-occidentale croato-musulmane, et la Republika Srpska pro-multipolaire. Cet arrangement est dû aux accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre civile en Bosnie et à la fédéralisation du pays. Les États-Unis et leurs alliés en sont cependant maintenant, de façon alarmante, à prendre des mesures pour réviser cet accord et potentiellement faire mouvement contre l’autonomie juridiquement consacrée de la Republika Srpska dans le pays. Par conséquent, dans le schéma général des choses, la Bosnie devrait être considérée comme un grand déclencheur géopolitique que les USA pourraient activer contre la Serbie (et par effet indirect, contre la Russie) afin de créer une situation géographique et stratégique pour saboter les Balkans multipolaires et l’actualité des méga-projets de la Chine et de la Russie, si les USA estiment que toutes les autres options ont été épuisées.

Si on continue, le Monténégro suit la Bosnie en termes d’importance dans la construction des Balkans occidentaux. Bien que ce soit un petit État, démographiquement insignifiant par rapport aux trois autres déjà mentionnés, et sans aucune ambition nationaliste expansionniste ou de mécanisme classique de déclenchement par procuration qui pourrait être utilisé militairement par le monde unipolaire, le Monténégro joue cependant un rôle éminemment stratégique. En vertu de sa situation géographique, sa séparation d’avec la Serbie en 2006 a fait perdre à cette dernière son statut de nation littorale et a augmenté la multitude de pressions potentielles déjà utilisée contre elle. Cela a été rendu possible par près de trois décennies de règne de Milo Djukanovic, qui a été un parfait exemple du chef proxy suivant à la lettre les enchères géopolitiques de ses maîtres. Plus révélateur, lui et certains de ses amis au gouvernement ont unilatéralement pris la décision préventive d’accepter l’adhésion à l’OTAN en septembre, avant même qu’elle ne l’a leur ait jamais été proposée, dans le but de démontrer publiquement leur loyauté envers l’Occident. Cela a eu pour conséquence prévisible d’être à l’origine d’une rébellion nationale parmi la majorité des citoyens, catégoriquement opposée à la mesure de servilité humiliante que constitue le fait de rejoindre le bloc militaire qui l’a bombardée en 1999, et la tension palpable entre les masses et le maître sera exposée un peu plus loin dans l’analyse.

Enfin, le dernier membre des Balkans occidentaux en importance est la Slovénie, mais elle n’a pas toujours été utilisée de cette façon. Si on fait un bref retour dans les années 1990, elle était l’étoile brillante des Balkans, ayant échappé aux ravages de la guerre, indemne grâce à son emplacement chanceux à l’extrémité géographique de la péninsule, et dans une large mesure, elle a encore le meilleur niveau de vie de la région. Le succès de la Slovénie peut être attribué à ce qu’elle soit un petit État (tant en termes géographique que démographiques) avec des atouts économiques proportionnellement développés. Cette combinaison particulière suscite l’envie de beaucoup dans la région. Malheureusement, très peu de gens (y compris les décideurs influents) ont bien compris les secrets de son succès et ont estimé qu’il pouvait être stimulés dans leur propre pays si, et seulement si, ils suivaient le leadership institutionnel de la Slovénie et se déplaçaient aussi près de l’Ouest que possible. Ils ont attribué à tort la stabilité de cette dernière à sa proximité avec l’UE et l’OTAN, et non pas à des conditions nationales et historiques uniques, et ils ont été délibérément induits en erreur en pensant que l’adhésion à ces deux organisations conduirait leur pays à une période de prospérité de type slovène. Les États-Unis ont manipulé cette perception, conçue artificiellement et largement promue, afin de garantir l’adhésion de la Croatie à l’OTAN et à l’UE en 2009 et 2013 respectivement, qui a désormais largement dépassé l’importance stratégique de la Slovénie pour ses plans.

Les Balkans centraux

Cette région géopolitique nouvellement conceptualisée est la plus importante en termes de potentiel multipolaire, mais en conséquence, c’est ce qui en fait également la plus grande cible de déstabilisation. Les vulnérabilités socio-politiques de ses trois états seront examinées dans la partie II, donc à ce stade, il est pertinent de seulement expliquer les caractéristiques générales de chacun de ces pays. En commençant par la plus septentrionale, la Republika Srpska qui est la fière partie de la Bosnie qui est restée en grande partie libre des influences unipolaires. Après avoir été victime d’une agression occidentale au cours de la campagne de bombardement de 1994 (ironiquement menée sous des prétextes «humanitaires»), son peuple et sont leadership sont hostiles à l’OTAN et très circonspects vis à vis de l’UE. Plus que tout, cependant, ils apprécient l’autonomie acharnée de leur entité et feront tout pour préserver son existence. Ils sont très conscients des efforts de Sarajevo et de ses alliés pour l’abolir subtilement et progressivement, de sorte qu’ils soient toujours en état d’alerte défensif pour parer à de nouvelles provocations. Fait important, la Republika Srpska est coincée entre la Croatie, membre de l’OTAN et le protectorat exercé sur la partie croato-musulmane de Bosnie par l’OTAN. Elle reste militairement vulnérable en cas de reprise des hostilités. Néanmoins, cela n’a pas eu l’effet d’intimidation que l’Occident pouvait avoir anticipé, depuis que son président, Milorad Dodik, ait continué à affirmer avec confiance la souveraineté de son entité et ne semble pas enclin à reculer.

Ensuite la Serbie se trouve au centre à la fois de la construction des Balkans centraux et de la péninsule des Balkans dans son ensemble, ce qui en fait le pivot de toute la région, et ce, malgré la guerre contre elle qui depuis des décennies a conduit à la réduction progressive de son territoire administré. À la suite de l'« opération Tempête » en 1995 soutenu par les États-Unis, la Croatie a ethniquement nettoyé des centaines de milliers de Serbes de la République serbe de Krajina dans la partie orientale de l’ère moderne du pays, puis a suivi une agression commune dévastatrice avec la Bosnie visant à paralyser la Republika Srpska. La République serbe de Krajina a été effacée, alors que la Republika Srpska a été contrainte à une fédération avec la partie croato-musulmane de la Bosnie et l’influence formelle de Belgrade a été retirée de la région. Puis l’OTAN a lancé une guerre contre la Yougoslavie en 1999 dans le but de faire sortir la province du Kosovo de l’attraction gravitationnelle de la Serbie, et le référendum de 2006 sur l’indépendance initiée par le larbin pro-occidental Djukanovic a retiré le Monténégro du mélange et a abouti à la situation actuelle de la Serbie. À l’heure actuelle, son gouvernement est divisé entre des représentants unipolaires (le Premier ministre) et multipolaires (le président), et il essaye un peu maladroitement de manœuvrer entre l’Est et l’Ouest. Malgré ces revers et l’agression asymétrique actuellement menée contre elle par la crise des «réfugiés» fabriquée et délibérément guidée (à analyser à part plus tard), la Serbie reste toujours le noyau stratégique pour l’intégration des Balkans (que ce soit pour les Balkans centraux ou l’ensemble de la région).


