Casse-gueule : le mythe de la complémentarité à la Bohr...C'est justement à cause de cet usage abusif et fallacieux des mythes de la quantique à la mode de Copenhague, que je me suis lancé dans la création de mon site personnel, et ai adapté au Net mes vieux articles de physique, et de mathématisation de la physique. Mais voyons qui a transporté ce mythe, et comment :
http://assoc.pagespro-orange.fr/geza.roheim/html/complemt.htmDans l'avertissement de Ethnopsychanalyse complémentariste, Devereux écrit :"Bien que des circonstances assez particulières, que je ne saurais aborder ici, aient produit chez moi une prise de conscience précoce (1924) des principaux problèmes analysés dans ce volume, je ne pus formuler l'idée générale de la solution qu'il convenait d'apporter à ces problèmes que six ans plus tard (1930)..[...]...Ce furent, en fin de compte, les soirées solitaires de mes dix-huit mois de travail sur le terrain parmi les Sedang (1933-1935) qui me permirent de situer mes vues dans le cadre de la méthode scientifique..[...]...Mais le parachèvement même de ma théorie et de ma méthode m'isola inévitablement des courants qui dominaient à l'époque les sciences de l'Homme."[1]
Les préoccupations épistémologiques de Devereux sont remarquables eu égard à ce qui se pratiquait habituellement, et aujourd'hui encore moins, dans les sciences humaines. Ces préoccupations sont constantes et éparses dans son œuvre. Elles culminent cependant plus particulièrement dans De l'angoisse à la méthode.[2] Pour situer ses vues dans le cadre de la méthode scientifique Devereux se référera notamment à la notion de complémentarité du physicien danois Niels Bohr qui, lui-même l'a conçu dans le prolongement des travaux d'Heisenberg.
Un petit détour s'impose. Dans le cadre de la mécanique quantique, en 1927, le physicien allemand Werner Heisenberg formula le principe d'incertitude appelé parfois aussi principe d'indétermination. Ce principe déclare impossible de déterminer avec précision et simultanément la position et la vitesse d'une particule, un électron par exemple. Il n'est peut-être pas inutile de remarquer que beaucoup considèrent l'expression principe d'incertitude comme impropre car d'une part, il ne s'agit pas d'un principe mais d'une déduction du formalisme quantique et d'autre part, le terme d'incertitude ne renvoie pas à approximatif. Dans la théorie quantique en effet les valeurs ne sont pas déterminées comme dans un système classique mais sont distribuées statistiquement. Pour le dire autrement "Il est évident qu’une forme de causalité déterministe comme celle de la physique classique exclurait toute complémentarité: celle-ci ne peut apparaître que dans le cadre plus large d’une causalité statistique."[3]
Le principe de complémentarité en est une généralisation que Bohr a même voulu appliquer à d'autres domaines que celui de la mécanique quantique [4].Ce fut par exemple le cas dans des réflexions sur la biologie. Ce principe est plus connu que celui de destruction (Abtötungsprinzip) auquel il est pourtant lié. Complémentaire renvoie en effet à exclusif, ce qui signifie que deux niveaux d'explication (A et B) s'excluent mutuellement. Plus encore, comme y insistent Bohr et Devereux, "..toute étude trop poussée d'un phénomène..[...].. le détruit." Il le montre avec l'exemple de l'orgasme.
"1) L'orgasme pleinement vécu produit un voilement de la conscience, ce qui rend l'auto-observation de l'orgasme imprécise.
2) Si, afin de mieux l'observer, on fait un effort pour empêcher ce voilement de la conscience, ce que l'on observera ne sera plus un vrai orgasme, vécu dans toute son ampleur, mais simplement un spasme physiologique qui aboutit à l'éjaculation". (Not.1)
Dans l'exemple précédent il est bien évident que la place de l'observateur est singulière mais ce qu'il démontre reste valable dans les cas d'observation les plus habituels. La présence même de l'observateur dans un protocole expérimental est une variable fondamentale. L'argument de De l'angoisse à la méthode commence ainsi : "Le point de départ de mon livre est l'une des propositions les plus fondamentales de Freud, modifiée à la lumière de la conception d'Einstein sur la source des données scientifiques. Freud a établi que le transfert est la donnée la plus fondamentale de la psychanalyse, considérée comme méthode d'investigation. A la lumière de l'idée d'Einstein selon laquelle nous ne pouvons observer que les évènements "survenus auprès de" l'observateur..[...].. j'ai fait un pas de plus sur la voie tracée par Freud. J'affirme que c'est le contre-transfert, plutôt que le transfert, qui constitue la donnée la plus cruciale de toute science du comportement..". [page 15] Nous avons ici aussi une référence à un auteur et une conception provenant de la physique. Cela s'explique en partie par la, ou plutôt, les formations de Devereux mais aussi par son constant souci épistémologique. Il est cependant utile de savoir que dans les emprunts et les références aux auteurs et aux "sciences non-humaines", Devereux ne se soucie guère de leurs propres compatibilités. Ainsi la principe de complémentarité s'étaye en partie sur la conception de Bohr, la question du contre-transfert sur celle d'Einstein et pourtant ce dernier fut toujours critique vis à vis des principes de la théorie quantique.[5]
Nous venons de voir que la présence même de l'observateur est fondamentale. Au-delà de cette présence, et en se référant au principe de complémentarité, il y a donc aussi sa position. Cette dernière peut être définie par exemple par les niveaux explicatifs dans lesquels il se situe.
