Les deux coqs

[JacquesL]

Les deux coqs


Un vieux coq décrépit, mais devenu madré,
Régnait depuis longtemps sur sa cour de gélines.
Dressé sur ses ergots, il gardait fière mine
Mais, quoique toujours vert, était un peu usé.

Le trouvant moins ardent à servir ses copines,
Le fermier s’en revint un beau jour du marché
Avec un jeune coq qu’il mit au poulailler.
Dès que cet insolent se trouva dans la place,
Il vint dire à l’aïeul avec beaucoup d’audace
Qu’il avait fait son temps, et que le vieux coquin
Allait prochainement finir en coq au vin !
Alarmé, celui-ci proposa un partage
Concédant à chacun la moitié de l’ouvrage :
La plupart de ces dames étant fort exigeantes,
La tâche de chacun serait moins éreintante.
Mais notre jeune coq aux ardeurs juvéniles
Jugeait que sa personne était la seule utile
Pour dûment honorer les jolies emplumées
Auxquelles il lui tardait d’aller se fiancer.

" Vraiment ! lui dit l’aîné. Es-tu sûr de courir
Aussi vite que celles que tu voudras couvrir ?
- Je suis plus prompt que toi, répondit l’ambitieux.
Et pour te le prouver, maintenant si tu veux,
Voyons qui le premier atteindra le pommier
Qui déploie sa ramure au-dessus du fumier.
Je serai beau joueur : eu égard à ton âge,
Je te laisse au départ trois longueurs d’avantage. "

L’ancêtre alors s’élance, aussitôt poursuivi
Par son jeune rival, qui démarre après lui.
Las ! les années sont là, on ne peut rien y faire ;
Moins rapide aujourd’hui qu’il ne l’était naguère,
L’avance du vieux coq diminue peu à peu...

Mais voilà que soudain éclate un coup de feu !
Tandis que le cadet roule dans la poussière
Où l’étend, tué net, la balle meurtrière,
On entend le fermier, abaissant son fusil,
Formuler à regret le propos que voici :
" Pour ce qui est des coqs, la malchance me suit :
C’est le troisième homo qu’on me vend ce mois-ci ! "

Moralité

Respectez vos aînés, arrogante jeunesse :
L’astuce remédie chez eux à la faiblesse.

Jean CLESSE