Carte Republika Srpska Krajina

Fermant la composante sud des Balkans centraux, on trouve la République de Macédoine. La situation géopolitique et géophysique de ce pays lui permet de fonctionner comme le pont de liaison critique entre les ports grecs et le centre des terres des Balkans centraux (et plus loin la Hongrie et l’Allemagne), et c’est absolument le point de passage principal pour le commerce régional nord-sud. Elle est également l’État de transit le plus traversé lors de la crise des «réfugiés» en partie à cause de sa géographie plus facile. À l’heure actuelle, Skopje est « officiellement » pro-occidental et veut rejoindre les institutions unipolaires, mais la population est plus que jamais suspecte vis à vis de l’UE et de l’OTAN après la tentative de Révolution de couleur de mai 2015. Le gouvernement a aussi des relations pragmatiques et mutuellement bénéfiques avec la Russie. Cette position charnière de la Macédoine dans les Balkans du centre-sud a fait l’objet d’une concurrence féroce entre les puissances voisines. Les idéologies expansionnistes de la Grande Albanie et de la Grande Bulgarie ont encore des prétentions envers son territoire et ont même brièvement réussi à les exercer politiquement lors de leur occupation commune fasciste à l’époque. Les deux gouvernements officieusement irrédentistes abritent encore des ambitions hégémoniques sur ce pays à ce jour. Mais selon les patriotes Macédoniens, les Grecs sont actuellement les plus hostiles de cette grappe parce qu’ils refusent de reconnaître le pays par son nom constitutionnel et, comme certains l’affirment, continuer à occuper la Macédoine égéenne. La pertinence de chacune de ces revendications est particulièrement poignante lors de l’examen des scénarios de guerre hybrides complexes auxquels doit faire face la Macédoine, et elles reviendront à la surface plus tard dans le cadre de diverses vulnérabilités socio-politiques du pays.

Les Balkans de l’Est

Pour commencer, la Roumanie est géographiquement le plus grand État des Balkans. Du point de vue de la recherche sur la guerre hybride, toutefois, elle est le pays le moins touché. Bucarest s’abstient en grande partie de s’occuper des affaires balkaniques, et quand il interagit dans la région, c’est principalement uniquement avec son voisin et allié également membre de l’UE et de l’OTAN, la Bulgarie, qui forment ensemble ce que l’auteur a appelé le bloc de la mer Noire de la mobilisation Intermarum anti-russe. La Roumanie se soucie beaucoup plus de la Moldavie et de la minorité hongroise à l’intérieur de ses frontières qu’elle ne le fait de la Serbie ou de l’un des autres pays des Balkans occidentaux ou centraux examinés, mais le stationnement de militaires américains et l’hébergement de technologies anti-missile ne peut être totalement ignoré dans le calcul régional. Cela dit, il est peu probable qu’ils seront dirigés vers l’Ouest, mais plutôt vers l’Est contre la Russie et ses unités navales en mer Noire et en Crimée. En outre, l’occupation par les États-Unis de la province serbe du Kosovo via le Camp Bondsteel, l’une de ses plus grandes bases, est suffisante pour projeter une influence déstabilisatrice directement au cœur des Balkans centraux, permettant ainsi au territoire roumain d’être utilisé pour le but stratégique contre la Russie précédemment mentionné. Pour une large part, alors, la Roumanie sera exclue du reste de l’analyse parce que son orientation géopolitique est plus pertinente pour la Hongrie, la Moldavie, le ruban ethnique roumain dans la région Bucovine de l’Ukraine occidentale et la Russie. Mais le même manque d’orientations politiques dans les Balkans ne peut pas être décrit à propos de la Bulgarie.


Prisonniers de guerre turcs, photo prise par l’armée russe à Bucarest 1878

Cet État des Slaves du Sud avait historiquement entretenu des relations très étroites et intimes avec la Russie, que ce soit au cours des époques impériale, soviétique ou actuelle et le socle de liens familiaux perdure encore à ce jour. Le problème, cependant, est que l’élite politique bulgare ne partage pas l’appel de ses citoyens pour la Russie et sont fermement dédiés à l’euro-atlantisme, qui leur dicte de prendre toutes les mesures nécessaires pour dissocier tous leurs liens en provenance de Russie. Mais Sofia ne peut évidemment pas supprimer les liens civilisationnels et historiques communs qui la lient avec Moscou. Il faut recourir à la sphère politico-économique à la place, et les éléments anti-russe les plus forcenés sont venus de Bulgarie ces derniers temps, que ce soit la mise en œuvre des sanctions, le rejet de South Stream [projet de gazoduc pour faire passer le gaz russe vers l’Europe, NdT] et la décision de fonder un centre de commandement de l’OTAN dans le pays. A l’époque de la tentative macédonienne de Révolution de couleur en mai 2015, la Bulgarie a déplacé de façon provocante certaines de ses troupes à la frontière, apparemment pour se protéger contre les terroristes inexistants qui auraient pu être à proximité, mais en réalité pour faire pression sur un pays que beaucoup en Bulgarie revendiquent comme une extension de leur propre territoire. Si on comprend les ambitions hégémoniques que la Bulgarie recèle vers son voisin, il est plus facile de prévoir le rôle qu’elle aura dans certains scénarios de guerre hybride contre la Macédoine, et qui seront certainement étudiés dans les parties à venir.