En France, le 14 février, un homme offre des fleurs à une femme.
1/ Au niveau d'une explication psychologique, on peut avancer que :
a) le motif opérant peut être = "Il est amoureux de cette femme..."
b) le motif instrumental peut être = "C'est le jour de la Saint Valentin"
2/ Au niveau d'une explication sociologique, on peut avancer que :
a) le motif opérant peut être = "C'est le jour de la Saint Valentin"
b) le motif instrumental peut être = "Il est amoureux de cette femme..."
On constate que ces deux niveaux sont bien complémentaires et exclusifs. Le jour de la St Valentin a beau être le jour des amoureux, il y a des quantités d'hommes qui ne le sont pas et inversement des quantités d'hommes sont amoureux en dehors de ce jour. Nous avons proposé comme motif opérant de l'explication psychologique l'amour d'un homme pour une femme mais bien entendu d'autres propositions auraient été possibles sans que la démonstration en soit invalidée. Par exemple cet homme aurait pu faire cela par une sorte de besoin de conformité ou ce qui n'est pas tout à fait invraisemblable parce qu'il est amoureux mais sans savoir que c'est la St Valentin. Dans ce dernier cas il faudrait alors hypothéquer un autre motif instrumental.
Une autre question, soulevée d'ailleurs par Devereux, est celle des frontières. Entre les explications psychologique et sociologique où est la "ligne de démarcation" ? Une telle ligne définit nécessairement des espaces : "si l'on observe un individu, ce qui, pour le psychologue, est "en-dedans" de cet individu est "en-dehors" de lui lorsque le sociologue le considère en tant que membre de l'ensemble dont il fait partie." [p.17-Réf.1] . Le débat est bien complexe si l'on considère les situations "réelles". Mais, ne serait-ce que dans notre exemple, "l'état d'être amoureux" et le "offrir des fleurs" n'appartiennent-ils qu'à un en-dedans pour l'un et un en-dehors pour l'autre ? Un historien (des sentiments) et un éthologue (des parades sexuelles) ne pourraient-ils pas inverser ces appartenances ? C'est ici qu'il est certainement intéressant de rappeler les réserves d'Einstein : peut-on écarter dogmatiquement l'existence d'un "champ" inconnu ou inexploré qui pourrait inclure des faits et des théories jusque là séparés ?
Une autre question est celle que nous qualifierons momentanément des correspondances. "Si les ethnologues dressaient l'inventaire exhaustif de tous les types connus de comportement culturel, cette liste coïnciderait point par point avec une liste également complète des pulsions, désirs, fantasmes, etc., obtenue par les psychanalystes en milieu clinique, démontrant par là simultanément, et par des moyens identiques, l'unité psychique de l'humanité et la validité des interprétations psychanalytiques de la culture..." [6]. Cette thèse formelle de Devereux implique logiquement des phénomènes relevant de la causalité classique (et non plus probabiliste comme dans la mécanique quantique). Elle laisse ouverte le questionnement d'une interface entre psychisme et culture alors que le principe de complémentarité pourrait faire croire ce questionnement illusoire. Comme le conclut Georges Devereux, si cela reste possible c'est parce que "...le complémentarisme n'est pas une "théorie", mais une généralisation méthodologique. Le complémentarisme n'exclut aucune méthode, aucune théorie valable - il les coordonne." [P.27 - réf.1]
Association Géza Róheim
Bon, tout bien relu, tel que l'énonçait Devereux, cet énoncé de la complémentarité méthodologique est correct :
toute étude trop poussée d'un phénomène humain, le détruit. Ce qui ne l'est guère, c'est la filiation depuis l'esprit de Bohr.