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Auteur Sujet: Néocolonialisme agraire.  (Lu 1295 fois)

JacquesL

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Néocolonialisme agraire.
« le: 19 décembre 2008, 02:11:03 am »
Néocolonialisme agraire, par Christian Bouquet

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/12/18/neocolonialisme-agraire-par-christian-bouquet_1132680_3232.html#xtor=EPR-32280156

Citer
Parmi les "bienfaits" des colonisations conduites au XIXe siècle, il y eut l'introduction forcée et la culture obligatoire du coton dans les régions de savanes africaines : au Tchad, par exemple, chaque chef de famille était tenu de cultiver une "corde" de coton, soit environ un demi-hectare, afin d'approvisionner l'industrie textile française. En contrepartie, sa récolte lui était payée et, quand on lui avait retenu les avances sur les semences, les engrais et les pesticides, il lui restait trois sous pour participer aux débuts de la société de consommation.

On était à la fin des années 1920. Les paysans tchadiens ignoraient ce qu'était l'anticolonialisme, mais ils avaient bien compris que la nouvelle tâche qui leur était imposée était inique : elle tombait à la même saison que la culture du sorgho vivrier, elle doublait la quantité de travail, et elle occupait une parcelle consacrée à l'indispensable jachère, seule technique possible de régénération des sols. Beaucoup se révoltèrent, mais la "chicote" coloniale eut tôt fait de les calmer, et les courageuses dénonciations d'André Gide ne furent guère entendues en métropole.

A l'aube du XXIe siècle, la décolonisation est - dit-on - achevée, le travail forcé est interdit, et le monde entier peut être informé en temps réel de la plus petite exploitation de l'homme par l'homme, fût-elle commise au coeur de la Nouvelle-Guinée ou de l'Amazonie. Et pourtant, aussi insidieuse que légale, une nouvelle forme de colonisation des terres a commencé à s'instiller dans les régions les plus pauvres de la planète, et nul ne proteste. Au contraire, les premiers intéressés sont même parfois demandeurs, comme ces représentants de la région indonésienne de Papouasie qui ont démarché des investisseurs saoudiens en leur offrant un million d'hectares pour qu'ils puissent y produire les céréales dont manque l'Arabie saoudite, moyennant quelques investissements dans les infrastructures et quelques miettes vivrières pour les populations locales.

ON NE SPOLIE PLUS, ON ACHÈTE

A cette occasion, on découvre que le processus n'est pas nouveau : le Brésil a concédé plus de 5 millions d'hectares à des étrangers depuis 2000. Mais la crise alimentaire vient de donner une légitimité à la démarche car, pour assurer leur "sécurité alimentaire", les pays qui en ont les moyens n'hésitent plus à se porter acquéreur ou à louer des superficies de plus en plus vastes de terres à l'étranger. C'est ainsi que la Corée du Sud vient de rendre public le contrat passé par le groupe Daewoo avec Madagascar et, cette fois-ci, l'offensive est de taille, puisqu'elle porte sur 1,3 million d'hectares pour produire 4 millions de tonnes de maïs et 500 000 tonnes d'huile de palme.

Sécurité alimentaire ? Ce n'est pas si sûr, et quand bien même les pays riches nourriraient-ils quelques craintes dans ce domaine qu'il serait indécent d'aller faire fabriquer leur pain quotidien dans les champs de ceux qui meurent de faim. C'est plus probablement un nouvel avatar du bon vieux colonialisme, relooké en fonction des réalités du moment, qui permet de continuer à aller chercher les matières premières là où elles se trouvent au meilleur prix. Autrefois, on utilisait la force militaire pour asservir les populations faibles, au détriment des droits humains élémentaires, notamment du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Aujourd'hui, toutes les règles du droit des affaires sont respectées : on ne spolie plus, on achète ou on loue. Les grandes compagnies minières l'ont bien compris, mais on n'imaginait pas que l'agriculture finirait par intéresser les spéculateurs.

Or, depuis le début des années 1990, la Banque mondiale a décrété que la propriété privée de la terre était une valeur universelle, et elle a entrepris d'imposer au monde ce principe sous le nom de "sécurisation" des terres. Tout le monde, dit-elle, devrait donc y trouver son compte, et ce sont d'ailleurs souvent les chefs des Etats pauvres qui mettent eux-mêmes leur pays en viager. Hélas, comme du temps de la colonisation, la "rente" qui y est attachée profite très peu aux petits paysans.

Ceux-ci vont même assez rapidement constater que non seulement ils ne vont rien gagner mais, pour la plupart, ils vont tout perdre et seront contraints d'aller grossir les hordes de pauvres qui s'entassent dans les bidonvilles des grandes villes des pays du Sud. Car les immenses superficies concédées aux pays riches ou aux multinationales du Nord seront cultivées sur un mode intensif, soit quatre hommes pour 1 000 hectares.

Cette ruée vers les terres cultivables atteignant des proportions inquiétantes, chacun y va de son couplet : "c'est un pacte néocolonial" déclare Jacques Diouf (FAO) ; "il faut une protection des populations locales" estime Alain Joyandet ; "cela pose un problème de gouvernance" affirme Michel Barnier. Oui mais, à part le dire, on fait quoi ?

Christian Bouquet, professeur de géographie politique et du développement à l'université Bordeaux-III