La connexion grecque

La République hellénique a toujours joui d’un certain degré de séparation par rapport aux autres pays des Balkans, malgré le partage de similitudes profondes avec eux. L’alphabet grec était la base de l’alphabet cyrillique conçu par les saints Cyril et Methode de Macédoine, et les Grecs partagent la même foi orthodoxe que la plupart de leurs frères des Balkans. Néanmoins, il y a encore beaucoup de différences entre eux, et les Grecs sont très fiers du caractère distinctif qui les sépare de leurs voisins. En termes modernes, il est notable que la Grèce a été le premier pays des Balkans à être accepté dans l’OTAN et l’UE, et en termes géopolitiques, elle s’est comportée comme une tête de pont atlantiste dans la région depuis le début de l’ancienne guerre froide. Mais même ainsi, cela pourrait être en train de changer de nos jours parce que la même géographie qui a permis une fois au monde unipolaire de pénétrer dans les Balkans peut également être exploitée pour une  diffusion d’influence multipolaire dans le double sens de la grande péninsule et à la fois de sa partie maritime méridionale.



Voici pourquoi la Grèce est si géopolitiquement importante dans la nouvelle guerre froide, et le Premier ministre Tsipras a semblé comprendre magistralement la position privilégiée de son pays pour équilibrer adroitement entre l’Est et l’Ouest, les mois précédant la dramatique période de l’été 2015 et du référendum sur l’austérité. Même s’il a finalement rejeté le vote Okhi de son peuple, il n’a pas perdu son soutien, ce qui indique qu’il a gagné une masse suffisamment critique de partisans par son discours fort et ses exploits internationaux visibles afin de rester au pouvoir, au moins pour le moment (on en reparlera plus tard). Depuis la conclusion d’un accord avec ses créanciers, la Grèce a été nettement moins active sur la scène mondiale, mais une partie de ce constat pourrait être expliqué par la crise absolument écrasante des réfugiés qui a submergé le pays et a nécessité une attention concentrée sur les affaires intérieures. Quoi qu’il en soit, l’Occident a appris sa leçon sur Tsipras et son sens géopolitique. C’est la raison pour laquelle il y a une exploitation des contradictions politico-économiques intérieures de la Grèce afin de la garder divisée et incapable de réaliser son plein potentiel pour aussi longtemps que possible. Malgré cela, Tsipras a enseigné un brillant exemple aux Grecs du point auquel la position de leur pays était critique dans les affaires mondiales en ce moment, et le génie géopolitique et l’auto-émancipation qui en ont découlé sont peu susceptibles d’être oubliés de sitôt par ses compatriotes.

Résumé du potentiel de connexion géo-économique des Balkans

La Grèce bute physiquement sur chacune des trois sous-régions des Balkans et pourrait théoriquement agir comme leur point d’accès logistique pour le commerce vers et à partir de la Méditerranée et plus loin à l’étranger. Ceci est d’autant plus le cas pour les Balkans centraux et orientaux que pour ceux de l’Ouest, car ceux-ci ont leurs propres ports de l’Adriatique à partir desquels interagir directement avec le reste du monde. Du point de vue de l’UE, il est tout à fait possible de créer un réseau d’échanges commerciaux nord-sud entre l’Allemagne et la Turquie qui contourne complètement le rôle géographique de la Grèce, en utilisant l’axe Serbie-Bulgarie-Turquie au lieu de l’axe Macédoine-Grèce-Turquie pour se faciliter la vie. Le problème avec cette construction est qu’elle limite le commerce des pays des Balkans principalement aux deux nœuds économiques qui les prennent en tenaille (Allemagne et Turquie), et la région ne pourra jamais atteindre son plein potentiel si elle est indéfiniment piégée comme une zone de transit et une simple connexion infra-structurelle peu importante pour le monde extérieur.

La géographie grecque joue ici l’objectif stratégique libérateur ultime : désenclaver les Balkans de la tutelle germano-turque et ouvrir un accès plus direct aux marchés mondiaux. Les Balkans centraux sont naturellement prêts à faciliter les projets d’infrastructure nord-sud conjoints tels que celui proposé en raison de la façon dont les vallées serbes et macédoniennes mènent naturellement aux ports de la mer grecque, ce qui est en fait l’itinéraire le plus pratique pour tout État non européen désireux d’avoir accès à la région et à un arrière-pays européen plus profond. On verra dans une prochaine section comment exactement cette vision est attrayante pour la Russie et la Chine, étant donné qu’une telle voie pourrait non seulement lier les Balkans plus étroitement à l’ordre multipolaire émergent, mais utiliserait leur géographie régionale pour multiplier l’influence asymétrique de chacun des puissants projets dans le reste du continent. Autrement dit, les Balkans sont la porte dérobée de l’Europe, et c’est pour cette raison que les États-Unis sont si désireux de les bloquer et d’empêcher la Russie et la Chine d’y prendre pied de façon tangible, même s’ils doivent recourir à la politique de la terre brûlée par des guerres hybrides pour y parvenir.


Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.

Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici

JacquesL

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Guerres hybrides : 5. Briser les Balkans (II) (Andrew Korybko)
« Réponse #1 le: 27 octobre 2016, 03:51:22 am »

Guerres hybrides : 5. Briser les Balkans (II)

Hybrid Wars 2. Testing the Theory – Syria & UkrainePar Andrew Korybko (USA) – Le 13 mai 2016 – Source Oriental Review

Partie 1

La première partie a longuement parlé de la situation stratégique dans les Balkans et brièvement identifié la situation dans chaque pays, insufflant ainsi au lecteur de précieuses connaissances de base. En continuant avec ce qui a déjà été appris, la recherche va maintenant passer à un examen des deux projets transnationaux conjoints multipolaires qui sont la raison pour laquelle la région est ciblée pour les guerres hybrides.
Le partenariat stratégique russo-chinois s’installe en Europe
Structures fondamentales

Dans un cadre conceptuel semblable à ce qui se passe en Asie centrale en ce moment, la Russie et la Chine ont également une vision stratégique commune pour les Balkans qui implique des projets d’infrastructure complémentaires ouvrant la voie à une transformation géopolitique régionale. La principale différence entre l’Asie centrale et les Balkans, cependant, c’est que la première relie physiquement les deux grandes puissances tandis que le second est au-delà de leurs périphéries directes. Cela rend les Balkans beaucoup plus vulnérables à un subterfuge externe puisque ni la Russie ni la Chine ne sont capables de protéger directement leurs intérêts là-bas sur ce point et doivent plutôt compter sur d’habiles manœuvres diplomatiques, des promesses économiques alléchantes et des partenariats stratégiques efficaces afin d’assurer la viabilité de leurs projets respectifs. Les États-Unis, et dans une certaine mesure certains acteurs étatiques et individuels dans l’Union européenne, ont peur des plans de la Russie et de la Chine parce qu’ils s’inquiètent de perdre une influence sur ce territoire géostratégique qui pourrait littéralement servir de tête de pont multipolaire au centre du continent.
Objectifs géopolitiques

On a là la vraie nature géopolitique de ce que les deux grandes puissances eurasiennes essaient d’accomplir, et le fait qu’elles envisagent que leurs projets transnationaux conjoints deviennent des aimants pour la cause multipolaire. L’idée est qu’elles vont attirer un soutien régional organique au sein de la population à travers les avantages positifs qu’elles fournissent à chacun des États de transit.

