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Auteur Sujet: Mâchoire, oreille, altricialité ?  (Lu 4129 fois)

JacquesL

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Mâchoire, oreille, altricialité ?
« le: 10 juin 2007, 08:44:21 pm »
La discussion date de février et mars 2006, sur fr.sci.paléontologie. Elle m'a semblé digne d'être recopiée ici :

Citation de: Jacques
A la fin d’un cours sur les ondes sonores, avec mes B.E.P. de Paris, nous étudions les planches anatomiques de l’appareil auditif humain. Après avoir considéré les trois osselets de l’oreille moyenne, le marteau, l’enclume et l’étrier, je leur explique qu’ils jouent le rôle de transformateur d’impédance, indispensable pour pouvoir attaquer avec un rendement acceptable un milieu d’impédance acoustique élevée : l’oreille interne, pleine d’un liquide, alors qu’ils sont actionnés par le tympan, actionné par des ondes dans l’air, donc avec une course bien plus grande, et une pression bien plus faible. Et qui plus est, un adaptateur d’impédance à gain variable, autoadaptateur ! Et néanmoins très fragile aux surintensités chroniques (atelier de chaudronnerie, ou baladeur ou discothèque). Après cet exposé technique, je donne quelques mots sur l’évolution qui a conduit à notre anatomie actuelle.

Au début du Trias, chez nos ancêtres reptiles mammaliens, ces os faisaient partie de l’articulation de la mâchoire. Au cours du Trias, le plus gros des innovations dont les fossiles nous livrent la trace, portèrent sur la dent, et sur l’articulation de la mâchoire, qui prit le dessin beaucoup plus efficace sur le plan mécanique, que nous conservons. Cela laissa trois os sans utilité dans l’articulation de la mâchoire, mais qui restèrent utilisés dans la transmission des sons, et rapetissèrent considérablement, jusqu’à la proportion que l’on constate actuellement chez les mammifères.

Imaginez les mines stupéfaites de mes élèves, la plupart fils d’immigrés. L’un d’eux murmura pensif : « Ah bien ! Pour faire des sciences, il vaut mieux ne pas être croyant ! ». Pour quelqu’un qui au début de l’année, envisageait de devenir dealer, s’il ne réussissait pas bien dans cette classe d’électronique, mesurez l’évolution morale et culturelle que nous avons obtenue.

Un mois plus tard, le même exhibait très fier à Joël sa carte d'identité française toute neuve.
http://jacques.lavau.deonto-ethique.eu/esprit_scientifique.htm#_Toc48196744

Le 11 février 2006, sur fr.sci.paleontologie, Gilles Escarguel ajoutait les précisions suivantes :

Citation de: Gilles Escarguel
Bravo pour cette explication ! Voulez-vous aller un peu plus loin dans ce
thème ? Deux points récemment étudiés sont tout à fait passionnant -- à mon
avis...

Le premier, c'est la "raison" pour laquelle ces trois os (en fait, seulement
2, le 3ème participe à l'anneau tympanique, et donc au tube du conduit
auditif, permettant de fait au tympan de ne pas être tendu directement sur
la surface du crâne, comme c'est le cas chez les reptiles et les oiseaux)
ont quitté la mandibule pour rejoindre l'oreille moyenne. L'explication
adaptative standard (la votre) consiste à expliquer cette évolution en terme
de sélection naturelle : la structure des mammifères seraient mécaniquement
parlant plus efficace que celle des reptiles, et aurait donc été
naturellement sélectionnée dans la lignée mammalienne, conférant à ses
possesseurs un gain de probabilité de survie et/ou de reproduction. Sauf que
c'est en fait très certainement le contraire qui est vrai. Biomécaniquement
parlant, la mandibule d'un reptile est beaucoup plus efficace que celle d'un
mammifère. En fait, il est aujourd'hui beaucoup plus vraisemblable que cette
modification est le corollaire indirect d'autre modifications
morpho-anatomiques ayant affecté la base du squelette crânien des reptiles
mammaliens durant le Trias. Des modifications (pour ce qu'on le comprend
aujourd'hui) causées par le changement de la mise en activité, durant le
développement embryonnaire, de deux ou trois gènes du développement. Il est
donc inexact de dire que le "gain d'audition" généré par l'arrivée des
osselets dans l'oreille moyenne est la cause de cette modification : il en
est en fait la conséquence...