Parallèlement à cela, la construction d’une infrastructure physique toujours plus profondément en Europe forge un chemin commun pour faire avancer l’influence russe et chinoise et marier chaque extrémité logistique ensemble dans une communauté d’intérêts économiques. Grâce à ces moyens, les États multipolaires peuvent approfondir leur engagement avec l’Europe, ce qui en fin de compte sert à contester la pression unipolaire primordiale que les États-Unis actuellement exercent sur eux.

Conceptuellement parlant, plus la Russie et la Chine ont d’interactions économiques avec leurs homologues européens, plus il est probable que leurs partenariats bilatéraux en développement pourraient s’étendre à d’autres domaines et, éventuellement, prendre un caractère stratégique et politique. Le Parallèlement, les États-Unis perdent progressivement leur emprise sur l’Europe, ce qui est géopolitiquement inacceptable pour eux car la gestion des affaires du supercontinent dépend du contrôle absolu de la péninsule eurasienne occidentale.
Contre-mesures américaines structurelles

Du point de vue géostratégique américain, l’Europe est tout aussi importante dans sa grande stratégie que le Moyen-Orient et l’Asie de l’Est. Avec la Russie et la Chine repoussant actuellement les USA sur ces deux derniers fronts, il est de la plus haute importance que l’Europe reste un bastion unifié de l’hégémonie unipolaire. Par conséquent, les États-Unis ne veulent pas prendre le risque de perdre leur bastion européen au profit d’un partenariat stratégique russo-chinois et poussent agressivement deux contre-mesures structurelles destinées le à prévenir. Les deux sont enveloppées du linceul de cette nouvelle guerre froide que Washington a délibérément provoquée.
OTAN

La première contre-mesure est l’élargissement de l’OTAN à travers le continent sous le faux prétexte de «lutter contre l’agression russe».  C’est pour en faire la promotion que le secrétaire d’État John Kerry a fait sa déclaration tristement célèbre de février 2015, lorsqu’il a lancé que «la Serbie, le Kosovo, le Monténégro, la Macédoine, et d’autres pays – la Géorgie, la Moldavie, la Transnistrie – sont sur la ligne de feu» entre les États-Unis et la Russie. Ce n’est pas entièrement vrai, car la Russie n’a personne dans «sa ligne de feu», bien que les États-Unis, eux, en aient certainement, avec clairement une liste d’objectifs géopolitiques de guerre hybride pour ces prochaines années.

L’expansion de l’infrastructure de l’OTAN, toujours plus proche d’eux dans les mois qui ont suivi, est la première étape structurelle pour intimider ces États (sans compter le Kosovo, qui est une province occupée de la Serbie) avec la ferme intention de les éloigner d’une coopération potentiellement pragmatique avec la Russie. Cela a réussi dans certains cas, comme en Géorgie, mais a échoué dans d’autres tels que la Serbie et la Macédoine, malgré le fait que ce dernier pays doive composer avec la pression exercée par les centres de commandement de l’OTAN nouvellement ouverts en Roumanie et en Bulgarie.
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TAFTA (TTIP)

Le second moyen par lequel les États-Unis cherchent à anticiper le partenariat stratégique russo-chinois qui pourrait affecter le changement multipolaire sur le continent est le TAFTA, une forme d’impérialisme post-moderne qui placerait l’UE sous le contrôle économique américain et empêcherait la formation de tout accord de libre-échange négocié indépendamment à l’extérieur sans l’approbation de Washington. Il y a aussi la question de la gouvernance économique, de sorte que les plus grandes sociétés transnationales recevraient des droits politiques et juridiques non expressément accordés aux êtres humains, avec pour effet de permettre aux plus grandes entreprises américaines d’influencer stratégiquement la plupart des gouvernements vassaux européens.

Comment ces liens influent-ils la géopolitique dans le contexte des Balkans examiné ici? C’est simple. Si les méga-projets économiques de la Russie et de la Chine sont mis en œuvre avec succès, la prochaine étape logique serait pour leurs pays partenaires d’entrer finalement dans des relations commerciales privilégiées avec eux après un certain temps. Un tel développement sera exclu explicitement si certains d’entre eux doivent recevoir l’approbation des États-Unis par avance par l’intermédiaire de leur participation au TAFTA. Même si seuls certains États, partenaires de transit, sont liés à l’accord, cela obstrue encore, à l’échelle continentale, la vision plus large de la Russie et de la Chine visant à approfondir leur engagement multipolaire complet avec l’ensemble du continent, donnant ainsi assez d’espace stratégique aux États-Unis pour respirer et perfectionner un coup contre le projet russo-chinois dans un futur proche.
Les méga-projets multipolaires

Toutes ces analyses stratégiques et situationnelles complètes ont préparé le lecteur à comprendre pleinement les contours des méga-projets multipolaires de la Russie et la Chine dans les Balkans. Ils seront discutés brièvement plus bas, puis complètement décryptés par la suite.
Le Balkan Stream et la Route de la soie des Balkans

Si on garde à l’esprit la nature complémentaire du partenariat stratégique russo-chinois, le plan de la Russie a pour fer de lance le gazoduc Balkan Stream
(nom géographique donné par  l’auteur pour l’ensemble du projet Turkish Stream prévu) tandis que la Chine veut construire une Route de la soie des Balkans avec un train à grande vitesse traversant toute la région. Les deux projets courent le long de l’axe nord-sud reliant les Balkans avec la Grèce centrale, ce qui explique l’importance analytique antérieurement accordée à cette sous-région spécifique. Le Balkan Stream envisage de passer sous la mer Noire pour déboucher sur la terre ferme dans la région de Thrace orientale en Turquie, avant de continuer à travers la Grèce, la République de Macédoine, la Serbie et la Hongrie. La Route de la soie des Balkans prévoit de suivre globalement le même trajet, en reliant le port grec du Pirée (un des plus grands et des plus importants en Europe) à Budapest en passant par Skopje (Macédoine) et Belgrade (Serbie). Mis bout à bout, le rôle qu’en attend la Russie est de fournir une source d’énergie indépendante [des USA, NdT] alors que celui de la Chine est de faire la même chose avec le commerce, et tous deux sont censés compléter considérablement les capacités de prise de décision indépendants de leurs partenaires de transit et de les guider vers la multipolarité.
Blocage flux des Balkans
Deux essais, deux frappes

Aussi positif que tout cela semble, il est loin d’être certain que l’un de ces projets deviennent une réalité, étant donné que les États-Unis, comme cela a été expliqué précédemment dans la partie I, feront tout ce qui est en leur pouvoir empêcher qu’ils soient construits. Dans l’esprit de la nouvelle guerre froide et à la suite de son succès pour éteindre le South Stream [Passage d’un gazoduc par la Bulgarie, NdT], les États-Unis se sont donné comme priorité pour leurs efforts d’obstruer le pipeline du Balkan Stream de la Russie, et ils y ont réussi en grande partie pour le moment, même si on peut le regretter. Le premier défi est venu en mai 2015 et avec la tentative de Révolution de couleur en Macédoine, qui, heureusement, a été repoussée par des citoyens patriotes du pays. Ensuite l’ordre du jour de la déstabilisation a été la crise politique qui a menacé de s’emparer de la Grèce lors du débat après le référendum sur l’austérité, l’idée étant que si Tsipras était déposé, alors le Balkan Stream serait remplacé par le projet EastRing promu par les USA. Une fois de plus, les Balkans ont bien résisté et le complot américain a été vaincu, mais c’était la troisième manœuvre, la plus directement antagoniste lpour faire échouer ce projet, et qui l’a mis en attente pour une période indéfinie.
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East Ring
Trois, le chiffre porte bonheur

Le moment culminant fut le 24 novembre, lorsque la Turquie a abattu un bombardier anti-terroriste russe opérant dans le ciel syrien, et le projet naissant du Turkish Stream est devenu une victime de la réaction en chaîne prévisible de la détérioration politique entre les deux parties. Étant donnée la façon dont il était évident que la coopération énergétique serait l’une des victimes des tensions latentes russo-turques, il va de soi que les États-Unis ont délibérément poussé la Turquie afin de provoquer cette réaction domino et saborder le Balkan Stream. Quoi qu’il en soit (et cela semble sûrement assez convaincant pour être le cas), cela ne signifie pas que le projet est vraiment annulé, car il est trop stratégique pour n’être mis à l’écart que temporairement. La Russie, de façon compréhensible, ne veut pas améliorer la position d’un État qui s’est lui-même avéré être si ouvertement agressif envers elle, mais ce sentiment ne durera qu’envers le gouvernement actuel et dans le contexte actuel. Il est concevable qu’un changement fondamental dans la position de la Turquie (cependant peu probable à court terme) pourrait conduire à une détente de façon à ressusciter le Balkan Stream, mais un scénario plus probable serait que les masses mécontentes et / ou des représentants militaires affolés renversent le gouvernement.
Renversement turc ?

Ces deux possibilités ne sont pas si improbables quand on prend note du ressentiment croissant face aux méthodes d’Erdogan et la position précaire dans laquelle il a placé ses forces armées. L’insatisfaction d’une masse croissante et significative de Turcs est bien connue (surtout au milieu d’une insurrection kurde toujours plus forte), mais ce qui est moins discuté est la situation stratégique désavantageuse à laquelle doit faire face l’armée en ce moment. Comme l’auteur l’a écrit sur le sujet en octobre 2015, les forces turques sont réparties entre leurs opérations anti-kurdes dans un large sud-est, la sécurisation du pays face à État islamique et les attaques extrêmes de terroristes de gauche, des interventions ponctuelles dans le nord de l’Irak; le reste est en état d’alerte le long de la frontière syrienne. Cette situation est déjà presque hors de contrôle par les militaires et l’une des dernières choses que des dirigeants responsables devraient faire en ce moment est d’ajouter une menace Russe imaginaire et complètement inutile concoctée par Erdogan. Cette pression pourrait se révéler trop forte pour eux, et dans l’intérêt de la sécurité nationale et pour remplir correctement leur rôle constitutionnel pour la sauvegarde de l’intégrité territoriale de l’État, ils pourraient se regrouper pour le renverser, en dépit des changements systémiques qu’il a adoptés ces dix dernières années pour se défendre contre un tel événement.
La voie à suivre

Il y a une chance très réelle que le Balkan Stream soit dégelé et que le projet soit autorisé à aller de l’avant un jour, car il est d’importance trop stratégique pour la Russie, et même la Turquie, pour rester en veille indéfiniment. Il est tout à fait possible qu’un changement politique interne ait lieu en Turquie, que ce soit dans l’état d’esprit de la direction actuelle ou plus probablement avec l’émergence d’un nouveau gouvernement révolutionnaire via un coup d’État, ce qui signifie qu’il est beaucoup trop tôt pour la Russie ou les États-Unis pour abandonner leurs politiques respectives autour du Balkan Stream. Par conséquent, les deux grandes puissances déroulent une sorte de stratégie d’assurance géopolitique, et dans chaque cas, elle est centrée sur la Route de la soie des Balkans de la Chine. Du point de vue américain, les États-Unis doivent  poursuivre sans relâche la déstabilisation des Balkans, car même si le projet russe est arrêté avec succès, ils doivent encore faire la même chose pour celui de la Chine. Tant que la Route de la soie des Balkans continue de se construire la Russie conservera un aimant multipolaire via son premier partenaire stratégique et sur lequel elle peut concentrer l’influence qu’elle a cultivée jusqu’à présent. Dans le cas où le Balkan Stream serait dégelé, la Russie pourrait immédiatement revenir à sa stratégie comme si elle n’avait jamais été contrariée et joindre ses forces stratégiques à celles de son allié chinois, comme cela avait été initialement prévu. Ce scénario de cauchemar est la raison pour laquelle les États-Unis doivent recourir à une guerre hybride dans leur tentative désespérée de détruire la Route de la soie des Balkans.