Le second est une question rarement posée, et à la réponse pour le moins
"surprenante". Savez-vous à quoi servaient (et servent toujours chez les
reptiles actuels) ces os de la mandibule qui ont migrés dans l'oreille
moyenne chez les mammifères ? Ils avaient une fonction bien particulière...
Une idée ?

A+

Gilles.


Et la réponse le 13 mars 2006 :
Citation de: Gilles Escarguel
Il y a toute une série d'expériences amusantes qui a été faite, aux temps
héroïques de l'embryologie expérimentale, il y a un peu moins d'un siècles,
sur des crocodiles et des serpents, représentant des 2 grands groupes de
reptiles actuels. Les résultats (en résumé) sont les suivants :
- lorsqu'on inhibe, chez l'embryon de reptile, la formation de l'angulaire
et de l'articulaire, le dentaire "prend leur place" et la mandibule
fonctionne normalement, avec une articulation carré-dentaire "hybride" entre
l'articulation reptilienne standard (carré-articulaire) et mammalienne
standard (squamosal-dentaire) ;
- en l'absence de l'angulaire et de l'articulaire dans la mandibule, un
reptile (qui déjà, en comparaison des mammifères, entend relativement mal
les sons de fréquences moyennes et hautes) a un spectre d'audition encore
plus étroit que normalement, perdant pratiquement toute l'audition dans les
fréquences moyennes et hautes.

Donc : en "temps normal" chez les reptiles, l'angulaire et l'articulaire
inclus dans le corps osseux mandibulaire, participent à la transmission des
ondes sonores à l'oreille interne, notamment dans les fréquences moyennes et
hautes ! Et donc : ils font exactement la même chose que chez les
mammifères, où ils sont incorporés au sein de l'oreille moyenne !

La conclusion, c'est que ce changement morpho-anatomique majeur dans
l'évolution des vertébrés, changement qui est d'ailleurs utilisé comme
critère de définition des mammifères (parceque c'est un critère qui
fossilise bien, au contraire du lait, des mammelles et des poils...), ne
correspond pas, du point de vue de la fonction renplie par les os angulaire
et articulaire, à un changement qualitatif (ils continuent fondamentalement
à jouer le même rôle) mais à un changement quantitatif (ils jouent "mieux"
ce rôle, le spectre sonore perçu par les mammifères étant plus large et plus
uniforme que celui perçu par les reptiles). Cette innovation morphologique
majeure ne correspond pas à l' "invention" d'une nouvelle fonction mais
aboutie à l'amélioration d'une fonction déjà remplie par les mêmes éléments
osseux.

Et il ne faudrait surtout pas penser qu'il s'agisse là d'une exception : au
contraire ! C'est en fait une règle générale, et on pourrait multiplier "à
l'infini" les exemples de changements morphologiques majeurs sans changement
associé de fonction : bras et jambe, poumon, oeil, etc. etc.

Bien entendu, celà à une implication causale importante : la cause d'une
innovation morphologique n'est pas la nécessité d'accomplir une nouvelle
fonction, ou, ce qui revient au même mais dit autrement, l'adaptation n'est
pas la cause mais la conséquence de l'évolution.

A+

Gilles.


OK, l'info est superbe, merci.
Tu sais, je n'avais pas de thèse personnelle sur l'évolution de la
mâchoire de nos ancêtres au Trias, juste le souvenir d'un article dans
La Recherche, années 70. Il y a avait par exemple un crâne de
Deltatheridum, tout petit dans une paume humaine.

Ce que tu dis sur l'amélioration de l'ouïe, probable chez les
mammaliens du Trias, donne envie de le rapprocher d'une pression
évolutive nouvelle vers cette époque. L'ennui, c'est que j'en suis
réduit à spéculer sur des comportements qui ne se fossilisent pas, et
que le Trias, c'est bien long pour cadrer un raisonnement.

Voici : la plupart des reptiles sont cannibales. Les jeunes varans de
Komodo doivent grimper aux arbres pour échapper à la voracité des
adultes, leurs propres parents y compris. Ils sont aussi presque tous
muets. Exception notable : les crocodiles, qui envoient un signal
sonore à leur mère, pour qu'elle vienne les déterrer, et les prendre
dans sa gueule pour les transporter en sécurité jusqu'à la rivière.