Comme cela a déjà été mentionné de façon similaire, l’approche russe est de se concentrer davantage sur le plan économique, militaire et sur les diversifications politiques qui étaient censées accompagner l’infrastructure physique basée sur l’énergie qu’elle avait l’intention de construire. Au lieu du gazoduc formant la colonne vertébrale des nouveaux Balkans, il semble que le train à grande vitesse de la Route de la soie des Balkans prendra ce rôle, mais de toute façon, il y a un méga-projet multipolaire qui agit comme un aimant pour l’influence russe. Dans la configuration actuelle, la Russie a relativement moins d’influence pour décider directement du cours de la construction de l’infrastructure, mais en même temps, elle devient indispensable à la Chine. Pékin n’a quasiment pas de liens préexistants avec les Balkans en dehors de relations purement économiques (et même celles-ci sont relativement récentes), de sorte que la participation privilégiée de la Russie pour soutenir le projet et investir le long de la Route de la soie des Balkans (qui était censée fonctionner en parallèle avec le Balkan Stream et apporter ledit investissement de toute façon) contribue à renforcer le soutien régional et local en présentant un visage amical et familier aux décideurs qui sont déjà habitués à travailler avec. Cela ne veut pas dire que la Chine ne peut pas construire le projet en main propre ou qu’elle n’a pas de soutien légitime dans les Balkans pour une telle initiative, mais que la participation en première ligne de la Russie rassure les élites locales, la Russie étant un partenaire civilisationnel influent et culturellement proche qui place également et de façon visible des attentes élevées dans le processus.

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Pékin est le dernier espoir des Balkans

Il a été établi à ce jour que le partenariat stratégique russo-chinois destiné à révolutionner le continent européen avec une infusion d’influence multipolaire le long du corridor des Balkans était censé soutenir le Balkan Stream et la Route de la soie des Balkans. Malheureusement les États-Unis ont temporairement réussi à freiner le Balkan Stream, ce qui signifie donc que la Route de la soie des Balkans est le seul méga-projet multipolaire viable actuellement envisagé dans la région. Du coup, c’est la Chine, pas la Russie, qui est le flambeau de la multipolarité à travers les Balkans, bien que Pékin dépende en partie de l’influence de la Russie, qui est là pour aider à sécuriser leur objectif géostratégique partagé et pour aider à en faire une réalité. En tout cas, la Route de la soie des Balkans est sans doute plus importante que le Balkan Stream pour le moment, et en tant que telle, elle mérite de recevoir une attention particulière sur les détails stratégiques associés afin de mieux comprendre pourquoi elle représente le dernier espoir multipolaire des Balkans.
Fondation institutionnelle

Le concept de Route de la soie des Balkans a mis quelques années à émerger, et il doit sa genèse à la politique chinoise Une ceinture Une route (New Silk Road) de construction d’infrastructures conjointes dans le monde entier. Cet effort a été imaginé afin de résoudre le double problème de la création d’occasions pour les investissements chinois à l’étranger et de l’aide aux régions géostratégiques complémentaires dans leur quête libératrice pour atteindre la multipolarité. Relativement à la zone d’étude, la Route de la soie des Balkans est la manifestation régionale de cet idéal, et c’est en fait une partie de l’engagement plus large de la Chine avec les pays d’Europe centrale et orientale.

Le format de leur interaction multilatérale a été formalisé en 2012 lors du premier sommet (Chine-CEEC) jamais organisé à Varsovie entre la Chine et les pays d’Europe centrale et orientale. Puis, deux ans plus tard à Belgrade, s’est produit l’événement qui a produit l’idée d’un projet de train à grande vitesse Budapest-Belgrade-Skopje-Athènes (la description familière de l’auteur est la Route de la soie des Balkans) visant à approfondir l’interconnexion économique des deux côtés. Le sommet de 2015 à Suzhou a produit un programme à moyen terme pour 2015-2020, qui, entre autre, propose la création d’une société de financement conjointe pour fournir des fonds de crédit et d’investissement pour ce projet et pour d’autres. Il a également décrit officiellement la Route de la soie des Balkans comme étant le China-Eurasia Land-Sea Express Line et a suggéré qu’elle soit intégrée dans le nouveau corridor économique terrestre eurasiatique dans le futur, ce qui implique que Pékin aimerait voir ces pays coopérer de manière plus pragmatique avec la Russie (en premier lieu, cela vise la Pologne). Surtout, Xinhua a rapporté que les participants ont convenu de terminer l’étape Budapest-Belgrade du projet en 2017.
Contexte stratégique

Ce que tout cela signifie est que la Chine a accéléré ses relations diplomatiques, économiques et institutionnelles avec l’Europe centrale et orientale en l’espace de seulement quelques années, devenant étonnamment un joueur de premier plan dans une région située à l’autre bout du monde, très loin d’elle, et devenant partiellement une composante formelle du bloc multipolaire. Ceci peut être expliqué uniquement par l’attractivité économique de la Chine pour la CEEC qui transcende toutes sortes de frontières politiques, ainsi que l’ambition de complémentarité que la supergéante de l’Asie de l’Est manifeste dans l’approfondissement de sa présence dans le monde entier. Ensemble, ces deux facteurs se combinent en une composante formidable de la grande stratégie de la Chine, qui cherche à utiliser des leurres économiques incontournables dans la conduite de ses partenaires (en particulier ceux qui représentent le monde unipolaire) sur la voie d’un changement géopolitique tangible en l’espace d’une génération. Pour revenir à la Route de la soie des Balkans, celle-ci représente le principal véhicule de Beijing dans la réalisation de sa stratégie à long terme, et la raison d’être géo-économique de la façon dont cela est prévu pour fonctionner sera expliqué dans la section ci-dessous. Cependant, avant d’y venir, il est pertinent de rappeler à quoi il a été fait référence plus tôt au sujet des impératifs hégémoniques des États-Unis, puisque cela explique pourquoi ces derniers ont tellement peur de l’engagement économique de la Chine en Europe qu’ils envisagent d’aller jusqu’ concocter des guerres hybrides destructrices pour l’arrêter.
Fondements géo-économiques

La justification géo-économique de la Route de la soie des Balkans est évidente, et elle peut être facilement expliquée en examinant la grande zone d’Europe centrale et orientale qu’elle envisage de connecter. La péninsule européenne du Sud-Est irrigue directement chacune de ces deux régions, et la plate-forme hongroise de Budapest est géographiquement située au centre de ce vaste espace. Telle que la situation se présente actuellement, il n’y a pas de corridor nord-sud fiable reliant la Hongrie et les marchés autour d’elle (à savoir l’Allemagne et la Pologne) aux ports méditerranéens grecs, ce qui signifie que le commerce maritime chinois avec ses entreprises de pointe doit physiquement contourner l’ensemble de la péninsule européenne. La Route de la soie des Balkans change tout cela et permet d’éviter des journées d’expédition inutiles en amenant les marchandises par l’Europe centrale et orientale au port grec du Pirée et à portée pratique de Suez, où croisent des navires chinois. Cela permet d’économiser du temps et de l’argent, ce qui rend la route plus rentable et efficace pour toutes les parties concernées.