Les oiseaux ont au contraire élaboré des signaux visuels, pour
déclencher le nourrissage par les parents : le pattern coloré de
l'intérieur du bec grand ouvert, notamment.
Mais chez les mammifères, le signal dominant est acoustique. Sans
préjudice des autres signaux sociaux visuels qui nous signalent le
bébé, et déclenchent en nous des réflexes de tendresse et de
protection. Les mammaliens du Trias, commençant à nourrir des petits
dans leurs terriers, avaient à faire face à des besoins
comportementaux innovants : inhibition du cannibalisme, déclenchement
de la lactation, nourrissage.

Il est donc raisonnable de spéculer qu'ils ont développé des signaux
sonores d'appel-parents, et éventuellement aussi des "berceuses", des
signaux de réassurance. Et là encore, Conrad Lorenz nous a prouvé avec
panache que les bébés oisons aussi :
"Vivivivi !
- Gangangangang !"

Nous savions bien plusieurs pressions de sélection :
La pression sexuelle, de compétition sexuelle.
La pression de prédation : échapper aux prédateurs.
Les pressions de parasitages : survivre aux innombrables sortes de
parasites, microbes, virus, champignons, vers, etc. etc.
La pression alimentaire : accéder à des ressources vivrières
suffisantes, surtout durant tout le cycle reproductif.
...
La nouveauté au Trias semble bien avoir été la pression
d'altricialité, de reconnaissance filio-parentale, et d'attachement
filial temporaire. Au moins en ce qui concerne nos ancêtres, car
manifestement cette innovation s'est produite à d'autres moments dans
plusieurs autres lignées : épinoches, et plusieurs autres poissons,
aviens, crocodiliens, et je dois en ignorer encore.

Tu dois te demander pourquoi je me pose ce genre de questions, qui
mettent le paléontologue en porte-à-faux sur des spéculations sans
fossiles. Je suis devenu psychologue à 70%, au cours de ma retraite
prématurée. Je me pose donc des questions de clinicien, où je dois
démêler les parts de biologie, d'avec les parts de représentations
sociales plus ou moins farfelues. D'autant moins facile qu'à tout âge
de la vie, le développemental est une intrication des opportunités et
des circonstances avec les moyens biologiques en place, et que la
génétique intervient constamment dans l'apprentissage, par exemple
dans le fonctionnement des neurones CA3 de nos hippocampes : la mise
en place de nouveaux capteurs de neurotransmetteurs sur une membrane
synaptique est régi notamment par le code ADN.

John Bowlby avait étudié les comportements d'attachement chez les
petits humains, et avait mis ses observations en perspective avec des
observations d'éthologues animaliers. Conclusion sans appel : le plus
gros des conduites d'attachement humain se dégage du besoin d'être
protégé des prédateurs (contrairement au dogme des freudiens, pour qui
tout procède du sein maternel). Or il est remarquable qu'elles sont à
peine évoluées de compétences reptiliennes, juste légèrement
détournées. C'est ce qui permet un succès aussi facile au Syndrôme de
Stockholm et à sa variante le Syndrôme d'Aliénation Parentale : en
situation de terreur, les enfants humains comme les petits babouins se
raccrochent de préférence au contre-prédateur le plus crédible, le
plus redoutable, voire le plus méchant.

Quelques liens ?
http://www.paternet.net/salon/forum/viewtopic.php?t=1629
http://jacques.lavau.deonto-ethique.eu/La_separation_d_un_enfant.html
http://jacques.lavau.deonto-ethique.eu/Joie_de_nuire.htm

Autres liens, notamment bibliographiques, sur demande.
Je ne vous ai pas entraîné trop loin, à exposer ainsi pourquoi je
persiste à m'intéresser autant aux fondements de l'évolution
mammalienne ?

Autre défi, initialement dû à Donald McLean, et où il a hélas
lourdement échoué : identifier par quelles transformations et
complexifications le cerveau des reptiles mammaliens a intégré ses
nouvelles conduites altricielles, ou pré-altricielles. On m'a bien
donné ici des liens vers d'intéressants articles sur la neuro-anatomie
des monotrèmes, et des aviens et de leurs ancêtres probables. J'ai
bien capté que nos hippocampes (ou cornes d'Ammon) auraient des
précurseurs déjà au Dévonien. Je n'en ai plus rien fait depuis.

Une particularité un peu ahurissante : environ la moitié des
efférences vers le cortex sensoriel tactile de l'ornithorynque,
proviennent de son bec corné. Donc nous cherchons des signaux très
discrets (structures chargées des liens filiaux, et de l'inhibition du
cannibalisme), sous des signaux bien plus forts : structures à usage
alimentaire d'abord.
« Modifié: 14 octobre 2008, 12:13:12 pm par Jacques »