À l’avenir, les économies d’Europe centrale et orientale pourraient expédier leurs marchandises par la Russie vers la Chine via le pont terrestre eurasiatique. Cependant, alors que tout cela pourrait être bénéfique du point de vue des relations producteurs-consommateurs, ce serait peu avantageux pour les revendeurs qui prévoient de réexporter ces produits ailleurs dans le monde. Pour tirer profit de la dynamique des développements économiques actuellement en cours en Afrique de l’Est et du Sud (que ce soit par la vente sur ces marchés ou dans la construction d’une présence physique là-bas), il est préférable pour les entreprises de l’autre partie de se connecter entre elles au travers d’un nœud maritime qui leur permet de charger ou de décharger leurs marchandises transbordées efficacement et rapidement. Géo-économiquement parlant, il n’y a pas de meilleur endroit pour cela que le port du Pirée, car c’est le port du continent européen le plus proche du canal de Suez qui doit être traversé pour accéder aux destinations mentionnées ci-dessus, avec ou sans transbordement (par exemple, si les entrepreneurs de l’UE décident d’exporter directement leurs produits là-bas sans utiliser d’intermédiaire chinois).

Afin de se connecter au Pirée, le corridor ferroviaire à grande vitesse connu sous le nom de Route de la soie des Balkans est une condition préalable en terme d’infrastructure, et la réussite de son achèvement conduirait à une augmentation importante du commerce européen de manière rentable et réorienté vers la Chine et d’autres endroits non-occidentaux en plein essor, comme l’Inde et l’Éthiopie. Les États-Unis craignent de perdre leur position de premier partenaire commercial de l’UE, sachant que la pente glissante stratégique qui pourrait suivre rapidement, pourrait conduire à un effritement rapide de son contrôle hégémonique. Vu du point de vue inverse, la Route de la soie des Balkans est le dernier espoir de l’UE d’avoir un avenir multipolaire indépendant d’un contrôle américain total. C’est pourquoi il est si géopolitiquement nécessaire pour la Russie et la Chine de voir ce projet terminé. L’inévitable affrontement de cette nouvelle guerre froide que cela représente et les enjeux extraordinairement élevés impliqués signifient que les Balkans resteront l’un des principaux points chauds dans cette dangereuse lutte par procuration, en dépit des revirements hiérarchiques de ses protagonistes multipolaires.
Champ de bataille de la nouvelle guerre froide: Remix
On sort de l’ancienne…

Les acteurs traditionnels concurrents dans les Balkans ont toujours été les États dirigés par les Allemands (l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne impériale, l’Allemagne nazie et l’Union européenne contemporaine), la Russie (l’Empire Russe, l’Union soviétique et la Fédération de Russie) et la Turquie ( l’Empire ottoman, la République turque et la démocratie islamiste d’Erdogan). Cette dynamique a toujours été dans le jeu depuis deux siècles avec régularité. D’autres participants ont parfois été impliqués (par exemple le Royaume-Uni et la France en Grèce), mais ils étaient toujours plus l’exception que la règle et le va-et-vient de ces rivalités entre ces trois pouvoirs de base a été le pilier des relations internationales des Balkans. Si on revient rapidement à l’ère post-Guerre froide, cela a pris la forme de l’expansionnisme de l’UE, la restauration de l’influence civilisationnelle de la Russie et la promotion par la Turquie de l’islamisme. Dans une certaine mesure, c’est tout simplement la manifestation moderne des rivalités séculaires, exprimées sous une forme actualisée, et il y avait là une large part de stabilité et de  prédictibilité dans leurs interactions trilatérales.
… et on arrive à la nouvelle

Malheureusement, l’ensemble du paradigme régional a été transformé de manière irréversible par l’implication des États-Unis, qui ont changé le jeu visant à perturber le modèle séculaire par l’expansion de l’OTAN et le bombardement de la Serbie. Avant cela, les États-Unis ont aidé à créer les conditions structurelles pour déstabiliser la Yougoslavie et provoquer son démembrement. Avec le recul historique, l’implication américaine peut objectivement être interprétée comme constituant la force de déstabilisation la plus rapide que les Balkans aient jamais vue. Jamais auparavant, dans un si court laps de temps, la région n’était passée par une destruction aussi massive et une telle réorganisation géopolitique que ce qui s’est passé après 1991, ce qui est entièrement attribuable à la grande stratégie des États-Unis de la fragmentation stratégique des États (plus tard défini comme le concept des Balkans eurasiens de Brzezinski). Les invasions coordonnés classiques et asymétriques des Balkans par les États-Unis (ces dernières par l’intermédiaire des ONG conspirant à des Révolutions de couleur ) établissent une nouvelle norme pour l’application de la force unipolaire et ont été le précédent tactique pour ce qui allait suivre plus tard dans le Moyen-Orient.

Les hyper agressions des États-Unis ont pris la Russie au dépourvu, car elle n’était pas en mesure à ce moment là de les contrer, et cela a fait résolument pencher la balance régionale en faveur de l’UE et la Turquie, alors réunies sous le parapluie unipolaire américain. L’avancée rampante de l’OTAN, de l’UE et de l’extrémisme islamique a joué au détriment de la Russie, et pour plus d’une décennie, il a semblé que Moscou avait finalement abandonné cet espace civilisationnel pour lequel elle avait combattu avec tant d’ardeur pour le libérer au cours des deux derniers siècles. Tout d’un coup, cependant, l’annonce en 2007 du projet South Stream a considérablement signalé le retour de la Russie dans la région. Il indiquait qu’elle avait effectivement passé la dernière décennie à élaborer une stratégie complètement nouvelle pour le réengagement dans les Balkans. Capitalisant sur sa pratique non conventionnelle de géopolitique de l’énergie, la Russie vise à surprendre le monde unipolaire et, asymétriquement, à faire tourner la table suite à ses succès antérieurs. Cette initiative audacieuse, post-moderne, aurait très bien pu réussir, s’il n’y avait pas eu cette nouvelle guerre froide de fabrication américaine qui a délibérément créé les conditions pour cela, avec de facto une suspension indéfinie du successeur du Balkan Stream, le Turkish Stream.

C’est exactement à cette époque que la Chine a commencé à bouger dans les Balkans et à peser du poids de sa Grande Puissance, avec un développement que peu aurait pu anticiper avant qu’il n’ait effectivement eu lieu. N’ayant aucun lien historique avec la région à l’exception de quelques relations mineures cultivées durant la Guerre froide avec l’Albanie et la Roumanie (ces dernières n’ayant pas duré toute la période mais ayant commencé à mi-parcours), la Chine a émergé en quelque sorte brutalement dans les Balkans, et on peut même dire que c’est le dernier espoir d’un avenir multipolaire de l’Union européenne. L’annonce en décembre 2014 de la Route de la soie des Balkans et la récente déclaration du calendrier de 2017 pour son achèvement partiel ont donné un nouvel élan a ce projet mondial multipolaire et a montré que le vent n’avait pas du tout délaissé ses voiles géopolitiques.

Le partenariat stratégique russo-chinois est au cœur de cette initiative transformationnelle, mais à l’heure actuelle, la Chine est le conducteur et la Russie sert de mécano au cas où. Peu importe quelle influence ont sa domination civilisationnelle et son soft power potentiel dans les Balkans, Moscou ne peut accomplir ses projets sans l’aide d’un projet d’infrastructure tangible, comme le gazoduc qu’il voulait construire. Et ce qui est nécessaire pour maintenir l’élan multipolaire actif, c’est le catalyseur économique que seule la Chine peut maintenant fournir. De manière symbiotique, la Chine dépend de la bonne volonté et de la confiance séculaire que la Russie a nourries dans les Balkans, ce qui en fait le seul acteur fiable capable de travailler avec les Balkans centraux pour les aider à vaincre les guerres hybrides que les États-Unis projettent contre eux. Tant Moscou que Pékin ont besoin que la Route de la soie des Balkans se construise tout autant que les États-Unis veulent qu’elle soit obstruée à tout prix, et ce jeu géopolitique à somme nulle définit la scène pour la confrontation actuelle.
L’état du jeu

Pour faire simple, les mondes unipolaires et multipolaires se heurtent dans les Balkans sur le sort géopolitique de l’UE. Les États-Unis et la Turquie représentent les forces les plus solidement unipolaires dans cette bataille, alors que la Russie et la Chine sont leurs contreparties multipolaires. Bien qu’elle soit occupée par les États-Unis, il est très probable que l’UE puisse être libérée si la Route de la soie des Balkans devait jamais être achevée, c’est donc pourquoi on pourrait qualifier les événements qui se déroulent dans les Balkans de bataille pour l’Europe. Les États-Unis emploient des forces militaires, terroristes et non gouvernementales dans cette campagne, tandis que son allié turc répand l’idéologie infectieuse de l’islam radical afin d’attirer une quantité apparemment innombrable de recrues violentes pour la lutte unipolaire et ouvrir la voie au pivot néo-ottoman dans les Balkans.

De l’autre côté, la Russie conseille stratégiquement ses partenaires serbes, leur fournit des armes pour contrebalancer les larbins croates des États-Unis, et elle garde également ouverte la possibilité d’étendre son partenariat stratégique avec la Macédoine au-delà du domaine de la sécurité démocratique (aussi connu comme techniques de contre-Révolution colorée) si les autorités locales devaient choisir. La contribution de la Chine à cette lutte prend la forme de ses ressources économiques écrasantes et d’une grande expérience de gestion très professionnelle qu’elle doit réussir à concrétiser habilement en faisant de la Route de la soie des Balkans une réalité le plus tôt possible. Alors les rêves de prospérité et les possibilités multipolaires associées à la réussite de sa construction produiront une forte et fidèle attraction au projet pour beaucoup de gens dans les pays de transit.

Le nœud de la concurrence voit s’affronter donc essentiellement les idéologies de la force destructrice (les États-Unis et la Turquie) et du développement créatif (Russie et Chine). Le camp unipolaire et ses alliés régionaux albanais et croates n’hésiteront pas une minute à mettre le feu aux Balkans dans une politique de terre brûlée pour une victoire à la Pyrrhus, alors que le fardeau de sauver les Balkans revient aux citoyens patriotes de la sous-région centrale de la Republika Srpska, de la Serbie, du Monténégro et de la République de Macédoine. Il est beaucoup plus facile de payer quelques voyous locaux et d’induire en erreur des jeunes capricieux (religieusement en appui de la cause pro-occidentale) que de cultiver des partisans sincères avec un idéal patriotique. Mais jusqu’à présent, le terrain de jeu semble être encore équilibré avec une quantité presque égale de combattants unipolaires et de défenseurs multipolaires. La différence essentielle, cependant, c’est que les citoyens des Balkans centraux qui soutiennent véritablement leurs États ne tourneront jamais le dos à leurs compatriotes et ils défendront résolument leur patrie contre les attaques jusqu’à leur dernier souffle. On ne peut pas en dire autant pour des agresseurs (qu’ils soient internes ou externes) qui ne croient pas sans réserve en ce pourquoi ils se battent.

L’avenir des Balkans, et par conséquent celui de l’Europe, est à la croisée des chemins à ce stade, et on ne sait pas de quel côté penchera la balance. Le facteur décisif sera inévitablement de savoir si les États-Unis et la Turquie peuvent induire en erreur assez de personnes dans la destruction de leur région d’origine par haine géopolitiquement manipulée, ou si la Russie et la Chine peuvent les convaincre de prendre une position patriotique pour la défendre afin d’ouvrir un avenir meilleur et plus prospère pour tous.
Serbs protest against government's plans to deepen relations with NATO, February 2016
Manifestation serbe contre les plan du gouvernement d’approfondir des relations avec l’OTAN, février  2016

Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride.

Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici


Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Diane pour le Saker francophone